ALGER: Le 19 janvier 2021 a marqué le 40e anniversaire de la signature des accords d’Alger (19 janvier 1981), négociés par le gouvernement algérien entre les États-Unis et la République islamique d'Iran pour résoudre la crise des otages, née de la prise de contrôle de l'ambassade américaine à Téhéran le 4 novembre 1979, et de la prise en otage de son personnel.
À l’occasion de cette commémoration, le diplomate américain John Limbert a adressé un message de remerciement et de gratitude à l'Algérie et à son peuple. En tant qu'ancien otage il a tenu à saluer le rôle de la médiation algérienne.
Mais quel était le rôle de l’Algérie? Comment a-t-elle réussi à tisser une médiation si minutieuse et à convaincre deux parties antagonistes, connues pour leur totale discorde, à parvenir à un accord commun?
Pour répondre à ces questions, Arab News en français a contacté le doyen des diplomates algérien et l’un des membres fondateurs de l’Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema), Salah Benkobbi. Ce dernier s’est remémoré, dans les détails, les faits et les actions entrepris par la «machine diplomatique algérienne».
Prima facie, l’ancien diplomate a placé les négociations ardues conduites par la diplomatie algérienne visant à libérer les otages américains alors détenus en Iran dans le cadre plus large de l’engagement «fort» et «permanent» de l’Algérie en faveur de la paix et sa quête de résolution de nombreux conflits.
Éviter le pire
«Il faut souligner que notre pays a toujours été présent dans les opérations de règlement des conflits entre les pays de la rive nord de la Méditerranée et ceux de la rive sud», indique-t-il.
Du haut de ses 88 ans, M. Benkobbi raconte qu’à l’époque, la tension entre les deux pays était à son comble. «On voulait éviter à tout prix une explosion», se souvient-il. Une explosion qui, selon lui, aurait eu des répercussions non seulement sur le plan régional mais aussi sur le plan mondial.
C’est bien dans cet ordre d’idées que la diplomatie algérienne, poursuit-t-il, «s’est focalisée sur la question et s’est donné les moyens de réussir une mission de médiation qui était loin d’être évidente».
Pour l’ancien ambassadeur, bien que l’Algérie ne soit pas une puissance majeure, elle a toujours pesé diplomatiquement dans la résolution des conflits. «Depuis son indépendance, notre pays s’est lancé dans une politique de bons offices; nous avons souvent été qualifiés de médiateur talentueux», souligne fièrement Salah Benkobbi.
À propos du dénouement heureux, en 1981, à la faveur d’une médiation algérienne de la crise des otages américains retenus à Téhéran, notre interlocuteur a tenu à louer la compétence et la persévérance des diplomates algériens, qui sont parvenus à trouver un terrain d’entente entre deux positions apparemment éloignées. «Il faut dire que les autorités algériennes ont très bien analysé le paysage diplomatique et qu’elles ont réussi là où beaucoup de puissances ont échoué», se souvient M. Benkobbi.
Il affirme que la démarche de l’Algérie ne consistait pas à imposer une solution aux parties en conflit, mais à faciliter un dialogue entre elles, avec le souci d’associer le plus de partenaires possible au processus. «Le talent pour la négociation s’était raffermi durant les pourparlers d’Évian, période de gestation de la République algérienne. Il s’agit donc d’une diplomatie militante, prônant la souveraineté des États, le non-alignement et le soutien indéfectible aux mouvements de libération du continent et d’ailleurs», ajoute le diplomate.
Seddik Benyahia, l’artisan
Lors de cet entretien, Salah Benkobbi a tenu à rendre hommage au défunt diplomate Mohamed Seddik Benyahia, ministre des Affaires étrangères de l’époque. L’intervenant affirme que l’ancien ministre a dû déployer tout son savoir-faire pour parvenir à dénouer l’une les crises les plus difficiles qu’aura traversée le monde et surtout les Américains. «Il a été le seul à réussir une telle mission, et chacun le reconnaît, surtout les États-Unis, car il a été le principal négociateur dans la libération les otages», explique-t-il.
Pour ce diplomate aguerri, Mohamed Seddik Benyahia a été l’artisan de la libération des cinquante-deux otages américains, «un coup de maître qui lui vaudra le respect de toute le communauté internationale».
L’assassinat mystère
Il note, par ailleurs, que l’Algérie a payé d’une façon ou d’une autre les contrecoups de cet accord avec l’assassinat de l’ancien ministre des Affaires étrangères, qui a péri dans un accident d’avion survenu durant la nuit du 3 mai 1982, à cinquante kilomètres de la frontière entre la Turquie et l'Irak. Cette fin tragique demeure, jusqu’à présent, entourée de mystère.
«Ce monument de la diplomatie algérienne a réussi à perpétuer la place et le rôle de l’Algérie dans le règlement les conflits. C’est lui qui a rédigé l’accord et qui a réussi à le faire signer par les deux parties», révèle le doyen des diplomates algériens.
Quarante ans après l’accord d’Alger de 1981 et la libération des cinquante-deux otages américains, plusieurs aspects de ce document font curieusement écho à l’actualité, avec la crise en cours entre Washington et Téhéran. Les mots «non nucléaires», méticuleusement rédigés, et qui stipulent «la non-intervention des États-Unis dans les affaires intérieures iraniennes, la levée du gel des avoirs iraniens aux États-Unis, l’interdiction de sanctions économiques contre l’Iran et le paiement des dettes iraniennes auprès d’institutions américaines» auraient aujourd’hui, au moins sur le plan théorique, la faculté d’ajouter un certain équilibre consensuel à tout accord potentiel entre les deux parties.