Les émeutes raciales en Grande-Bretagne, « vues du pont »

Des Britanniques se rassemblent contre des manifestants anti-immigration d'extrême droite à Westcliff, en Angleterre, le 7 août 2024. (AFP)
Des Britanniques se rassemblent contre des manifestants anti-immigration d'extrême droite à Westcliff, en Angleterre, le 7 août 2024. (AFP)
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Publié le Jeudi 08 août 2024

Les émeutes raciales en Grande-Bretagne, « vues du pont »

Les émeutes raciales en Grande-Bretagne, « vues du pont »
  • Dans la Grande-Bretagne d'aujourd'hui, les groupes d'extrême droite accusent même les immigrés légaux – et principalement les musulmans – de profiter des avantages du système économique et de s’emparer des emplois des « Anglais de souche »
  • Pour chaque Abou Hamza, il y a un chirurgien, un médecin, une infirmière, un avocat, un banquier, un investisseur – tous immigrés –, qui contribuent à l'économie britannique

J'ai récemment eu le plaisir de voir l'acteur au talent unique Dominic West dans le chef-d'œuvre d'Arthur Miller de 1955, A View From The Bridge (« Vu du pont »), au Theatre Royal Haymarket, dans le West End de Londres.

Cependant, ce n'est pas seulement l'interprétation captivante et extraordinairement convaincante de West dans le rôle du débardeur italo-américain de Brooklyn Eddie Carbone qui m'a marqué longtemps après la fin de la pièce.

En tant que consommateur avide d'informations, je trouve toujours fascinant de constater que l'histoire se répète et que certains sujets restent d'actualité, indépendamment du temps qui passe.

Parmi ces sujets figurent les questions liées à l'immigration, à la quête d'opportunités économiques et à la xénophobie – trois piliers de la pièce de Miller qui, aujourd'hui encore, font l'objet de débats intenses et parfois de manifestations violentes et de crimes motivés par la haine, comme nous le voyons actuellement au Royaume-Uni.

Dans la pièce, des Italiens pauvres qui ont émigré illégalement aux États-Unis avec le rêve de gagner 50 dollars par semaine pour nourrir leur famille restée au pays sont victimes de harcèlement et de discrimination en raison de leurs habitudes et de leur apparence. Ils sont par ailleurs accusés de vouloir épouser des Américains dans le seul but d'obtenir un passeport américain.

Dans la Grande-Bretagne d'aujourd'hui, les groupes d'extrême droite accusent même les immigrés légaux – et principalement les musulmans, ajoutant le racisme et la religion à un mélange déjà toxique – non seulement de profiter des avantages du système économique, mais aussi de s’emparer des emplois des « Anglais de souche » et de refuser de s'intégrer culturellement.

Pour chaque Abou Hamza, il y a un chirurgien, un médecin, une infirmière, un avocat, un banquier, un investisseur – tous immigrés –, qui contribuent à l'économie britannique.

                                                         Faisal J. Abbas

En tant qu'ancien résident londonien et auteur d'un livre sur la vie d'un Arabe dans la capitale britannique, je suis le premier à prendre la parole pour dénoncer les nombreux groupes d'immigrants qui n'ont pas réussi à s'intégrer, qui abusent délibérément du système et qui sèment le désordre : l'un des plus célèbres est le religieux égyptien Abou Hamza, qui est arrivé au Royaume-Uni avec un visa d'étudiant temporaire en 1979 et a prêché la haine pendant des décennies tout en profitant des allocations de l'État. Il s’est avéré même quasi impossible de l’expulser du pays jusqu'à ce qu'il soit finalement extradé vers les États-Unis en 2012.

Nous devons garder en tête que pour chaque Abu Hamza, il y a un chirurgien, un médecin, une infirmière, un avocat, un banquier, un investisseur – tous immigrés –, qui contribuent à l'économie britannique au moyen de l'impôt sur le revenu qu'ils paient et à leurs communautés locales grâce à l'argent qu'ils dépensent. Ils peuvent même devenir maires et Premiers ministres, comme l'ont démontré Sadiq Khan (d'origine pakistanaise) et Rishi Sunak, dont les parents indiens ont émigré en Grande-Bretagne depuis l'Afrique de l'Est dans les années 1960.

Sunak est devenu Premier ministre en octobre 2022 en partie pour restaurer la réputation de compétence économique du Parti conservateur après des années de chaos sous quatre Premiers ministres conservateurs successifs depuis que la Grande-Bretagne a voté pour quitter l'UE en 2016.

Parmi les principaux responsables de ce vote en faveur du Brexit figure Nigel Farage, l'agitateur populiste d'extrême droite dont toute la carrière politique a été consacrée à retirer le Royaume-Uni de l'Europe. Tout au long de sa campagne, Farage s'est révélé un adepte des demi-vérités. Par exemple, il a constamment affirmé que l'UE était une dictature non élue (en réalité, le Conseil européen est composé de représentants élus des États membres et le Parlement européen est entièrement élu) ; que 70 % des lois britanniques étaient élaborées par l'UE (le chiffre réel était d'un peu plus de 13 %) ; et que l'adhésion à l'UE coûtait à la Grande-Bretagne 55 millions de livres sterling par jour (le coût réel était la moitié de celui-ci et même cela ne tenait pas compte des fonds de l'UE qui circulaient dans l'autre sens).

Nous remettrons la question de savoir si la Grande-Bretagne a eu raison de quitter l'UE, comme elle l'a fait en 2019, à plus tard. Cependant, la plupart des analystes estiment que l'économie britannique a perdu au moins 3 % de sa taille, que le Brexit a amputé de 5 % la croissance économique du Royaume-Uni et que chaque famille du pays a perdu 1 000 livres sterling.

Il est plus que surréaliste que Farage, qui est en grande partie responsable de cette débâcle, attise aujourd'hui la xénophobie et tente d'imputer le ralentissement à un afflux de migrants. Quelqu'un doit lui dire, ainsi qu'à ses partisans, que le problème n'est pas l'immigration : « C'est l'économie, idiot. »

Sans surprise, M. Farage a été l'un des premiers à attiser la haine lorsque trois jeunes enfants ont été poignardés à mort et que dix personnes ont été blessées lors d'une attaque survenue dans un atelier de danse et de yoga, le 29 juillet, dans la ville balnéaire de Southport, au nord de l'Angleterre. Dans les minutes qui ont suivi, des messages sur les réseaux sociaux ont clamé haut et fort que l'agresseur était un demandeur d'asile musulman arrivé illégalement sur un petit bateau traversant la Manche. Ces messages étaient mensongers : la police a rapidement confirmé que le jeune homme accusé de l'attaque était un citoyen britannique de 17 ans, né au Pays de Galles de parents originaires du Rwanda – ironiquement, le pays vers lequel le gouvernement de Rishi Sunak prévoyait d'expulser les demandeurs d'asile, parce qu'il s'agit d'un « pays sûr ». Mais le mal était fait, ce qui a conduit à l’abominable chaos dont nous sommes témoins dans les rues de la Grande-Bretagne depuis une semaine.

Meta, TikTok et X peuvent prétendre n’être que des plateformes, mais techniquement, ce sont des éditeurs sous stéroïdes, et sans filtres : en tant que tels, ils doivent également être tenus pour responsables.

                                                                       Faisal J. Abbas

La réponse ferme et décisive du Premier ministre Keir Starmer aux émeutes doit être applaudie et ses garanties en faveur de la minorité musulmane du Royaume-Uni respectées. La ministre de l'Intérieur, Yvette Cooper, doit également être félicitée pour avoir immédiatement autorisé un éventail complet de poursuites et de sanctions à l'encontre des émeutiers reconnus coupables. De plus, la police a rapidement traduit les contrevenants en justice : trois hommes ont été incarcérés, mercredi, pour troubles violents, les premiers de ce qu’on espère sera un long cortège devant les tribunaux.

C'est exactement le genre de mesures dissuasives dont nous avons besoin. Après tout, quelle que soit la noblesse d'une cause, elle ne donne à personne le droit de se faire justice soi-même. Très franchement, je pense que les observateurs – tant dans notre pays qu'à l'étranger – en ont assez des voyous qui détruisent des biens publics, défigurent des monuments nationaux ou attaquent d'autres personnes au nom de leur « cause », qu'elle soit religieuse, environnementale ou politique.

Cela vaut pour toutes les races et toutes les religions. Il va sans dire que la communauté musulmane minoritaire du Royaume-Uni a la responsabilité supplémentaire d'empêcher ses membres d'enfreindre la loi, quelle que soit la colère ou l'intimidation qu'ils ressentent. Elle serait également bien avisée de défendre les histoires d'intégration réussies et inspirantes. Outre Sadiq Khan, un autre exemple impressionnant serait celui de Nadhim Zahawi, un Kurde irakien dont la famille a fui le régime de Saddam en 1978, alors qu'il avait 11 ans : Zahawi est devenu député, puis chancelier de l'Échiquier. C’est un homme d'affaires extrêmement prospère. La semaine dernière, il a écrit dans le Times un article profond et réfléchi intitulé « How the British dream of integration can survive » (Comment le rêve britannique d'intégration peut survivre). Il y affirme que la Grande-Bretagne reste le pays le plus tolérant de la planète, mais préconise de punir rapidement les auteurs d'actes répréhensibles tout en tenant compte des préoccupations réelles de toutes les parties.

En parlant de toutes les parties, nous ne devons pas oublier l'éléphant dans la pièce : la portée massive des réseaux sociaux, à laquelle s'ajoutent les dangers de l'intelligence artificielle et de ses capacités de falsification profonde. C'est pourquoi il est rassurant que les cadres supérieurs britanniques des géants de la technologie aient été convoqués cette semaine à une réunion du comité d'urgence britannique Cobra pour se voir rappeler leurs responsabilités. C'est ainsi que les choses doivent se passer. Meta, TikTok et X peuvent prétendre n’être que des plateformes, mais techniquement, ce sont des éditeurs sous stéroïdes et sans filtres : en tant que tels, ils ne devraient pas être à l'abri et ils doivent eux aussi être tenus pour responsables.

 

Faisal J. Abbas est le rédacteur en chef d’Arab News.

X : @FaisalJAbbas

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com