De nombreux analystes s'attendaient à une réaction rapide et énergique de l'Iran à la suite de l'assassinat, le mois dernier, du chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, à Téhéran, par les forces israéliennes. On s'attendait à une attaque directe menée par l'Iran contre Israël, mais la situation semble avoir pris un tournant différent, un porte-parole du Corps des gardiens de la révolution islamique ayant déclaré, la semaine dernière, que l'Iran ne prendrait pas de « mesures hâtives ». Qu'est-ce qui a donc changé ? Quelles sont les dynamiques internes qui influencent cette retenue ?
Immédiatement après l'assassinat de Haniyeh, le guide suprême Ali Khamenei a émis des directives concernant les représailles de l'Iran contre Israël. Cette décision semble correspondre aux attentes de nombreuses personnes, y compris des responsables occidentaux, qui pensaient au début du mois qu'une riposte était imminente. L'armée américaine a même été mise en état d'alerte en prévision d'une éventuelle attaque iranienne. Le 4 août, le secrétaire d'État américain Antony Blinken a averti qu'une attaque iranienne contre Israël pourrait commencer dans les 24 à 48 heures.
La communauté internationale – en particulier ceux qui connaissaient les actions antérieures de l'Iran – était sur ses nerfs, anticipant une réponse immédiate et sévère. Cette attente était en partie ancrée dans l'histoire de l'Iran, en particulier à la suite des événements du 13 avril. Ce jour-là, l'Iran a lancé un barrage de drones et de missiles sur Israël, respectant ainsi son vœu de riposter à une attaque aérienne israélienne contre son consulat à Damas le 1er avril, qui a entraîné la mort de sept officiers du CGRI, dont des commandants de haut rang. Étant donné que l'Iran avait déjà réagi de la même manière et que Khamenei lui-même avait approuvé les représailles, le monde s'attendait à une escalade rapide.
Toutefois, le discours initial de l'Iran promettant une frappe rapide aurait pu être une réaction à chaud et il est possible que des esprits plus sages aient prévalu au fur et à mesure que le paysage politique évoluait. Certains pensent que les efforts diplomatiques des dirigeants mondiaux ont pu jouer un rôle en persuadant l'Iran de retarder ou de reconsidérer sa réponse. Néanmoins, cette retenue contraste fortement avec les actions de l'Iran en avril, ce qui soulève des questions quant à un changement de stratégie de la part de Téhéran.
Cette retenue contraste fortement avec les actions de l'Iran en avril, ce qui soulève des questions quant à un changement de stratégie de la part de Téhéran.
-Majid Rafizadeh
Selon une autre théorie, suggérée à Reuters par trois hauts fonctionnaires iraniens, Téhéran pourrait avoir suspendu son attaque alors qu'un accord de cessez-le-feu à Gaza semblait envisageable. Toutefois, cette stratégie semble incompatible avec les actions de l'Iran en avril, lorsque de telles considérations n'avaient pas été prises en compte.
Le changement au niveau des calculs politiques de l'Iran pourrait être motivé par la crainte de tomber dans un piège israélien. Téhéran pourrait percevoir que Tel-Aviv tente de provoquer un conflit direct avec l'Iran, en contournant ses habituelles batailles par procuration. Un tel conflit pourrait facilement attirer les États-Unis, qui se rangeraient probablement du côté d'Israël, ce qui ferait pencher la balance militaire de manière décisive en défaveur de l'Iran. Ce scénario présente un risque important pour Téhéran, ce qui pourrait justifier son hésitation à s'engager directement.
En outre, l'environnement géopolitique actuel diffère de celui du mois d'avril. À l'époque, l'administration Biden avait exercé des pressions considérables sur Israël pour éviter une escalade du conflit après l'attaque de l'Iran. Cette fois-ci, en revanche, cette pression diplomatique n'a pas été exercée. En outre, la récente décision du président Joe Biden de ne pas se représenter et de soutenir la vice-présidente Kamala Harris comme son successeur potentiel a peut-être modifié la dynamique politique, ce qui pourrait enhardir Israël et influencer la prise de décision de l'Iran.
En outre, le gouvernement iranien est probablement en train d'examiner attentivement les implications d'une guerre totale avec Israël - un scénario qui présente une multitude de défis sérieux. Sur le plan intérieur, l'Iran est aux prises avec d'importantes difficultés économiques qui ont rendu le pays vulnérable. Un conflit militaire prolongé avec Israël ne ferait qu'exacerber ces difficultés économiques, réduisant encore davantage les ressources déjà limitées de l'Iran et pouvant conduire à une instabilité financière généralisée. Le gouvernement est également bien conscient qu'une telle tension économique pourrait attiser le mécontentement et l'agitation au sein de la population.
Il est probable que le gouvernement iranien examine attentivement les conséquences d'une guerre totale avec Israël
- Majid Rafizadeh
À ces défis s'ajoute le déclin notable du soutien de l'opinion publique au gouvernement, comme en témoigne le faible taux de participation aux récentes élections présidentielles et législatives. Ce faible engagement reflète le désenchantement croissant de la population iranienne, de plus en plus frustrée par l'incapacité du gouvernement à résoudre les problèmes intérieurs, notamment les difficultés économiques, le chômage et les questions sociopolitiques. Les dirigeants de Téhéran comprennent qu'entrer en guerre avec Israël, surtout dans ces circonstances, pourrait pousser le mécontentement de la population jusqu'au point de rupture.
D'un point de vue militaire, l'Iran est parfaitement conscient de l'important déséquilibre des forces auquel il serait confronté en cas de conflit direct avec Israël, en particulier si les États-Unis participaient au conflit. Malgré les investissements considérables de l'Iran dans son armée et le développement de forces supplétives dans toute la région, les capacités militaires combinées d'Israël et des États-Unis sont de loin supérieures.
L'assassinat de Haniyeh à Téhéran a été un coup dur pour le gouvernement iranien, à la fois en termes de prestige et de sécurité réelle. Pour les dirigeants iraniens, en particulier le guide suprême, le fait de ne pas donner suite aux menaces de représailles pourrait être considéré comme un signe de faiblesse, ce qui nuirait encore plus à la crédibilité du régime. L'Iran se retrouve donc dans une position où il doit justifier son inaction, malgré ses promesses antérieures de vengeance rapide.
Néanmoins, il est probable qu'il maintienne l'option des représailles en tant que moyen de pression stratégique. En maintenant la menace de futures attaques, l'Iran peut garder Israël et ses alliés sur le qui-vive, en utilisant la possibilité d'une escalade comme monnaie d'échange pour promouvoir ses objectifs géopolitiques à plus grande échelle.
En conclusion, la décision de l'Iran de s'abstenir de lancer une attaque immédiate et directe contre Israël semble être le résultat de calculs politiques complexes visant à éviter un conflit potentiellement catastrophique qui pourrait impliquer les États-Unis et menacer le maintien au pouvoir du régime de Téhéran. Cependant, la menace permanente de représailles reste un élément clé de la stratégie iranienne, servant d'outil pour maintenir la pression sur Israël et garantir ses exigences sur les scènes régionale et internationale.
Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain diplômé de Harvard.
X: @Dr_Rafizadeh
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com