JERUSALEM: L'invitation à Jérusalem de figures étrangères d'extrême droite, comme le Français Jordan Bardella, pour une conférence sur l'antisémitisme témoigne de la disposition croissante d'une partie de la droite israélienne à s'allier avec quiconque soutient Israël, au nom d'intérêts convergents.
Malgré un passif historique associé à l'antisémitisme, le Rassemblement national (RN) français ou le Fidesz hongrois comptent parmi les hôtes de ce colloque sur les moyens de lutter contre l'antisémitisme dans le monde, une des priorités affichées par le gouvernement de Benjamin Netanyahu, l'un des plus à droite de l'histoire d'Israël.
"Ca ne fait pas la une, mais ce n'est pas passé inaperçu", résume Denis Charbit, politologue à l'Université ouverte d'Israël.
Les médias israéliens qui se sont intéressés à cette conférence avant sa tenue jeudi se sont surtout fait l'écho des désistements d'invités qui, à l'instar de l'intellectuel français Bernard-Henri Lévy, critiquent la présence de représentants d'extrême droite, essentiellement européens.
Les médias ont également évoqué un patronage accordé puis retiré par le président israélien, Isaac Herzog. Sollicité par l'AFP, son bureau n'a pas confirmé.
A l'honneur
"Lorsqu'un parti qui a été antisémite dans le passé déclare ne plus l'être aujourd'hui, les Israéliens réagissent en général avec méfiance. Ils demandent à voir si ce n'est pas un vernis opportuniste", souligne M. Charbit pour l'AFP.
Si le RN a oeuvré à sa dédiabolisation à l'endroit de la communauté juive française - la première d'Europe - son fondateur, Jean-Marie Le Pen était connu pour ses propos négationnistes qui lui ont valu des condamnations en justice.
Pour cette première invitation de l'extrême droite française par le gouvernement israélien pour un tel évènement, Jordan Bardella, le président du RN, sera particulièrement mis à l'honneur, l'un des rares devant prononcer un discours.
L’eurodéputée hongrois Kinga Gal, du Fidesz, participera à une table-ronde sur "l'islam radical" aux côtés de son confrère suédois Charlie Weimers, un élu anti-immigration.
"Le gouvernement israélien actuel voit le monde en noir et blanc. Les ministres ne sont plus capables de mettre dans la balance un demi-siècle d'engagement et de combat pour Israël, comme c'est le cas de Bernard-Henri Lévy, face à leurs 'nouveaux amis'", note M. Charbit.
"Il en est également qui estiment que dans la conjoncture actuelle défavorable à Israël, celui-ci a besoin de nouveaux alliés, quitte à se boucher le nez", poursuit l'universitaire. Pour lui, "cette invitation procède moins d'un réalisme politique que d'une étroite convergence idéologique".
Plus de 17 mois après le début de la guerre à Gaza, l'attention du pays est largement tournée vers l'échec du cessez-le-feu et la reprise des bombardements israéliens sur le territoire palestinien alors que 58 otages israéliens y sont encore retenus.
Des milliers de personnes manifestent aussi depuis des jours contre ce qu'ils considèrent comme une dérive autocratique de M. Netanyahu, dont le gouvernement essaie de se débarrasser du chef du Shin Bet (Sécurité intérieure) et de la procureure générale, deux personnalités critiques de la gestion des affaires par l'exécutif.
"Lecture sécuritaire"
"Ceux qui se mobilisent actuellement contre un [projet d']Etat illibéral, ne sont pas satisfaits, et en même temps pas surpris" par la programmation de la conférence, estime M. Charbit
"Pour les mouvements progressistes, la gauche historique israélienne, qui rassemble aujourd'hui peu de personnes, il est très clair que ces extrêmes droite ne sont pas des alliées", abonde Thomas Vescovi, chercheur à l'EHESS à Paris et à l'Université libre de Bruxelles.
Mais selon ce spécialiste de la gauche israélienne, cette minorité se heurte au "profond sentiment de menace" ressenti par la société israélienne, renforcé par l'attaque sans précédent du Hamas du 7 octobre 2023.
M. Vescovi estime que les autorités israéliennes défendent depuis les attentats de la Seconde Intifada (le soulèvement palestinien de 2000-2005) une "vision du monde" dans laquelle Israël est "un pays occidental au coeur d'un orient menaçant, dominé notamment par des organisations islamistes", qui "dépolitise la question palestinienne et promeut une lecture sécuritaire".
A l'autre bout du spectre politique, le chercheur rappelle qu'une "partie de la droite israélienne perçoit le monde comme antisémite, donc ce qui compte pour eux c'est d'abord de savoir qui soutient Israël".
Or, en défendant "ces idées liées au choc des civilisations", l'extrême-droite israélienne converge avec d'autres mouvements, notamment européens.
"Quand on voit pour qui les Israéliens votent, on voit qu'une partie de la société israélienne partage ces idées réactionnaires ou d'extrême droite", conclut le chercheur, "une partie significative mais pas majoritaire".