Au cours de la dernière décennie, le Moyen-Orient a été marqué par une ère de diversification. Les États du Golfe, en particulier, se sont lancés dans d'ambitieux programmes de diversification économique, transformant leurs économies traditionnellement dépendantes des hydrocarbures en renforçant leurs secteurs non pétroliers. Les acteurs régionaux ont investi dans divers secteurs, des énergies renouvelables aux sports en passant par le tourisme. L'esprit de diversification s'est également manifesté dans la politique étrangère et les partenariats internationaux de la région. Ces dernières années, les États du Golfe ont cherché à réduire leur dépendance à l'égard des partenaires occidentaux et l'Asie centrale est devenue une priorité.
Le Golfe et l'Asie centrale ont toujours entretenu des relations commerciales étroites, presque exclusivement axées sur le pétrole et le gaz. La majorité des réserves de pétrole et de gaz de la région sont concentrées au Kazakhstan et au Turkménistan. L'Ouzbékistan et le Tadjikistan possèdent également des réserves de pétrole, et d'autres explorations sont en cours. Le Kirghizstan possède d'abondantes réserves de charbon et, dans l'ensemble, la région est riche en ressources minérales.
Ces dernières années, cette région stratégiquement vitale a fait l'objet d'un intérêt économique important de la part des États du Golfe. Si le Golfe et l'Asie centrale abritent tous deux de riches réserves de pétrole et de gaz, les États du Golfe ont mieux réussi à mettre en place de solides industries des hydrocarbures. Par conséquent, leur capacité à utiliser cette expertise pour développer l'industrie des hydrocarbures en Asie centrale a encouragé la coopération stratégique entre les deux régions. Au-delà des hydrocarbures, les investissements du Golfe dans les infrastructures, l'agriculture et l'industrie manufacturière en Asie centrale sont également des moyens de garantir la sécurité alimentaire dans le Golfe.
L'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont été à l'avant-garde des investissements du Golfe en Asie centrale, bien qu'Oman et le Qatar se soient également joints à ces efforts. Si les fonds souverains du Golfe ont activement investi dans les secteurs nationaux non pétroliers, la diversification des investissements internationaux est également essentielle pour garantir les économies de l'après-pétrole dans la région. La coopération du Golfe avec l'Asie centrale ne se fait pas seulement au niveau bilatéral des États, mais aussi au niveau interrégional du Conseil de coopération du Golfe. La deuxième réunion des ministres des affaires étrangères du dialogue stratégique Asie centrale-CCG s'est tenue à Tachkent en avril.
Cet intérêt pour la coopération et la diversification économiques est apparu de manière égale dans les deux régions. Les investissements du Golfe ont permis aux cinq pays d'Asie centrale de diversifier leurs partenariats économiques et de réduire leur dépendance à l'égard d'une seule puissance. Les États d'Asie centrale, qui faisaient historiquement partie de l'Union soviétique et sont situés dans le voisinage immédiat de la Chine, dépendent traditionnellement de la Russie et de la Chine pour une grande partie de leurs activités économiques.
Toutefois, ils se méfient de la diplomatie du piège de la dette qui a caractérisé les investissements de l'initiative chinoise "la Ceinture et la Route". La situation économique difficile de la Chine sur le plan intérieur a également rendu son appétit pour les investissements internationaux de plus en plus incertain. Dans le même temps, l'influence de la Russie dans la région s'est affaiblie depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, qui a entraîné des sanctions internationales et une réorientation des ressources russes vers le front ukrainien. Cherchant à éviter l'expansionnisme culturel et économique des deux grandes puissances voisines et à diversifier ses partenariats internationaux, l'Asie centrale a accueilli favorablement les investissements du Golfe.
La relation croissante entre le Golfe et l'Asie centrale s'accompagne toutefois de ses propres défis. L'Asie centrale est un élément crucial de l'initiative chinoise "la Ceinture et la Route", une route commerciale internationale majeure. À cette fin, la Chine a réalisé d'importants investissements dans des projets d'infrastructure et d'énergie dans la région. Parallèlement, la Russie tient à préserver son influence économique et militaire historique dans la région. La Russie et la Chine sont également rejointes par la Turquie, un partenaire de longue date de l'Asie centrale compte tenu de leurs liens culturels et économiques étroits.
L'essor récent des investissements du Golfe en Asie centrale a donc transformé la région en un nouveau champ de bataille économique.
- Zaid M. Belbagi
Les investissements du Golfe dans la région peuvent en effet coexister et collaborer avec ceux de la Chine, de la Russie et de la Turquie, en particulier dans le domaine des infrastructures et des transports. Les investissements du Golfe dans les infrastructures de transport et de logistique dans des pays tels que le Kazakhstan, l'Ouzbékistan et le Turkménistan pourraient faciliter l'accès aux marchés européens et asiatiques, offrant ainsi à tous les États concurrents d'autres voies d'exportation.
Cependant, étant donné l'importance accordée par chaque acteur à la sphère des investissements énergétiques, celle-ci est devenue une source de tensions géopolitiques et de concurrence. Les hydrocarbures et les énergies renouvelables, deux ressources dont l'Asie centrale est bien pourvue, sont particulièrement lucratives pour les investisseurs internationaux. La convergence des ressources naturelles, de la situation stratégique et des marchés en expansion de l'Asie centrale avec les ambitions géopolitiques des pays investisseurs a inévitablement transformé la région en un champ de bataille économique.
Cette situation est encore compliquée par le fait que les États concurrents entretiennent des relations économiques et stratégiques positives entre eux. La Turquie, qui entretenait par le passé des relations tendues avec le Golfe, a connu ces dernières années un dégel diplomatique avec les États du CCG. En particulier, les relations entre l'Arabie saoudite et la Chine se sont considérablement développées, avec une augmentation des investissements chinois dans divers secteurs en Arabie saoudite, y compris l'IA, les véhicules automatisés, l'énergie solaire et les infrastructures. Cela indique que les États du Golfe se méfieront de tout partenariat avec l'Asie centrale qui pourrait compromettre leur propre coopération avec la Chine. La coopération bilatérale et multilatérale croissante entre ces États contraste avec leurs intérêts concurrents en matière d'influence régionale en Asie centrale.
L'augmentation récente des investissements du Golfe en Asie centrale a donc transformé la région en un nouveau champ de bataille économique. Les États du Golfe ne sont pas seulement en concurrence avec la Turquie, la Chine et la Russie, mais aussi entre eux pour l'influence régionale. Sa situation géostratégique et son potentiel économique ont fait de l'Asie centrale un terrain de compétition naturel. Les États du Golfe cherchent à tirer parti de leur puissance économique individuelle pour se positionner en tant qu'acteurs diplomatiques influents dans la région.
Cette évolution intervient alors que les États du Sud s'emploient activement à asseoir leur influence internationale et à nouer de nouveaux partenariats afin de s'affranchir de l'ombre de l'Occident. Ainsi, au cours de la prochaine décennie, l'Asie centrale restera un champ de bataille stratégique pour les États du Golfe, où l'on assistera à la fois à une collaboration et à une concurrence. Pour leur part, les États d'Asie centrale ne privilégieront probablement pas un partenaire international en particulier, étant donné qu'ils souhaitent diversifier leurs investissements pour sécuriser leurs économies. Les puissances concurrentes pourraient donc chercher à maximiser la coopération dans la région, notamment en matière de sécurité énergétique, d'infrastructures de transport et de lutte contre le terrorisme.
Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le CCG.
X: @Moulay_Zaid
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com