TUNIS: Les réformes économiques nécessaires pour ouvrir une économie dont la moitié des activités sont encore soumises à autorisation tardant à être mise en œuvre, la Banque mondiale (BM), le FMI et consorts ont conclu avec le gouvernement un nouvel accord. Cette démarche collective a à la fois pour objectif de lui faciliter la tâche et, estiment certains, de lui adresser un avertissement.
Le 14 décembre 2020, Antonius Verheijen, responsable des opérations de la Banque mondiale dans le pays, a rencontré au palais du Bardo les membres de la commission des finances de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour discuter avec eux des «engagements financiers de la Tunisie avec la Banque mondiale». C’est la première fois que le représentant d’un bailleur de fonds international se livrait à ce genre d’exercice.
À cette occasion, M. Verheijen a dévoilé aux députés les grandes lignes du nouvel accord conclu avec le précédent gouvernement. Conformément à cet accord, confirmé par l’actuel gouvernement dirigé par Hichem Mechichi, la Tunisie va continuer à recevoir un appui budgétaire en contrepartie de réformes structurelles.
«Nous avons travaillé pendant deux ans avec les différents gouvernements et interlocuteurs sur une priorisation des mesures afin d’arriver à une matrice conjointe pouvant être financée par plusieurs partenaires ensemble et plus gérable pour le gouvernement en termes d’engagements. Il fallait aboutir à un engagement sur lequel la Tunisie soit capable de valider tous les objectifs, et à une approche réaliste qui aide le pays à avancer sur les réformes économiques et sociales», déclare-t-il. Le but étant de contribuer à une «transition vers un système économique bénéficiant davantage à toute la population tunisienne». Autrement dit, à faire sortir le pays de l’économie de rente qu’un rapport de la Banque mondiale avait pointé du doigt en 2013.
S’il a su être diplomate dans la partie publique de son intervention, le représentant de la BM a dû l’être beaucoup moins dans celle qui n’a pas été, à sa demande, diffusée en streaming. Et il y avait de quoi, tant les bailleurs de fonds sont déçus par le non-respect de la Tunisie de ses engagements en matière de réformes. En conséquence, les rapports avec ces organismes se sont dégradés, et particulièrement avec le Fonds monétaire international (FMI), principal prêteur. Ce dernier, rappelle Ezzeddine Saïdane, ancien PDG de banque reconverti dans le conseil financier, a donc dû annuler 1,7 sur les 2,8 milliards de dollars (soit 1,4 sur les 2,31 milliards d’euros) octroyés en 2016 et, assure-t-il, suspendre le dialogue avec la Tunisie.
Les gouvernements successifs depuis 2011 «n’ont eu de cesse de promettre sans exécuter, ou très peu. Cette tactique n’était pas intentionnelle au départ. Elle l’est devenue après. Elle permettait aux gouvernements en place de régler des problèmes ponctuels de trésorerie et de réponse à des exigences sociales sans s’attaquer aux problèmes de fond et encore moins aux réformes toujours promises et jamais mises en œuvre», analyse Radhi Meddeb, président de Comete Group, bureau d'étude et d'ingénierie pluridisciplinaire opérant au Maghreb, en Afrique sub-saharienne et au Moyen Orient.
Mme Mouna Hamden, spécialiste du développement du secteur privé à la Banque mondiale, évoque, pour donner un exemple de la réticence des Tunisiens à réformer, le cas des autorisations dans certains secteurs d’activités. Poussant à la «simplification des procédures pour favoriser l’émergence d’un nouveau secteur privé», la banque s’était entendue avec les autorités en 2018 pour que vingt-sept autorisations soient annulés ou remplacées par des cahiers des charges en six mois. Plus de deux ans plus tard, seules neuf d’entre elles ont été remplacées par des cahiers des charges – en raison, observe Mme Hamden, de «la résistance du secteur privé et des administrations sectorielles».
Son patron détecte, lui, trois autres facteurs de blocage. Le premier est le manque de motivation des fonctionnaires, qui ne sont pas intéressés financièrement lorsqu’ils s’attèlent corps et âme à la mise en œuvre de projets de développement. Pire, ils courent même le risque de faire l’objet d’accusations, et même d’en pâtir dans l’évolution de leur carrière, regrette M. Verheijen, qui a proposé, en vain, aux autorités de créer des cellules dédiées et d’en rémunérer les membres sur la base des résultats.
Le deuxième obstacle, ce sont les procédures de passation des marchés, «très lourdes et très longues». Car les autorités ignorent un arrangement avec la Banque mondiale qui stipule que, dans les accords financiers internationaux, ce sont ses procédures qui s’appliquent, et elles y ajoutent les leurs. Enfin, le système de contrôle financier ajoute lui aussi à la lourdeur des procédures.
Pour sortir de cette impasse, les bailleurs de fonds ont décidé en 2018 de changer d’approche et de traiter désormais collectivement avec la Tunisie. «C’est probablement pour peser qu’ils ont uni leurs efforts», note Radhi Meddeb. Ezzeddine Saïdane et Habib Karaouli, quant à eux, voit dans ce changement respectivement «un avertissement» et «une marque de défiance vis-à-vis du gouvernement» ainsi qu’«un accroissement de la pression exercée pour amener les dirigeants à de meilleures dispositions».
Un nouvel accord «financement contre réformes» a été conclu en juillet 2020, dans lequel les autorités se sont engagées à mettre en œuvre, d’ici à 2023, des réformes dans la logistique, les énergies renouvelables, le secteur public – entreprises et administration.
La Tunisie respectera-t-elle ses nouveaux engagements? Le patron de Comete Group semble sceptique, lui qui relève qu’«à peine ces réformes convenues, les matrices “conditionnelles” retenues et les accords de prêts signés, le gouvernement retirait de l’agenda de l’ARP un projet de loi [relatif à la réforme des entreprises publiques], jugé par les bailleurs de fonds, comme élément essentiel de ce “package”.»
Mais même les chantiers de transformation effectivement lancés tardent à aboutir. D’autres réformes (recapitalisation des banques publiques, nouveau statut de la Banque centrale, nouvelle loi bancaire, loi PPP [partenariat public/privé], loi sur les énergies renouvelables, Startup Act, loi transversale d’appui à l’investissement, loi sur l’économie sociale et solidaire, loi sur le financement participatif ou crowdfunding, etc.) ont été votées par l’ARP. Mais soit elles sont en attente de textes d’application, soit elles n’ont pas eu d’effets notables», regrette le patron de Cap Bank.