PARIS: Côté pile, des usines de batteries électriques s'activent pour pourvoir des milliers de postes, côté face des dizaines de milliers d'autres sont en sursis dans l'industrie automobile thermique: en France, la transition vers la voiture électrique est source d'inquiétude pour l'emploi.
En 2035, il sera interdit de vendre des voitures neuves à essence ou diesel dans l'Union européenne, un couperet entraînant la mutation à marche forcée d'une industrie employant environ 200.000 personnes en France et un défi pour des entreprises soumises à une course à la productivité effrénée.
"La transition (vers l'électrique), on aurait pu la faire, quand Walor nous a rachetés (en 2018) mais ils n'ont pas investi", déplore Séverine Person, salarié de cet équipementier à Vouziers (Ardennes).
Comme ses collègues assis sur des chaises fatiguées devant l'usine, cette quinquagénaire chargée du contrôle qualité se dit résignée à une fermeture prochaine, face à des carnets de commandes qui s'amenuisent.
Walor a été racheté en octobre dernier par le fonds allemand Mutares, qui veut désormais céder les deux sites des Ardennes. Celui de Vouziers, vieillissant, fabrique des bielles de tracteurs et camions, non concernés par le passage à l'électrique, mais aussi des collecteurs et des boîtiers de différentiel pour voitures thermiques, hybrides ou électriques.
"Autrefois, il y avait Citroën qui distribuait du travail à tout le monde dans les Ardennes. On n'allait pas chercher les produits au bout du monde", soupire le délégué CFDT, Bruno Bodson.
Loin du dynamisme du bassin d'emploi de l'"Electric Valley" du Nord-Pas-de-Calais, où fleurissent les méga-usines qui fourniront les batteries des voitures électriques, ces ouvriers des Ardennes peinent à se voir un avenir dans l'industrie.
Même dans les Hauts-de-France, terre d'élection des "gigafactories", mais aussi première région de production automobile de France, où l'industrie de la voiture thermique compte de nombreux constructeurs et équipementiers, la transition suscite des inquiétudes.
A Douvrin, la méga-usine d'ACC, coentreprise de Stellantis, TotalEnergies et Mercedes, a été installée sur un site historique de production de moteurs thermiques de Stellantis.
Ce choix correspond à un "besoin social" de reconversion des salariés de l'usine — qui est passée de 5.000 salariés dans les années 1980 à 700 personnes en CDI aujourd'hui —, explique-t-on à Stellantis, sans pour autant confirmer un projet de fermeture à court ou moyen terme.
Au sein du "battery training center" d'ACC, des salariés de Stellantis-Douvrin se forment en douze semaines à un tout nouveau métier, la conduite de lignes de production de batteries électriques, très automatisées, dans une atmosphère archi-contrôlée.
- Double effet -
Selon la Plateforme automobile (PFA) qui rassemble les acteurs du secteur, plus de 17.000 emplois devraient être créés à horizon 2026 dans les méga-usines et le recyclage des batteries et les intentions de recrutement dans l'ensemble du secteur automobile sont actuellement élevées.
Mais parallèlement, 65.000 emplois sont menacés d'ici à 2030, d'après la dernière enquête (2021) de l'Observatoire de la Métallurgie.
En cumulant le déclin du diesel, notable depuis 2017, et le passage à l'électrique, la filière moteur risque de perdre en 10–15 ans environ 40.000 emplois, estime l'économiste Bernard Jullien. Un phénomène dont la violence pourrait toutefois être atténuée par la pyramide des âges vieillissante du secteur, note-t-il.
"Ca va être du même ordre que la sidérurgie, et les Hauts-de-France vont être aux premières loges, avec le Grand Est et la Normandie", s'alarme Ludovic Bouvier, responsable régional de la CGT métallurgie.
Dans un contexte de compétition acharnée sur les coûts, "l'annonce de l'Europe sur la fin du thermique est devenue une opportunité pour les constructeurs de délocaliser les productions", accuse-t-il. S'il vise avant tout Stellantis, le choix du "tout électrique" fait par Renault l'inquiète aussi, alors que les ventes de voitures électriques peinent à décoller.
Une étude (FNH-Iddri) parue en mai pousse pourtant à l'optimisme. Elle conclut que le passage à l'électrique, en faisant baisser la part du travail humain et augmenter le coût de l'énergie dans le prix du véhicule, peut rendre de nouveau avantageuse la production en Europe de petites voitures, comme la R5 de Renault, produite dans le Nord.
Mais pour M. Jullien, le risque est celui d'un "double effet +Kiss Cool+, l'électrification et la poursuite des délocalisations", qui pourrait ramener l'emploi automobile en France autour de 100.000, "voire en deçà".