Le virage à droite de la France: Un éloignement croissant avec l'Afrique du Nord

La performance électorale retentissante du Rassemblement National présage d'un bouleversement significatif dans la symphonie parlementaire française.
La performance électorale retentissante du Rassemblement National présage d'un bouleversement significatif dans la symphonie parlementaire française.
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Publié le Vendredi 12 juillet 2024

Le virage à droite de la France: Un éloignement croissant avec l'Afrique du Nord

Le virage à droite de la France: Un éloignement croissant avec l'Afrique du Nord
  • L’histoire contemporaine de l’Hexagone est jalonnée de relations tumultueuses entre l’État et ses minorités ethniques et religieuses
  • L’inexorable glissement vers la droite du paysage politique français laisse présager une exacerbation des tensions entre le gouvernement et la communauté d'origine nord-africaine

Dans une année marquée par une constellation d’élections cruciales à l’échelle mondiale, la France se retrouve au cœur d'un tourbillon politique sans précédent. Le scrutin européen de début juin a vu le Rassemblement National, sous la houlette de Jordan Bardella, remporter une victoire éclatante, raflant pas moins de 31% des suffrages.  Face à cette lame de fond populiste, le président Emmanuel Macron a prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale, convoquant dans la foulée des élections législatives anticipées.

Près d'un mois après le scrutin européen, le paysage politique français a connu un nouveau bouleversement. Le Rassemblement National a réalisé une percée spectaculaire lors du premier tour des élections législatives, captant l’adhésion d'un tiers de l'électorat avec un score retentissant de 33%. Cependant, le parti de Marine Le Pen et ses alliés ont dû se contenter d’une troisième place, décrochant 142 sièges, tandis que les formations centristes et de gauche tiraient leur épingle du jeu. Néanmoins, cette performance, loin d'être un échec, marque une progression fulgurante par rapport aux 89 sièges obtenus en 2022.

Bien que le Rassemblement National ne soit pas appelé à former le gouvernement cette année, sa performance remarquable laisse présager un renforcement significatif de sa voix au sein de l'Assemblée nationale. Cette montée en puissance pourrait bien être le prélude à une accession au pouvoir lors des prochaines échéances électorales. Le parti fut accusé à maintes reprises de tenir des propos islamophobes.  Ses politiques, axées sur les minorités, l’immigration et la préservation d’une certaine conception de l’identité française, alimentent un phénomène que l’éminent universitaire Olivier Roy a qualifié de «laïcité autoritaire » croissante en France.

Emmanuel Macron, malgré son étiquette centriste, n’échappe pas aux critiques concernant sa politique à l’égard des minorités. L’histoire contemporaine de l’Hexagone est jalonnée de relations tumultueuses entre l’État et ses minorités ethniques et religieuses. Au cœur de cette polémique se trouve la notion de « laïcité » qui se voit de plus en plus instrumentalisée pour restreindre la participation publique de la communauté musulmane française, pourtant numériquement significative.

La performance électorale retentissante du Rassemblement National présage d'un bouleversement significatif dans la symphonie parlementaire française.

                                                         Zaid M. Belbagi

Bien que la République française s’abstienne de recenser ses citoyens selon leur appartenance religieuse, les estimations suggèrent qu’environ 10% de la population hexagonale est de confession musulmane. Cette minorité, dont la majorité écrasante est issue de l’immigration nord-africaine, compte près de 3 millions de personnes aux racines marocaines, algériennes et tunisiennes.

Ce segment de la société française se trouve aujourd'hui confronté à une marginalisation croissante. Les restrictions sur le port de signes religieux, la multiplication des stéréotypes dans le discours public, et plus récemment, la répression musclée des manifestations pro-palestiniennes, sont autant de symptômes d’un malaise sociétal profond. L'année dernière, dans un écho sinistre aux émeutes de 2005, les banlieues parisiennes se sont embrasées suite à la mort d’un adolescent d’origine nord-africaine lors d’un contrôle policier. Cette déflagration sociale a engendré des dégâts matériels estimés à plus d’un milliard d'euros.

L’inexorable glissement vers la droite du paysage politique français laisse présager une exacerbation des tensions entre le gouvernement et la communauté d'origine nord-africaine. Le Rassemblement National, fer de lance de cette mouvance, ne fait guère mystère de ses intentions: forger une identité nationale et une citoyenneté plus affirmées, au risque de réduire comme peau de chagrin l’espace dévolu aux minorités religieuses dans le tissu social français. Le programme du parti prévoit un arsenal de dispositions : durcissement des conditions d'immigration et d’asile, éradication des réseaux islamistes sur le sol français, réduction des dépenses extérieures au profit d’allègements fiscaux nationaux, et renforcement de l’immunité des forces de l’ordre. Plus encore, le parti entend soumettre les binationaux à un examen minutieux lors de leur candidature à des postes gouvernementaux sensibles.

Il convient de souligner que la majeure partie de l’immigration en France est issue du Maghreb, principalement du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie.  Le Rassemblement National n’a pas hésité à instrumentaliser cette question sensible. Le parti a fréquemment établi des liens, aussi ténus soient-ils, entre ces communautés et l'activité militante sur le sol français.

Les propos de Jordan Bardella sur son « sentiment de devenir étranger dans son propre pays... (à cause de) l'islamisation de mon quartier » ont eu des répercussions profondes sur le paysage politique français.  Cette déclaration a contribué à la mise en place d'une politique qui, ironiquement, fait que les musulmans français se sentent eux-mêmes étrangers dans leur pays.

Malgré sa rhétorique souvent critique envers la communauté nord-africaine en France, le Rassemblement National adopte une position surprenante concernant les relations entre la France et le l’Afrique du Nord. Le parti d’extrême droite reconnaît l’importance des liens économiques, diplomatiques et sécuritaires avec la région. Le parti avance un argument pragmatique: le soutien français dans la lutte antiterroriste et le développement économique en Afrique du Nord pourrait, selon lui, freiner l’afflux de migrants nord-africains vers l’Hexagone,  pour réduire la pression migratoire sur nos ressources.

Peu d'espoir d'amélioration des relations entre la France et l’Afrqiue du Nord.

                                                                Zaid M. Belbagi

Les positions du Rassemblement National en matière d'immigration, de lutte antiterroriste et de multiculturalisme ne resteront pas sans conséquence sur la scène internationale. Elles risquent en effet d’affecter profondément les relations de la France avec l'Afrique du Nord, une région avec laquelle l’Hexagone partage des liens historiques indéfectibles. Plus concrètement, les coupes budgétaires préconisées par le parti d’extrême droite en matière de dépenses extérieures font planer une menace sur l'aide au développement française. Or, cette aide constitue un pilier essentiel des relations entre la France et l’Afrique du Nord.

En France, si le président demeure le grand architecte de la politique étrangère et le visage de la nation sur la scène internationale, le système parlementaire français, avec ses contre-pouvoirs intrinsèques, confère également aux députés un rôle non négligeable dans la définition des priorités diplomatiques et budgétaires du pays. La composition pluraliste attendue de la prochaine Assemblée nationale laisse présager une voix plus forte de la droite dans les débats de politique étrangère.  Certes, l’influence de la droite sera tempérée par les autres formations politiques. Néanmoins, compte tenu de la détérioration des relations entre la France et l’Afrique du Nord sous la présidence centriste d’Emmanuel Macron, les perspectives d’amélioration significative des liens avec la région semblent limitées.

Cela se produira à un moment où l'influence française en Afrique du Nord est à son plus bas niveau, avec des relations tendues dans toute l’Afrique francophone. Les récents coups d’État au Sahel ont révélé un sentiment anti-français commun, les juntes au pouvoir rompant les liens militaires, diplomatiques et culturels avec la France, tout en expulsant les diplomates et les troupes françaises de la région.

En Afrique du Nord, il y a une préférence croissante pour l’anglais comme langue des affaires et de l’enseignement supérieur au détriment du français. La région se tourne également vers de nouveaux partenaires internationaux en Occident et dans le Sud global pour former une position internationale indépendante. Ainsi, un espace croissant pour les idéaux de droite du Rassemblement National dans la politique française, maintenant ou à l’avenir, affaiblira davantage l’influence et le pouvoir de persuasion de la France en Afrique du Nord.

 

Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG). X: @Moulay_Zaid

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com