Les bouleversements politiques survenus ce mois-ci au Royaume-Uni et en France ont fait couler beaucoup d'encre, le premier se soldant par la défaite cuisante du parti conservateur et le second par l'écrasement de l'extrême droite par une coalition de gauche. Mais ce ne sont pas les seuls résultats importants des élections générales dans deux des pays les plus influents d'Europe.
Un autre résultat important, voire sans précédent, a été la place centrale qu'occupe la cause palestinienne dans les discours politiques à Londres et à Paris. Cela reflète les grands changements en cours sur l'ensemble du continent européen et son corps politique.
On nous dit depuis longtemps que la défense extérieure des droits des Palestiniens est une cause politique perdue en Europe, où Israël jouit d'un statut spécial en raison du rôle historique de l'Occident dans la création, le maintien et la défense d'Israël. Cette affinité a été renforcée par bien plus que de simples traditions politiques. Dans des pays comme les États-Unis - mais aussi le Royaume-Uni et la France - le lobby pro-israélien a joué le rôle d'un groupe d'intérêt bien puissant. Grâce à l'argent, à l'influence des médias et aux alliances avec des cercles politiques et religieux influents, il a souvent déterminé l'avenir des hommes politiques.
L'American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) est une illustration du pouvoir des lobbies. Chaque cycle électoral américain est associé à des histoires qui démontrent le pouvoir politique disproportionné exercé par l'AIPAC. Le dernier exemple en date est la défaite, lors des primaires démocrates du mois dernier, du représentant progressiste Jamaal Bowman, un membre du Congrès de New York qui a été battu par un candidat pro-israélien. L'AIPAC aurait dépensé la somme astronomique de 15 millions de dollars dans sa campagne pour remplacer Bowman.
Toutefois, le soutien du lobby n'est plus une garantie de succès politique. Effectivement, les Américains ordinaires sont de plus en plus conscients de la lutte des Palestiniens pour la liberté, les contre-stratégies fructueuses de certains progressistes et l'évolution de la démographie du parti démocrate.
La guerre israélienne “d'extermination" à Gaza, selon les termes du procureur de la Cour pénale internationale Karim Khan, a fait de la cause de la liberté palestinienne une cause mondiale. La désinformation des médias et l'argent des lobbies ne peuvent en aucun cas aider Israël à redorer son blason. De nombreux israéliens sont également parvenus à cette conclusion.
L'horreur de la guerre, la fermeté du peuple palestinien et les efforts de solidarité internationale ont poussé les gouvernements du monde entier à adopter des positions plus fermes en faveur de la Palestine. La récente volée de reconnaissances d'un État palestinien atteste de cette affirmation.
En outre, la montée en puissance de la marque politique palestinienne a récemment permis à des pays comme l'Espagne, l'Irlande, la Norvège et la Slovénie de défier la position américaine, qui décourage la reconnaissance de la Palestine en dehors du cadre du soi-disant processus de paix.
Les discours politiques associés aux récentes décisions sont aussi importants que les reconnaissances elles-mêmes. Le Premier ministre socialiste espagnol Pedro Sanchez a lié la décision de Madrid aux "aspirations légitimes du peuple palestinien". La vice-première ministre espagnole, Yolanda Diaz, est allée plus loin le 23 mai en déclarant que Madrid "continuera à faire pression [...] pour défendre les droits de l'homme et mettre fin au génocide du peuple palestinien", avant de conclure sa déclaration en affirmant : "Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre".
“Pour la gauche française, soutenir la cause palestinienne pendant les élections a été l'un des secrets de son succès.”
- Dr. Ramzy Baroud
Si une telle attitude se limitait à un seul pays, celui-ci serait considéré comme l'exception "radicale". Mais l'Espagne n'est qu'un exemple parmi d'autres.
Avant même que les résultats officiels des élections françaises ne soient proclamés, la présidente du groupe parlementaire de la France insoumise, Mathilde Panot, avait déclaré que l'alliance victorieuse chercherait à reconnaître l'État de Palestine dans un délai de deux semaines. Ce qui était particulièrement intéressant dans la déclaration de Panot, c'est qu'elle ne considérait pas la reconnaissance de la Palestine comme un geste symbolique, mais plutôt comme "l'un des moyens dont nous disposons pour exercer une pression (sur Israël)".
Pour la gauche française, le soutien à la cause palestinienne n'a pas été un handicap lors d'élections bien contestées. C'est même l'un des secrets de son succès. Malgré les tentatives incessantes de la droite et de l'extrême droite pour salir la gauche sur sa position concernant la guerre de Gaza, elles ont lamentablement échoué.
Un scénario quelque peu similaire s'est répété en Grande-Bretagne. Le soutien inconditionnel des conservateurs à Israël s'est avéré inutile, voire désavantageux. Même certains membres pro-israéliens du parti travailliste victorieux ont été battus par des candidats indépendants, principalement en raison de leurs positions sur la guerre contre Gaza. L'un des indépendants victorieux, Adnan Hussain, qui a battu la travailliste Kate Hollern à Blackburn, a promis aux électeurs de "faire entendre vos préoccupations concernant l'injustice infligée à la population de Gaza là où nos soi-disant représentants ont échoué".
Le changement politique en Europe en faveur d'une position pro-palestinienne, ou du moins d'une position moins catégoriquement pro-israélienne, se produit à un rythme beaucoup plus rapide que quiconque ne l'avait espéré ou anticipé. Bien que la guerre de Gaza ait joué un rôle important dans cette évolution, celle-ci devrait s'accentuer dans les années à venir, car les électeurs européens en ont clairement assez du soutien aveugle de leurs gouvernements à Israël.
Les peuples utilisent leurs systèmes démocratiques pour apporter des changements concrets aux gouvernements, et donc à leurs politiques, dans le but de mettre fin à l'occupation israélienne de la Palestine.
Des gouvernements responsables, comme ceux de l'Espagne, de la Norvège et de l'Irlande, répondent aux souhaits de leur population. D'autres, y compris les États-Unis, devraient suivre cet exemple.
Dr Ramzy Baroud est journaliste et écrivain. Il est rédacteur en chef de The Palestine Chronicle et chercheur principal non résident au Center for Islam and Global Affairs. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappe, s'intitule «Our Vision for Liberation: Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak Out».
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com