Chaque année, à Noël, tous les regards se tournent vers Bethléem, où les souvenirs d'il y a deux millénaires semblent renaître. Des images de l'Enfant Jésus dans une crèche, entouré de bergers et de Rois mages, ornent les églises chrétiennes du monde entier.
Au cours des six dernières décennies, ces images se sont complètement détachées de la réalité moderne de Bethléem. Peu de gens savent que la ville est palestinienne et encore moins qu'elle est sous occupation illégale. Les médias la présentent souvent à tort comme faisant partie d'Israël. D'ici Noël 2025, de telles allégations pourraient devenir réalité, compte tenu des ambitions israéliennes d'annexer la Cisjordanie.
Le sort des Palestiniens vivant dans cette région ou ailleurs en Palestine reçoit peu d'attention. Beaucoup se contentent de l'idée erronée que tous les Palestiniens sont musulmans.
Les chrétiens de Gaza passent souvent inaperçus. Il s'agit d'une petite communauté ancienne, comptant environ 1 000 membres avant le début de la guerre. Comme tous les Palestiniens de Gaza, ils subissent depuis près de 15 mois des souffrances inimaginables, dans ce que beaucoup considèrent comme un génocide. Nombreux sont les pratiquants qui se rendent à l'église Saint-Porphyre de Gaza, l'une des plus anciennes du monde. Depuis plus d'un an, elle sert d'abri aussi bien aux chrétiens qu'aux musulmans.
Une grande partie de l'église est aujourd'hui en ruines à la suite d'un bombardement israélien qui a fait 18 morts le 19 octobre dernier. Le fait de prendre délibérément pour cible des édifices religieux constitue un crime de guerre au regard du droit international. De nombreuses mosquées ont également été bombardées. La perte du patrimoine culturel palestinien à Gaza est considérable, mais elle est loin d'être l'aspect le plus dévastateur des atrocités commises par Israël.
Mais les chrétiens palestiniens de Cisjordanie ont eux aussi beaucoup à craindre.
Bethléem, déjà isolée de la majeure partie de ses terres, se retrouve complètement encerclée par des colonies israéliennes illégales. Les ministres israéliens ont accéléré l'expansion de ces colonies sous prétexte de la guerre. En août, un feu vert a été donné pour la colonie de Nahal Heletz, à proximité de Battir, un site classé au patrimoine mondial de l'humanité, à l'ouest de Bethléem. Cette nouvelle colonie dans la vallée de Makhrour reliera les vallées de Crémisan et d'Al-Walaja, avec pour objectif de séparer Bethléem du reste de la Cisjordanie. Les chrétiens détiennent 91% des terres de cette vallée. Une fois la construction achevée, Bethléem perdra l'une de ses dernières zones agricoles.
Le tourisme, qui représente une source majeure de revenus pour Bethléem, s'est totalement effondré. Autrefois, la ville attirait 1,5 million de visiteurs chaque année. Face à la situation, de nombreux commerces locaux ont été contraints de fermer leurs portes.
La présence palestinienne à Jérusalem, et en particulier celle des chrétiens, est sans doute encore plus menacée. La proportion de chrétiens au sein de la population de la ville est passée d'environ un quart au début du XXe siècle à moins de 2% aujourd'hui.
Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement de coalition israélien d'extrême droite en décembre 2022, ses partisans les plus radicaux intensifient leurs attaques contre les chrétiens de la ville sainte, signalant une hausse significative des agressions à leur égard. Même les prêtres sont bousculés. Certains extrémistes israéliens ont scandé des slogans tels que «Mort aux Arabes, Mort aux chrétiens». De nombreux chrétiens ont été victimes d'insultes et des tombes ont été profanées.
Les colons ont également ciblé le quartier arménien de la vieille ville, où une vaste parcelle de terrain risque d’être saisie. Les Arméniens, présents dans la vieille ville depuis au moins le IVe siècle, n’ont d’autre choix que d'assurer une surveillance constante pour défendre leur terre.
Cette situation fait partie d'une stratégie délibérée de judaïsation de l’ensemble du territoire sacré de la ville. Jérusalem, surnommée «la ville de la paix» depuis des siècles, s'éloigne aujourd’hui considérablement de cette image. Elle a connu ses heures de gloire lorsque les trois grandes religions monothéistes coexistaient en harmonie.
Les chrétiens palestiniens vivant à l'extérieur de Jérusalem se trouvent dans une situation d'isolement. Ceux qui résident à Bethléem, par exemple, se voient généralement interdits d'accéder à la ville pour prier, même à des occasions religieuses majeures comme Pâques et Noël. Certains n'ont même jamais eu l'opportunité de s'y rendre. Quant à ceux de Gaza, l'accès à Jérusalem est actuellement totalement impossible, et avant même le déclenchement de la guerre en cours, cela relevait de l'impossibilité quasi totale. Il m'est encore plus facile, depuis Londres, de me rendre à l'Église du Saint-Sépulcre à Jérusalem que pour ceux qui résident à seulement dix kilomètres de là.
Les chrétiens palestiniens font pleinement partie de la société palestinienne. À l'instar de tous les Palestiniens, ils méritent notre solidarité, en particulier en cette période où leur existence même est gravement menacée.
Ce qui est peut-être le plus extraordinaire, c'est la façon dont de nombreuses communautés chrétiennes, notamment aux États-Unis, sont totalement aveugles à leurs souffrances et à la discrimination systémique à laquelle elles sont confrontées. Même les sionistes chrétiens, qui se comptent par millions, soutiennent l'occupation israélienne qui menace d'éradiquer une présence chrétienne vieille de 2 000 ans en Terre sainte.
Cependant, même parmi les autres communautés chrétiennes, l'ignorance du sort de leurs coreligionnaires palestiniens demeure frappante. Cette méconnaissance pourrait également s'étendre aux chrétiens du Liban et de la Syrie, qui traverseront, eux aussi, un autre Noël difficile. Lorsque les chrétiens du monde entier se réuniront dans leurs églises pour célébrer Noël, peut-être penseront-ils à ceux qui luttent pour préserver leur foi dans la terre où tout a commencé.
Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding basé à Londres.
X: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com