TUNIS : Six ans après s’être désengagé pour des raisons de sécurité, le voisin nord de la Libye est de retour dans le but de récupérer un marché dont elle a perdu une grande partie. Les Libyens y trouvent également leur compte.
Remotivés par les négociations de paix en cours, entrepreneurs tunisiens et libyens, entravés par la deuxième guerre civile libyenne, qui a fortement affecté les relations économiques et commerciales entre la Tunisie et la Libye, s’activent pour préparer la relance.
À l’occasion d’un atelier organisé à Tunis du 6 au 9 décembre 2020 par l’agence Expertise France et l’Union européenne, Mohamed Bachir Douzan, directeur général de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture et de Tripoli (CCIAT), a évoqué le 8 décembre avec son homologue de la Chambre de commerce et d’industrie de Tunis (CCIT), Mohamed Sahib Husseini, les «possibilités de coopération et de partenariat» (voir encadré).
En nommant, au mois de septembre dernier, un nouvel ambassadeur en Libye, le premier depuis 2014, la Tunisie manifeste le désir d’être de retour dans ce pays, six ans après s’en être éloigné, fermant son ambassade, ses consulats et ses deux représentations commerciales à Tripoli et Benghazi en raison de la dégradation de la situation sécuritaire.
À cet effet, M. Ajili s’est entretenu le 30 novembre, pour la première fois, avec Al Seddik Omar al-Kebir, gouverneur de la Banque centrale de Libye, afin de préparer le terrain.
Par ailleurs, le 9 décembre, il a rencontré à Benghazi, en compagnie d’Ali Dhaouadi, président de la Chambre de commerce tuniso-libyenne (CCTL), les présidents des chambres de commerce, d’industrie et d’agriculture de cette région de l’Est et de Sebha (à 770 kilomètres au sud de la capitale libyenne).
Cette mission avait, selon le mot de Dhaouadi, un double objectif: d’abord, «reconstruire la confiance entre toutes les parties» – car, en sortant de sa traditionnelle neutralité pour soutenir le gouvernement de l’Ouest au détriment de celui de l’Est, la Tunisie a fait grincer des dents; ensuite, établir des liens avec les commerçants de Benghazi et Sebha, afin que les produits tunisiens puissent y être distribués.
Signe de l’importance qu’accordent les opérateurs des deux pays aux relations économiques et commerciales tuniso-libyennes, le nombre d’organismes dédiés à leur développement ne cesse d’augmenter. Deux jours plus tôt, le 28 novembre, le Libyan Tunisian Conseil of Cooperation (LTCC, Conseil de coopération tuniso-libyen) est créé, à l’initiative de Saber Bouguerra, un homme d’affaires d’origine tunisienne. Il vient s’ajouter à la Chambre économique mixte tuniso-libyenne, partenaire du Conseil d’affaires tuniso-libyen.
Du côté tunisien, la CCTL disposait d’un quasi-monopole sur ce créneau avant 2011. Depuis, de nouveaux acteurs sont venus la concurrencer, dont le Conseil supérieur des hommes d’affaires tunisiens et libyens (CSHATL), lancé par l’homme d’affaires Abdelhafidh Sakroufi, qui se démène pour s’imposer comme un acteur important des relations tuniso-libyennes.
Le 14 décembre, cet entrepreneur a présenté à Tunis son programme d’activités pour l’année 2021: une série de rencontres tout au long de l’année, en Tunisie et en Libye, pour stimuler le courant des échanges entre les deux pays.
Au mois d’avril 2018, on a vu arriver sur ce terrain le Conseil d’affaires tuniso-libyen (CATL), créé par le Tunisian African Business Council (TABC), lui-même fondé en 2015. Il réunit le 11 février 2021 à Sfax, capitale économique du Sud, la troisième édition de son Forum économique Tunisie-Libye.
Des structures généralistes tunisiennes travaillent également sur la Libye. Parmi elles figurent, outre la Chambre de commerce et d’industrie de Tunis, les syndicats patronaux, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) – organisation mère de la CCTL –, la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie, le Centre de promotion des exportations et la Banque centrale de Tunisie (BCT). La «mère» des banques tend à devenir plus active dans les relations tuniso-libyennes. En effet, elle a pour gouverneur, depuis février 2018, Marouane Abassi. Ce grand connaisseur de la Libye est bien connu du peuple libyen puisqu’il fut représentant de la Banque mondiale dans ce pays. Le 27 novembre 2020, la BCT a organisé un webinar afin de discuter des moyens pour surmonter les obstacles financiers et bancaires qui entravent les échanges entre les deux pays. Et ce n’est pas fini, puisqu’on annonce déjà la prochaine réunion de la Commission supérieure mixte tuniso-libyenne.
Les chambres de commerce de Tunis et de Tripoli préparent l’après-guerre
La CCIT et la CCIAT se préparent à rattraper le temps perdu. Le 8 décembre à Tunis, leurs directeurs respectifs, Mohamad Bachir Douzan et Mohamed Sahib Husseini, sont convenus de «réactiver le partenariat et la coopération entre les deux chambres et les deux pays». Cet engagement a été immédiatement concrétisé par un premier projet.
La CCIT va aider la CCIAT à mettre en place un portail Internet, un dispositif CRM (Customer Relationship Management) et un système d’information, ainsi qu’à numériser ses documents et archives.
De son côté, la chambre tripolitaine a promis d’accorder à son partenaire «et à la Tunisie la priorité dans l’accès au marché libyen, de l’impliquer dans les grands projets d’infrastructures, et de favoriser l’emploi de la main d’œuvre tunisienne».
Les deux parties vont également tenter de lever les entraves des échanges commerciaux, de multiplier les entrevues afin d’identifier des domaines de coopération, et de soumettre des projets communs à l’Union européenne et à l’Agence française de développement afin qu’elles les financent.
Enfin, elles vont mettre à jour un accord de coopération conclu en avril 2011, c’est-à-dire en pleine guerre civile libyenne, et dont l’objet principal était de répondre au principal souci des Libyens à l’époque: garantir l’approvisionnement de la population en produits de première nécessité.
Mounir Mouakhar, président de la CCIT, compte conduire une délégation d’hommes d’affaires à Tripoli dans le courant de l’année 2021 afin d’initier la mise en œuvre du nouveau programme de coopération et d’ouvrir ainsi une nouvelle page dans le chapitre des relations avec son partenaire libyen.
Une nouvelle page dont la préparation avait commencé, en réalité, lors d’une rencontre entres des hommes d’affaires des deux pays, en février 2020. Le but de cette réunion était d’évoquer le rôle des banques dans le financement de l’investissement. Ses participants s’étaient prononcés en faveur de la création d’un fonds d’investissement tuniso-libyen afin d’y contribuer.