PARIS: Pour sa cinquième édition, «Menart Fair», une foire regroupant des artistes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, organisée à Paris sur une base annuelle, a opté pour un parti pris, en choisissant de consacrer cette édition aux artistes femmes.
Sur trois étages de la galerie Joseph, dans le quartier animé du Marais, environ une centaine d’artistes femmes représentées par des galeries venant de douze pays arabes racontent, par leurs œuvres, leur vécu, leur histoire, leur espoir, leur ambition et leur rejet ou frustration.
À l’image de la profusion artistique du monde arabe, la foire tente d’exprimer toutes les nuances du ressenti féminin concernant le corps, l’identité, la société, la justice… pour mettre en lumière le dynamisme des femmes arabes et l’authenticité de leurs expressions, méconnus en Occident.
Parmi les artistes exposées, il y a des pionnières telles que la Marocaine Chaïbia Talal, peintre autodidacte et intrépide, la Libanaise Ettel Adnan au style unique et aux couleurs vibrantes, ainsi que l’Algérienne Baya au style naïf dont l’art a suscité l’intérêt du maître Picasso; toutes les trois sont décédées.
Il y a aussi des artistes confirmées, telles que l’Égyptienne Hend Adnan et la Saoudienne Hanan Abdullah Bahamdan, qui concentre son travail sur des portraits de personnes, que l’on croise habituellement sans s’attarder pour les regarder.
Il y a ensuite les talents contemporains comme Amna Albaker du Qatar qui peint le désert intérieur que traversent les femmes dans le monde arabe, la Libanaise Zeina Assi qui explore l’urbanisation, l’identité et les dynamiques sociales au Proche-Orient.
Au milieu de ce foisonnement de lignes et de couleurs, et de cet enchaînement créatif, impossible de ne pas s’arrêter devant les œuvres de l’artiste saoudienne Yasmeen Sudairy et de l’artiste yéménite Raja Alhajj vivant en Arabie saoudite.
La singularité de leur travail réside dans le fait qu’elles créent en binôme, dans une symbiose qui interpelle et intrigue.
Sudairy – la plus jeune – a fait des études d’architecture qui se reflètent dans sa manière de peindre, alors qu’Alhajj est peintre autodidacte et actrice, plus dans la spontanéité surréaliste.
Ces deux mondes ont convergé finalement, à la suite de leur rencontre à Djeddah en 2016. «Je venais de perdre ma sœur», raconte Soudairy, dans un entretien accordé à Arab News en français. «Raja est tout de suite devenue comme une sœur pour moi», ajoute-t-elle.
Leurs affinités artistiques les ont poussées l’une vers l’autre. «J’ai tout de suite admiré la beauté de son coup de pinceau.»
Toutes deux ont un penchant pour les peintres surréalistes et Alhajj, nous dit Sudairy, «a une imagination excessivement fertile et, au fil du temps et de l’amitié, nos conceptions et nos expressions artistiques sont devenues spontanément similaires».
Leurs œuvres sont une fusion entre les formes organiques conçues par Alhajj et les formes mécaniques privilégiées par Sudairy, ce qui a donné naissance à un concept qu’elles ont nommé «parts of a whole» (fragments de tout) qui est devenu le centre de leur travail.
Pour les deux artistes, la peinture est comme une thérapie, une manière d’exorciser les problèmes de la vie, par les formes harmonieuses les couleurs contradictoires et l’abstraction, «c’est une sorte de désordre maîtrisé dont le but est paradoxalement, l’apaisement», indique Sudairy.
C’est une œuvre, souligne-t-elle, «purement sensorielle qui ne tend pas à exprimer une idée précise et qui n’a pas d’objectif commercial». «Nous cherchons à capter le regard loin de toute autre prétention.»
Laure d’Hauteville, organisatrice, de «Menart Fair» ne cache pas sa fierté face à cette foire cent pour cent féminine parce qu'ayant beaucoup travaillé dans le monde arabe, «je me suis rendu compte que tout ce j’ai monté dans le monde arabe était grâce aux femmes, qui me tendaient la main et me facilitaient les choses».
De retour à Paris, après l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, «nombreux autour de moi s’étonnaient de savoir que j’ai travaillé dans le monde arabe et m’interrogeaient sur les difficultés de ce travail parce que je suis une femme».
Elle avoue qu’elle ne comprenait pas ces interrogations, qui l’étonnaient au plus haut point d’autant plus qu’elles sont très éloignées de son expérience dans le monde arabe.
«Alors cette fois, j’ai décidé que j’allais casser les codes et montrer que les femmes arabes sont indépendantes. Elles font du bruit, elles sont solidaires entre elles, elles sont drôles, pleines de vie et elles sont créatives dans leurs domaines respectifs.»
D’Hauteville poursuit: «Tout le bonheur que j’ai ressenti en travaillant dans le monde arabe grâce aux femmes, je veux le montrer à la France et à l’Occident pour qu’ils sachent que la femme arabe n’a pas de tabous et que c’est une femme qui peut, quand elle dit qu’elle veut.»
C’est cela que «j’ai voulu mettre en avant à travers cette édition qui donne la parole aux femmes artistes, témoins de leur temps et illustrant l’histoire de leur pays en toute délicatesse et poésie» tout en étant «les gardiennes du patrimoine physique et mental».