PARIS : Un pays étranger peut-il demander l'arrestation d'un président en exercice accusé de complicité de crimes contre l'humanité ? La Cour de cassation, plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français, devra trancher, saisie sur le mandat d'arrêt visant Bachar al-Assad pour les attaques chimiques de 2013 imputées au régime syrien.
Le pourvoi, formé le 28 juin par le parquet général de la cour d'appel de Paris après la validation de ce mandat d'arrêt, a suscité mardi l'incompréhension des parties civiles, certaines y voyant une décision "politique visant à protéger les dictateurs et les criminels de guerre".
La question au cœur de ce dossier est celle de l'immunité personnelle des chefs d'Etat en exercice.
En novembre 2023, deux juges d'instruction parisiens, qui enquêtent depuis 2021 sur ceux qui ont ordonné les attaques chimiques d'août 2013 près de Damas, ayant fait selon le renseignement américain plus de 1.000 morts, ont émis quatre mandats d'arrêt.
Ils visent Bachar al-Assad, son frère Maher, chef de facto de la quatrième division, une unité d'élite de l'armée syrienne, et deux généraux, Ghassan Abbas et Bassam al-Hassan.
Le Parquet national antiterroriste (Pnat) a approuvé les trois derniers, mais a déposé une requête en nullité de celui ciblant Bachar al-Assad, en arguant de l'immunité absolue dont jouissent les chefs d'Etat en exercice devant les juridictions de pays étrangers.
Une pratique du droit international fondée sur le respect mutuel de la souveraineté.
Mais le 26 juin, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a suivi l'analyse des parties civiles en écartant l'immunité de Bachar al-Assad, qui a succédé en 2000 à son père, Hafez al-Assad, à la mort de ce dernier.
Elle a considéré que les crimes dénoncés, qualifiés de complicité de crimes de guerre et crimes contre l'humanité, "ne peuvent être considérés comme faisant partie des fonctions officielles d'un chef de l'Etat" et qu'"en conséquence, ils sont détachables de la souveraineté naturellement attachée à ces fonctions".
"Dans la mesure où il paraît évident que la Syrie ne poursuivra jamais Bachar al-Assad pour ces crimes, qu'elle ne renoncera jamais d'elle-même à l'immunité personnelle de son président et où aucune juridiction internationale n'est compétente, la Syrie n'étant pas partie au statut de Rome (la Cour pénale internationale, ndlr)", le mandat d'arrêt "n'est entaché d'aucune nullité", ont conclu les juges d'appel.
- Décision "juridique" ou "politique" ? -
Mais le parquet général a indiqué mardi à l'AFP avoir saisi la Cour de cassation pour "faire trancher une question juridique au-delà du cas d’espèce".
"Sans remettre en cause le fond du dossier, notamment l'existence à l'encontre de Bachar al-Assad d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable" sa participation à ces attaques au gaz sarin, le parquet général estime "nécessaire que la position" de la chambre de l’instruction sur "l'immunité personnelle d'un chef d'Etat en exercice pour des infractions de cette nature, soit examinée par la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire".
"Cette décision n'a aucun caractère politique", a-t-il souligné.
Le recours du ministère public a néanmoins suscité l'incompréhension des parties civiles.
"Ce pourvoi menace à nouveau les efforts des victimes pour que Bachar al-Assad soit enfin jugé devant une juridiction indépendante", ont réagi Mes Jeanne Sulzer et Clémence Witt, avocates de victimes et de quatre ONG parties civiles - Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression (SCM), Open Society Justice Initiative, Syrian Archive et Civil Rights Defenders.
Me Clémence Bectarte a fait part de l'"immense déception" des sept victimes qu'elles représente, "qui nourrissaient l'espoir que le parquet s'arrêterait là" et "se tiendrait enfin à leurs côtés".
Mazen Darwish, président du SCM, y voit une décision "politique visant à protéger les dictateurs et les criminels de guerre".
Tandis que Steve Kostas, de l'ONG Open Society Justice Initiative, a rappelé que "le gouvernement français, l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité de l'ONU ont appelé à ce que tous les auteurs de ces attaques rendent des comptes".
Peu après les attaques de 2013, la Syrie avait rejoint l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC). Mais en avril 2021, elle a été privée de ses droits de vote au sein de cette institution, après qu'une enquête l'a accusée d'être à l'origine de nouvelles attaques au gaz toxique.