PARIS: Début 2019, deux millions de citoyens réclamaient un recours contre l'Etat pour inaction climatique. Deux ans plus tard, « L'Affaire du siècle » arrive devant la justice alors que le gouvernement est pressé de toutes parts de faire plus pour la planète.
« Ca va être l'aboutissement de deux ans d'attente qui ont pu être longs et ont pu parfois désespérer un peu les gens », commente Cécilia Rinaudo, coordinatrice de Notre Affaire à tous, une des ONG à l'origine de cette procédure alors inédite, avec Greenpeace France, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme, et Oxfam France.
Mi-décembre 2018, ces quatre organisations adressent une requête préalable au gouvernement, accusant l'Etat de « carence fautive » par son « action défaillante » pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
En parallèle, en moins d'un mois, plus de deux millions de personnes apportent leur soutien à cette action, un record en France pour une pétition en ligne.
Pas satisfaites de la réponse du gouvernement, les quatre ONG, depuis rejointes par d'autres, comme la Fondation Abbé Pierre et la Fédération Nationale d'Agriculture Biologique, déposent formellement le recours contre l'Etat en mars 2019.
La première audience doit avoir lieu jeudi au tribunal administratif de Paris.
« On est plein d'espoir pour cette audience et la décision qui va s'en suivre », indique Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France, qui souhaite que la justice reconnaisse que « l'Etat n'en fait pas assez ».
« La cerise sur le gâteau serait une décision d'enjoindre l'Etat à en faire plus pour replacer la France sur la trajectoire de l’Accord de Paris », qui vise à limiter le réchauffement de la planète à +2°C, si possible +1,5°C, poursuit-il.
Les requérants sont encouragés par la récente décision du Conseil d'Etat, saisi par la commune de Grande-Synthe qui s'estime menacée de submersion sur le littoral du Nord.
Le 19 novembre, la plus haute juridiction française a en effet donné trois mois à l'Etat pour justifier de ses actions en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Les deux affaires « sont complémentaires », même si l'Affaire du siècle soulève en plus la question du « préjudice écologique », explique Cécilia Rinaudo.
« C'est déjà maintenant »
La réparation demandée est seulement d'un « euro symbolique », mais l'objectif est de « faire reconnaître la responsabilité de l'État » dans ce préjudice, insiste-t-elle.
Alors que la France s'est engagée à réduire de 40% ses émissions d'ici 2030 par rapport à 1990, les ONG requérantes lui reprochent d'avoir dépassé les budgets carbone qu'elle s'était fixée. Un point reconnu par le Conseil d'Etat en novembre.
Elles relèvent également des manquements en terme de rénovation énergétique des bâtiments ou de développement des énergies renouvelables. Et pointent du doigt les impacts directs sur la vie quotidienne des Français, leur santé ou leur niveau de vie.
Une centaine de témoignages parmi plus de 25 000 recueillis en ligne sont d'ailleurs joints au dossier. Comme celui de Jean-François, producteur de moules de bouchot à Oléron. « Pour moi, le changement climatique --avec l'augmentation de la fréquence des catastrophes naturelles, la hausse des températures des mers et la progression de l'érosion du littoral--, c'est déjà maintenant », s'inquiète-t-il.
De son côté, le gouvernement rejette les accusations d'inaction, mettant en avant notamment la loi énergie-climat de 2019 qui « renforce les objectifs climatiques », en visant la neutralité carbone à l'horizon 2050 ou une baisse de 40% de la consommation d'énergies fossiles d'ici 2030.
Dans son mémoire de défense, il rejette également la demande de réparation d'un préjudice écologique, notant que l'Etat ne peut être tenu seul responsable du changement climatique alors que la France représente environ 1% des émissions mondiales.
Alors que l'enjeu climatique investit de plus en plus les salles d'audience, en France comme dans de nombreux pays du monde, les défenseurs du climat savent bien que cette forme d'action peut être à double tranchant.
« Si on perd, ce sera alors facile pour l'Etat de dire +on a gagné en justice, alors arrêtez avec vos demandes incessantes+ », admet Jean-François Julliard. Mais une victoire permettrait de mettre la pression pour renforcer l'ambition du projet de loi issu de la Convention citoyenne pour le climat, espère-t-il.
Les ONG accusent le gouvernement d'avoir dénaturé les propositions des Citoyens dans ce texte qui doit être présenté en Conseil des ministres début février.