DUBAI: Les scènes des nombreux blessés se ruant dans les hôpitaux après les immenses explosions au Port de Beyrouth resteront longtemps gravées dans les mémoires. La puissante déflagration a fait jusqu’ici 137 morts et plus de 5000 blessés. Des dizaines de personnes seraient toujours portées disparues.
Mardi soir, des victimes grièvement blessées ont afflué au centre médical de Clémenceau, dans le quartier de Hamra. « Il y avait du sang partout, confie à Arab News Dr Walid Alamai, cardiologue de l’hôpital. J’ai 58 ans. J’ai vécu la guerre civile et j’ai soigné des victimes de l’invasion israélienne de 2006. Je n’ai jamais vécu une chose pareille. Jamais une bombe n’a causé des ravages à une aussi grande distance », assure t-il. Il explique que de nombreux patients, des enfants pour la plupart, souffraient de blessures au niveau des yeux ou avaient même perdu la vue, en raison des débris de verre.
Rapidement après l’explosion, tous les médecins et les infirmiers qui étaient en congés ont été réquisitionnés. « Nous avons réussi à bien gérer l’afflux de patients. Pourtant, nous n’avions jamais fait face à tel évènement. Nous avons soigné un grand nombre de cas en un temps record. »
Ces explosions interviennent à un moment critique, où le système de santé est durement frappé par l’effondrement économique en cours dans le pays depuis plusieurs mois, la pénurie d’électricité et une forte deuxième vague de coronavirus. Le Liban venait d’imposer un confinement pendant deux semaines, en raison du regain de l’épidémie. Mais mardi, les hôpitaux de Beyrouth se sont trouvés confrontés à une urgence médicale tout à fait inattendue.
« Nous avons même dû soigner les patients dans le noir, suite à une panne électrique »
Chirurgien au centre médical de l’Université Américaine a Beyrouth (AUBMC), Dr Ramzi Alami était parmi les médecins en première ligne. « Comme la plupart des hôpitaux, nous avons été submergés, ce soir-là, raconte t-il à Arab News. Nous avons été obligés de refuser plusieurs blessés. Les couloirs sont restés ouverts pour céder le passage aux cas les plus sévères. Je ne trouve pas les mots pour décrire ce que nous avons vu pendant cette longue nuit. Nous avions des malades dans les couloirs, par terre, partout. Nous avons même dû soigner les patients dans le noir, suite à une panne électrique. »
Les cas les plus sévères, selon lui, étaient blessés au niveau de la tête ou victimes de traumatismes crâniens. Au total, le centre médical a reçu en une nuit 55 cas médicaux graves. Les cas les moins sérieux ont été transférés dans des hôpitaux les plus proches. Certains hôpitaux se sont trouvés privés de courant électrique et sans générateur, en raison de l’explosion. Selon Dr. Samir Challita, un médecin vivant à Byblos, les hôpitaux de la capitale étaient tellement saturés que les patients sont arrivés jusqu’à cette ville côtière située à 30 km de Beyrouth pour se faire soigner.
« La deuxième plus grande explosion après Hiroshima et Nagasaki »
Dans cette période difficile, le Liban n’a pas été abandonné par les pays étrangers. Des avions en provenance du Golfe ont atterri à l’aéroport Rafic Hariri. L’Union européenne a assuré qu’elle allait envoyer 100 pompiers spécialisés et des experts de recherche et de sauvetage. Le président Donald Trump a assuré que les États-Unis étaient prêts à soutenir le Liban. Israël, qui est techniquement en guerre avec le Liban, a proposé d’offrir de l’aide médicale et humanitaire à son voisin.
Les Libanais estiment eux que la classe politique doit urgemment rendre des comptes après un tel désastre. « L’ampleur de la destruction est sans précèdent, explique à Arab News M. Nasser Saidi, ancien ministre de l’Economie et du Commerce et fondateur de Nasser Saidi & Co. A l’échelle mondiale, l’explosion, estimée a plus de 2300 tonnes de nitrate d’ammonium, est la deuxième plus grande explosion après Hiroshima et Nagasaki, plus dévastatrice que celle qui a eu lieu à Halifax (1917) et au Texas (1947). Le nitrate d’ammonium a été stocké au port de Beyrouth depuis 2014, exposant la ville à un énorme danger. Il y a une négligence criminelle de la part des autorités qui gèrent le port, des douanes, des autorités de sécurité, du corps judiciaire et des gouvernements successifs. Des avertissements ont été donnés, mais ils ont été ignorés. C’était un désastre qui devait arriver tôt ou tard », poursuit M. Saidi.
Selon lui, la crise économique, bancaire et financière va encore s’aggraver, de même que la dépréciation monétaire et l’inflation galopante. Avec la destruction du port, le Liban sera incapable d’importer nourriture, médicaments et autres produits essentiels. « Nous avons aujourd’hui besoin d’aide internationale, pas uniquement au niveau humanitaire, mais pour permettre des réforme politiques indispensables dans le pays, ajoute t-il. Le gouvernement de Diab ne peut pas continuer à faire porter toutes les responsabilités aux anciens gouvernements. »
Ce texte est la traduction d'un article paru sur ArabNews.com