Il est difficile pour tout observateur de comprendre ou d’expliquer la dernière action israélienne contre l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Après la création de l’État d’Israël en 1948, il lui a fallu deux ans pour devenir membre à part entière de l’ONU, alors naissante. Parmi les questions clés qui ont retardé l’intronisation d’Israël figurait le statut de centaines de milliers de Palestiniens dont il avait fait des réfugiés. Pour sa part, l’ONU avait adopté une résolution claire et sans ambiguïté (résolution 194 de l’Assemblée générale) garantissant le droit au retour des réfugiés palestiniens et une compensation pour les pertes qu’ils avaient subies. Des décennies plus tard, lors des négociations, les Palestiniens ont insisté pour qu’Israël reconnaisse sa responsabilité historique et morale dans la crise des réfugiés palestiniens.
Les États-Unis, désireux d’alléger les terribles conditions humanitaires dans lesquelles les réfugiés palestiniens vivaient sous des tentes dans les pays aux limites d’Israël, ont contribué à la création de l’UNRWA, qui a commencé ses activités en 1950. L’Amérique était le plus grand donateur de cette agence de l’ONU jusqu’à ce que le président Donald Trump prenne le pouvoir et coupe l’aide. Cette action, qui s’est partiellement poursuivie sous l’administration Biden en raison des pressions pro-israéliennes au Congrès, a aiguisé l’appétit des membres du gouvernement israélien de droite qui ont toujours espéré que la question des réfugiés palestiniens disparaisse purement et simplement.
L'UNRWA fournit des services d’aide humanitaire à 5,9 millions de réfugiés palestiniens en Cisjordanie et à Gaza, ainsi qu’en Jordanie, en Syrie et au Liban. Il est leur principale source d’aide humanitaire. Ses services comprennent la satisfaction des besoins fondamentaux tels que l’éducation, l’alimentation, les soins médicaux et la distribution de carburant. Sa fermeture risque inévitablement d'entraîner l’effondrement de la principale source de vie des Palestiniens. L’Office n’est pas un organe politique et s’est abstenu de toute action politique. L’UNRWA s’est strictement conformée au mandat régulièrement approuvé par les Nations unies.
Le mandat de l’agence, tel que défini par l’Assemblée générale des Nations unies, est de servir les “réfugiés de Palestine”. Ce terme a été défini en 1952 comme toute personne dont “le lieu de résidence habituel était la Palestine pendant la période allant du 1er juin 1946 au 15 mai 1948 et qui a perdu à la fois son domicile et ses moyens de subsistance à la suite du conflit de 1948”. Les réfugiés de Palestine sont à la fois ceux qui répondent à cette définition et les descendants de pères répondant à cette définition.
Les membres du gouvernement israélien de droite qui ont toujours espéré que la question des réfugiés palestiniens disparaisse purement et simplement.
Daoud Kuttab
Pendant des années, Israël et ses partisans se sont focalisés sur cette agence humanitaire, essayant de la faire disparaître en faisant pression sur les pays pour qu’ils ne la financent pas ou en faisant des déclarations, parfois en inventant des histoires, sur l’UNRWA ou son personnel. La dernière invention en date, selon laquelle quelques membres de l’énorme personnel local de l’UNRWA auraient participé aux attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre, a été démentie par un comité d’enquête de haut niveau mis en place par le secrétaire général de l’ONU. Une enquête de l’ONU publiée en avril n’a trouvé aucune preuve d'actes répréhensibles de la part du personnel de l’UNRWA, notant qu’Israël n’avait pas répondu aux demandes de noms et d’informations ni “informé l’UNRWA de préoccupations concrètes concernant le personnel de l’UNRWA depuis 2011”.
Bien qu’Israël n’ait pas réussi à convaincre le monde de ses accusations et malgré les pressions exercées par ses alliés pour qu’il n’approuve pas l’interdiction, 92 des 120 membres de la Knesset ont voté lundi en faveur de l’interdiction pour l’UNRWA de travailler en Israël et 87 ont soutenu l’interdiction pour les autorités de l’État d’avoir des contacts avec l’agence, paralysant ainsi sa capacité à opérer dans les territoires occupés.
Les ministres des affaires étrangères du Canada, de l’Australie, de la France, de l’Allemagne du Japon, de la Corée du Sud et du Royaume-Uni ont critiqué cette semaine la proposition d’interdiction, affirmant qu’elle pourrait avoir des conséquences dévastatrices” en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Cette décision est intervenue peu après que les autorités israéliennes ont confisqué le terrain de Jérusalem-Est où se trouve le siège de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). Israël prévoit de construire sur ce site 1 440 unités de peuplement, qui sont illégales au regard du droit international.
Alors que la communauté internationale, sous l’immense pression israélienne, débattait de l’opportunité et du montant des fonds à allouer à cette importante agence des Nations unies, personne ne s’attendait à ce qu’Israël agisse de manière aussi impitoyable et vote dans sa plus haute chambre législative pour interdire à l’UNRWA de fournir une aide humanitaire aux Palestiniens dans le besoin.
Ce que fait Israël dans un conflit qu’il qualifie de guerre existentielle affaiblit son propre statut au sein de la communauté mondiale.
Daoud Kuttab
Depuis des décennies, Israël exige que le monde, y compris ses ennemis, reconnaisse son droit à l’existence. Mais en interdisant une agence des Nations unies, Israël affaiblit sa propre légitimité.
Le folklore regorge de proverbes qui s’appliquent à ce qu’Israël, un État membre des Nations unies tenu de respecter la Charte de l’ONU, envisage de faire à l’UNRWA. “Ne crache pas dans le puits duquel tu bois” et “ne scie pas la branche sur laquelle tu es assis” sont deux exemples qui semblent illustrer parfaitement la folie d’un pays qui ne s’inquiète pas de sa propre légitimité et qui agit contre la seule agence internationale qui lui a donné la permission d’exister.
Ce que fait Israël dans un conflit qu’il qualifie de guerre existentielle affaiblit son propre statut au sein de la communauté mondiale. Lorsque vous volez la terre d’autrui et créez un pays sur leurs propriétés, la dernière chose que vous voulez faire c’est de renforcer ceux qui remettent en question votre propre existence.
Ainsi, alors que les éléments racistes en Israël tentent de faire disparaître de problème des réfugiés palestiniens, cette démarche risque d’avoir l’effet inverse. En tant qu’État membre des Nations unies interdisant une agence de l’ONU, Israël a contribué à renforcer la demande de ses ennemis et oblige la communauté internationale à envisager sérieusement son adhésion à l’organisme mondial qui lui a jadis accordé sa reconnaissance.
Daoud Kuttab est un ancien professeur à l'université de Princeton et le fondateur et ancien directeur de l'Institut des médias modernes de l'université Al-Quds à Ramallah.
X: @daoudkuttab
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com