PARIS : L'article 21 du projet de loi "séparatisme", qui encadre l'instruction à domicile, va être examiné jeudi à l'Assemblée, laissant présager de nouveaux débats houleux, puisqu'il remet en cause une liberté fondamentale, la liberté d'enseigner, dénoncent ses détracteurs.
Cet article "pose le principe de la scolarisation obligatoire de tous les enfants âgés de 3 à 16 ans dans un établissement scolaire à la rentrée 2021".
En cas d'adoption du texte, l'instruction d'un enfant en famille (IEF), qui concernerait environ 50.000 enfants, deviendrait l'exception, en passant d'un régime de simple déclaration à celui beaucoup plus contraignant d'autorisation.
Dans le viseur de l'exécutif, le "séparatisme" scolaire des islamistes radicaux et autres dérives sectaires.
Quelque 400 amendements sur ce seul article 21 - un record pour le texte - ont déjà été déposés avant l'examen de l'article en séance jeudi dans l'hémicycle.
Pas surprenant, pour l'historien de l'Education Claude Lelièvre: "on touche là à la liberté d'enseigner qui avait été édictée sous Jules Ferry".
Depuis 1882, les parents ont le choix entre trois modes d'instruction: la scolarisation dans le public, dans le privé et l'instruction à domicile.
"On gomme d'un coup une liberté publique donnée aux parents depuis un siècle et demi, sous prétexte de contenir le séparatisme d'une minorité de familles", renchérit le juriste et inspecteur général honoraire Bernard Toulemonde. "S'il y a des dérives, il faut les combattre, mais sans supprimer pour autant une liberté donnée à tous", estime-t-il.
En commission spéciale, des dérogations ont été prévues pour raison de santé, handicap, pratique artistique ou sportive et "pour des situations particulières, sous réserve que les personnes en charge de l'enfant puissent justifier de leur capacité à assurer l'instruction dans le respect des intérêts de l'enfant".
Insuffisant pour les tenants de l'instruction à domicile. "Pour nous la liberté d'enseignement est fondamentale; si on doit la soumettre à autorisation, ce n'est plus une liberté", tacle Alix Fourest, porte-parole de l'association Laia (Libres d'apprendre et d'instruire autrement).
"Pénaliser ceux qui jouent le jeu"
Pour elle, cet article traduit "du mépris envers les familles". En cas d'adoption du texte, les associations envisagent déjà de saisir le conseil constitutionnel ou de déposer des QPC.
Les parents d'enfants handicapés redoutent notamment d'être confrontés à de nouveaux casse-têtes administratifs. Si en commission spéciale, les députés ont décidé que le silence de l'administration vaudrait désormais accord pour une demande de dérogation, cet aménagement doit encore être voté en séance.
"Il faut parfois un temps fou pour avoir les bons papiers médicaux qui attestent d'un handicap, ce texte va considérablement compliquer la vie des familles", redoute aussi Frédéric Tiberghien, administrateur de l'association "autisme espoir vers l'école".
La mesure divise l'échiquier politique dans son ensemble, et jusqu’au sein de la majorité. Seuls les députés communistes apportent un soutien sans réserve à cette réforme.
"On a le sentiment qu’en essayant de bien faire, on va pénaliser ceux qui jouent le jeu", a déclaré Philippe Gosselin, député LR à l'AFP. "Certaines personnes qui pourraient être sous les radars ne vont pas être davantage repérées et ça va toucher des familles qui ont recours à l'instruction en famille pour des raisons liées au handicap, à leur profession, ou pour des enfants qui ont des difficultés d'adaptation au système scolaire".
Dans une tribune publiée mardi dans Le Monde, le mathématicien et ex-député LRM Cédric Villani, réclame avec dix-huit autres signataires la suppression d'un article, qui "rate sa cible" et "va supprimer inutilement et injustement un système qui a fait ses preuves".
En toile de fond, si le texte déchaîne autant les passions, c'est aussi parce qu'il rejoue les querelles scolaires qui ont jalonné l’histoire du pays. "Ceux qui défendent une école privée, religieuse, ont de quoi se sentir inquiets en se demandant si la prochaine fois ce sera à leur tour d'être muselés", note l'historien Claude Lelièvre.
Le président national de l'Appel (Association de parents d’élèves de l’enseignement libre) Gilles Demarquet, s'en est ému dans un récent édito: "choisir le mode d'éducation pour ses enfants est une prérogative de chaque famille et nous devons rester vigilants car cette liberté peut être menacée".