BEYROUTH: De Bagdad à Beyrouth, les scenarios se ressemblent : harcèlement haineux sur les réseaux sociaux, enlèvements, poursuites judiciaires, agressions physiques et même assassinats… sont devenus le lot quotidien d’activistes et d’intellectuels chiites opposés aux milices pro-iraniennes en Irak et au Liban.
Alors que près d’une dizaine d’opposants au Hachd el-Chaabi ont été lâchement assassinés en Irak l’année dernière, notamment le célèbre intellectuel Hicham el-Hachimi, tué le 6 juillet 2020 devant son domicile à Bagdad, les chiites libanais paient à leur tour un lourd tribut à leur opposition au Hezbollah. Dernier en date, l’intellectuel Lokman Slim, virulent opposant au parti chiite, retrouvé mort jeudi dernier au Liban-Sud, tué de cinq balles, dont quatre à la tête.
La liste des activistes opposés au parti de Dieu et agressés par ses partisans ou ses miliciens s’allonge chaque jour. Et les attaques les plus violentes visent les chiites qui s’opposent au Hezb dans son pré carré. Ils sont notamment accusés de traîtrise, de travailler pour le compte d’ambassades de pays hostiles au parti, de collaboration avec les Américains ou les Israéliens, d’espions à la solde de l’ennemi (sioniste), de terrorisme ou de takfirisme, terme utilisé pour désigner les salafistes et jihadistes.
Personne n’est à l’abri de la répression du Hezbollah et de son allié chiite Amal. Ils utilisent même la justice libanaise pour faire taire toute voix dissidente au sein de leur communauté.
C’est le cas par exemple de l’uléma Ali al-Amine, connu pour son opposition au Hezbollah et au mouvement Amal, et accusé d’avoir « attisé la haine confessionnelle » et « incité à la discorde intercommunautaire », parce qu’il s’oppose à la politique du parti de Dieu. Ce dernier s’est acharné contre ce haut dignitaire chiite parce qu’il ne partage pas son idéologie, notamment le principe du « wilayat al-Faqih ».
En janvier dernier, l’analyste et journaliste Kassem Kassir, considéré comme proche du Hezbollah, a dû présenter ses excuses après avoir subi de violentes attaques verbales, notamment sur les réseaux sociaux, pour avoir critiqué lors d’une émission télévisée l’inféodation du parti de Dieu à l’Iran.
Personne n’est à l’abri de la répression du Hezbollah et de son allié chiite Amal. Ils utilisent même la justice libanaise pour faire taire toute voix dissidente au sein de leur communauté.
Antonio Munioz
Beaucoup de jeunes activistes chiites sont menacés ou roués de coups, alors que d’autres sont insultés sur les réseaux sociaux. Ce harcèlement est souvent imputé à des individus, à titre personnel, sans lien avec leur parti politique, mais personne n’est dupe.
Violences et agressions
En avril 2018, lors des dernières élections législatives au Liban, le journaliste Ali al-Amine, qui a formé une liste d’opposition au Hezbollah au Sud-Liban, a été violemment agressé dans la région de Bint Jbeil, au Liban-sud, par une trentaine de partisans du parti chiite. Le candidat, sérieusement blessé, a du être transporté à l’hôpital.
Le journaliste Mohammad Aouad est de son côté un activiste chiite de la région de Jbeil. Durant les élections de 2018, il a appelé à voter contre les candidats du Hezbollah. Ses publications lui ont valu d’être arrêté par des membres d’une des nombreux services de sécurité libanais, qui ont fait pression sur lui afin qu’il baisse le ton de ses critiques contre le mouvement intégriste chiite.
Suite au soulèvement populaire du 17 octobre 2019, de nombreuses voix dissidentes sont apparues dans la rue chiite, brisant le semblant de solidarité communautaire derrière le Hezbollah.
En juin 2020, l’activiste Kassem Srour, originaire de la région de Tyr, a été violemment frappé à la figure et blessé suite à une altercation avec de jeunes partisans du Hezb, qui l’ont accusé d’avoir insulté le parti. Il avait critiqué ce dernier sur les réseaux sociaux. Un autre militant actif sur Facebook, Ali Jammoul, a été interdit de se rendre dans son village natal l’année dernière par des partisans du Hezbollah. Pour sa part, l’activiste et réalisateur Bachir Abou Zeid, 28 ans, originaire du village de Kfar Remmane, a été victime d’une agression et d’une tentative d’enlèvement en mai 2020 par, selon lui, des miliciens du mouvement Amal, suite à un appel qu’il a lancé pour « couper l’électricité devant le domicile de Nabih Berry (président du Parlement et chef d’Amal) pour la donner aux gens ».
Les femmes victimes
Les femmes ne sont pas exclues de ces attaques. Elles reçoivent souvent un flot inouï d’insultes et de menaces de viol et de mort, les concernant ou concernant leur famille. C’est le cas des journalistes Luna Safwan, Dima Sadek ou encore Nawal Berry, toutes de confessions chiite. Ces deux dernières ont été la cible de violentes attaques de la part de partisans du Hezbollah et de ses alliés alors qu’elles couvraient les manifestations populaires qui visaient souvent le Hezb et ses alliés au pouvoir.
A chaque fois qu’elles twittent ou écrivent sur des sujets touchant le Hezbollah ou critiquant sa politique, mais aussi dénonçant la corruption notamment au sein du mouvement Amal, une armée de partisans des deux partis se déchaîne contre elles, les traitant de tous les noms.
C’est le cas aussi d’une jeune activiste de Nabatiyé habitant la banlieue Sud de Beyrouth, Mira Berri, appelée la « princesse de la Révolution » du 17 octobre.
Très active sur le terrain et sur les places publiques, elle a subi une vaste campagne d’intimidation et de harcèlement sur les réseaux sociaux, suite à ses posts critiques du Hezbollah. Des faux comptes ont été créés avec ses photos pour essayer de la dénigrer. Elle a reçu des menaces de la part de ses proches qui sont des partisans des partis chiites. Et finalement elle a dû quitter le Liban pour se réfugier en Turquie.
A chaque fois qu’elles twittent ou écrivent sur des sujets touchant le Hezbollah ou critiquant sa politique, mais aussi dénonçant la corruption notamment au sein du mouvement Amal, une armée de partisans des deux partis se déchaîne contre elles, les traitant de tous les noms.
Antonio Munioz
Une autre journaliste chiite, Maryam Seifeddine, connue pour ses critiques acharnées à l’égard du Hezbollah, a reçu des menaces de mort de la part de fidèles du parti de Dieu qui ont pris pour cible sa maison familiale à Bourj el-Brajné, un fief du Hezb. Sa mère et son frère ont été agressés, ce dernier a même eu le nez cassé.
La militante Kinda el-Khatib, 24 ans, bien que non chiite, originaire du Akkar, connue pour exprimer dans la rue depuis le début de la révolution et sur les réseaux sociaux sa position hostile au Hezbollah et au président de la Republique, Michel Aoun, allié du parti chiite, a été sévèrement punie pour ses positions. Elle a été condamnée en décembre 2020 par le tribunal militaire à trois ans de prison avec travaux forcés, pour « collaboration avec Israël et intrusion en territoire ennemi ». Une condamnation qui fait craindre, selon Human Right Watch, l’« instrumentalisation de la justice » et des institutions étatiques libanaise à « des fins politiques contre les civils », notamment au service du Hezbollah.