PARIS : Au lendemain du score sans précédent de l'extrême droite en France, la constitution d'un front républicain pour l'empêcher d'avoir une majorité absolue au second tour des législatives est au coeur d'intenses tractations politiques lundi, particulièrement dans le camp du président Macron, qui a du mal à adopter une position claire.
Entre consignes de vote et désistements de candidats, les manoeuvres s'intensifiaient lundi à l'issue d'un premier tour particulièrement scruté à l'étranger, et au cours duquel les Français ont massivement voté, avec un taux de participation de 66,71%.
Trois semaines après le séisme politique provoqué par le président Emmanuel Macron avec sa décision de dissoudre l'Assemblée nationale, le Rassemblement national (RN, extrême droite) et ses alliés obtiennent leur meilleur score au premier tour d'un scrutin, avec 33,14% des suffrages et 10,6 millions de voix.
Ces élections suscitent l'intérêt -et souvent l'inquiétude- en Europe, où la France est un des piliers de l'UE. Le Premier ministre polonais Donald Tusk a évoqué lundi un "grand danger" pour la France et l'Europe. Le scrutin est également scruté par la Russie, qui a dit lundi suivre de "très près les élections en France".
Le RN a frappé un grand coup, en faisant élire 39 députés dès le premier tour, à commencer par sa figure de proue Marine Le Pen.
Le Nouveau Front populaire réunissant les formations de gauche a obtenu près de 27,99% des suffrages et compte déjà 32 élus.
Le camp présidentiel d'Emmanuel Macron confirme la déroute des européennes et arrive en troisième position avec seulement 20,04% des suffrages, en tête seulement dans 65 circonscriptions.
Le jeune président du RN, Jordan Bardella, 28 ans, a demandé aux Français de lui donner dimanche prochain une majorité absolue au second tour, qui sera "l'un des plus déterminants de toute l'histoire de la Ve République" française, fondée en 1958.
"Il nous faut une majorité absolue", a lancé de son côté Marine Le Pen.
Si Jordan Bardella devenait Premier ministre, ce serait la première fois qu'un gouvernement issu de l'extrême droite dirigerait la France depuis la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle un régime collaborationniste non élu avait été mis en place.
Le père de Marine Le Pen, Jean-Marie Le Pen, avait cofondé en 1972, avec deux anciens Waffen-SS, le Front national (devenu RN en 2018). M. Le Pen avait alors choisi le même emblème que celui du parti néo-fasciste italien: une flamme tricolore.
Obsédé par l'immigration et les juifs, Jean-Marie Le Pen a été condamné plusieurs fois pour ses dérapages.
- "Cacophonie" -
Alors que le traditionnel "front républicain" en France contre le RN apparaît moins systématique que par le passé, le parti est en mesure d'obtenir une forte majorité relative voire une majorité absolue, ce qui pourrait contraindre Emmanuel Macron à une cohabitation inédite et houleuse.
Cependant, le scénario d'une Assemblée nationale bloquée, sans alliances majoritaires envisageables parmi les trois blocs en présence, reste aussi une possibilité.
"Nous avons sept jours pour éviter à la France une catastrophe", a déclaré le député européen social-démocrate Raphaël Glucksmann, qui a appelé tous les candidats arrivés en troisième position à se désister au second tour.
Mais pour son allié de la gauche radicale La France insoumise (LFI), cela vaudra seulement là où le RN est "arrivé en tête", a précisé son chef de file Jean-Luc Mélenchon.
L'alliance de la gauche dénonce en tout cas la "cacophonie" au sein de la majorité présidentielle qui a du mal à exprimer une position unique sur le second tour.
Tout plutôt que le "projet funeste" du RN, c'est la ligne défendue par le Premier ministre Gabriel Attal, qui a lui aussi reconnu que "cela passera par le désistement de (ses) candidats" en "troisième position". Mais seulement pour avantager "un autre candidat qui défend les valeurs de la République", a-t-il ajouté.
Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a de son côté appelé lundi à voter pour "le camp social-démocrate" qui n'inclut pas LFI, devenue un repoussoir pour certains électeurs de gauche et de droite.
La présidente sortante de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, appelle elle à une "grande coalition" comprenant aussi le parti de la droite traditionnelle (Les Républicains).
En l'état, les projections des instituts de sondage anticipent une large majorité relative d'au moins 240 sièges pour le RN, voire une courte majorité absolue jusqu'à 295 sièges sur 577 sièges.
Mais ces projections sont faites avant désistements. Car le résultat du scrutin se joue en grande partie d'ici à mardi 18H00, échéance fixée aux candidats pour décider de se maintenir ou de se retirer.
"Même si les électeurs ne suivent pas les consignes mécaniquement de leurs responsables politiques, on aura un effet qui jouera plutôt en défaveur du RN", a commenté le directeur général délégué de l'institut Ipsos Brice Teinturier.