Les hauts et les bas de ces dernières semaines ont été accablants pour de nombreux Syriens. Les incroyables scènes de fête qui se sont déroulées vendredi dans les villes syriennes illustrent la joie d'être libérés d'Assad pour la première fois depuis 53 ans. Les Syriens ont attendu des lustres pour profiter de ce moment et ils devraient être autorisés à le faire, compte tenu de toutes les horreurs commises au cours de ces années.
Mais si seulement la joie pouvait transformer la Syrie en un État pacifique, prospère et sûr. Un travail acharné et des luttes acharnées nous attendent. Cette voie ne peut être empruntée avec succès et en bon ordre qu'avec l'aide constructive et positive des acteurs régionaux et internationaux.
Un certain degré d'humilité est nécessaire. Il n'y a guère qu'un seul acteur qui ait eu une histoire constructive et réussie dans ses relations avec la Syrie. À certains moments, de nombreux États ont excusé Bachar Assad, voire soutenu son régime. Ceux qui se sont activement impliqués en Syrie au cours des 14 dernières années l'ont fait en grande partie pour leurs propres intérêts étroits et rarement pour ceux du peuple syrien. Au lieu de contribuer à l'unification de la Syrie, leurs actions l'ont trop souvent polarisée. Certains ont soutenu des groupes extrémistes en leur fournissant des armes, mais jamais assez pour renverser le dictateur.
L'Europe et les États-Unis ont de plus en plus abandonné leurs responsabilités à l'égard des Syriens, en réduisant leur aide et en dressant d'immenses barrières aux demandeurs d'asile. La plupart des États européens ont à peine attendu qu'Assad ait libéré l'espace aérien syrien pour annoncer une pause dans les demandes d'asile des Syriens.
Que peuvent faire les principaux acteurs internationaux ? Tout d'abord, ils ne doivent pas croire qu'ils connaissent la Syrie. Le pays a changé, ses habitants ont été traumatisés et polarisés. Peu de gens ont eu accès à la Syrie et, s'ils l'ont fait, ce n'est pas dans sa totalité. Les hypothèses doivent être remises en question à chaque étape.
Cette voie ne peut être empruntée avec succès qu'avec l'aide constructive des acteurs régionaux et internationaux.
- Chris Doyle
Il est donc primordial d'écouter les Syriens de toutes les identités et de tous les milieux, en particulier ceux qui se trouvent à l'intérieur du pays. Pour rédiger cet article, je me suis largement appuyé sur les contributions des Syriens. N'oubliez pas que de nombreux Syriens n'ont pas pu se déplacer dans leur pays ; ils ont en fait été emprisonnés dans leur propre région. Il n'y a pas de raccourcis. Les responsables politiques et les diplomates devront s'adresser à de multiples acteurs. Une recherche détaillée est essentielle.
Les puissances extérieures doivent abandonner l'obsession historique de savoir qui dirigera la Syrie. Dans de telles situations, elles veulent toujours savoir qui. Le processus de transition est plus important. Celui-ci doit être inclusif, légitime et crédible. Il doit garantir que toutes les composantes de la société syrienne sentent qu'elles sont concernées par ce qui se passe et qu'elles ont leur mot à dire.
À l'heure actuelle, cela signifie qu'il faut veiller à ce que Hayat Tahrir Al-Sham n'essaie pas de s'arroger tous les pouvoirs. Ses dirigeants chercheront désespérément à obtenir une reconnaissance internationale. Celle-ci doit être conditionnée à une transition inclusive et à des normes de base en matière de droits de l'homme. Le HTS n'a pas l'habitude de partager le pouvoir, mais il faut lui faire comprendre que cela doit changer.
Si les dirigeants de la transition prennent une direction décente, les États qui ont interdit le HTS pourraient envisager de lever ce statut et de s'engager avec lui. Nombreux sont ceux qui espèrent que le HTS lui-même sera dissous, dans le cadre d'un démantèlement de tous les groupes armés et de la formation d'un éventail varié de groupements politiques.
L'économie syrienne a besoin d'être relancée. Les Syriens sont bien éduqués et ont l'esprit d'entreprise, mais les sanctions américaines et européennes devront être allégées. Elles peuvent être supprimées progressivement, en donnant la priorité à la levée des sanctions qui affectent le plus les Syriens ordinaires, dont 90 % vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Il faut s'attaquer à la crise humanitaire. Les États donateurs doivent veiller à ce que l'aide parvienne à ceux qui en ont le plus besoin dans tout le pays. Auparavant, le régime Assad manipulait l'aide internationale en la concentrant dans les zones loyalistes. Une aide au développement qui aiderait les Syriens à relancer l'économie agricole du pays serait très judicieuse. Aider le système éducatif à se remettre sur pied serait un investissement vital à long terme.
Le HTS n'a pas l'habitude de partager le pouvoir, mais il faut lui faire comprendre que cela doit changer
- Chris Doyle
Les avoirs d'Assad gelés dans des pays étrangers pourraient être débloqués au profit du peuple syrien. Au Royaume-Uni, par exemple, des recherches montrent qu'Assad a mis de côté la coquette somme de 163 millions de livres sterling (206 millions de dollars).
Les Nations unies doivent jouer un rôle central. Elle peut rassembler les différents acteurs. Elle jouit d'un degré de légitimité que les autres organismes internationaux n'ont pas.
Mais l'ONU doit renforcer sa présence. La Russie ne doit pas jouer le rôle de trouble-fête, étant donné son droit de veto au Conseil de sécurité. Idéalement, le secrétaire général devrait chercher un nouvel envoyé de l'ONU en Syrie, qui aurait un mandat plus fort que celui de Geir Pedersen, l'envoyé actuel. Le nouvel envoyé devrait être un Arabe de renom, capable de s'adresser aux Syriens dans leur propre langue et de s'imprégner de leur culture.
Enfin, les acteurs internationaux doivent freiner les puissances extérieures qui s'ingèrent activement dans ce moment délicat. Israël doit mettre fin à sa campagne de bombardements sauvages et à ses nouveaux accaparements de terres. La Turquie doit cesser sa campagne contre les Kurdes en échange d'accords politiques et de garanties de sécurité.
Tous doivent comprendre qu'une Syrie forte et stable contribuera à la sécurité régionale et internationale, tandis qu'un État défaillant constituera une menace permanente de grande ampleur.
Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding basé à Londres
X: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com