PARIS: « Pour comprendre mon enfance, la nôtre, il faut étudier le script de Goldorak », dit Ivan Jablonka, historien de l'enfance qui s'attaque dans « Un garçon comme vous et moi » à une autre jeunesse: la sienne, et celle des quadragénaires.
« Un garçon comme vous et moi » (Seuil), son dernier livre, est un essai que l'auteur de « Laëtitia ou la fin des hommes » définit comme une « autobiographie de genre ».
« Mon point de départ c'est la construction du garçon en moi: quelle est l'éducation de garçon que j'ai reçue, à la fin du XXe siècle? », explique-t-il.
Lignée familiale, congénères, système scolaire, culture de masse, grands événements: Ivan Jablonka balaie tout ce qui l'a façonné personnellement, et qui, au-delà, a imprégné la jeunesse des Français nés comme lui vers le milieu des années 70. En 1973, le concernant.
« Pour comprendre mon enfance, la nôtre, il faut étudier le script de Goldorak, il faut étudier l'apparition de jeux vidéo comme Pac Man ou Space Invaders, ce que j'appelle la démocratisation du porno à travers le célèbre film du samedi soir sur Canal+ » , dit-il. Avant de préciser: « Mais moi plutôt que Goldorak, je préférais les séries de filles comme Candy ».
Génération de Macron
C'est la génération de Zinédine Zidane, Benjamin Biolay, Jamel Debbouze, ou encore Emmanuel Macron.
Elle s'est éveillée à la politique lors d'une présidence de François Mitterrand qui lui a paru interminable. Dans son enfance, le média de masse archidominant est la télévision. Elle a connu les dernières années du service militaire. Et elle a pu renouer le contact, une fois adulte, grâce aux moteurs de recherche internet et aux réseaux sociaux naissants.
Ivan Jablonka s'en est largement servi pour contacter d'anciens camarades de primaire et de collège, et retracer leur parcours. Comparés au sien, qu'il décrit comme « linéaire », il en a découvert de très différents, de plus cahoteux. Dans un même contexte pourtant.
« J'ai eu le sentiment que je n'avais pas une grande individualité au fond. C'est pour ça que c'est un portrait de groupe, de génération », résume l'historien. « C'est ce que j'ai appris sur moi-même: quand on travaille sur sa jeunesse, sur son parcours, on s'aperçoit qu'on n'est pas unique, on appartient à une génération, et que c'est cette génération qui nous construit, à travers une société, une histoire, des collectifs et un genre ».
L'autobiographie a été renouvelée au XXIe siècle par une multitude de tentatives: autobiographie intellectuelle avec « Esquisse pour une auto-analyse » de Pierre Bourdieu (2004), scolaire avec « Chagrin d'école » de Didier Pennac (2007), sociale avec « Retour à Reims » de Didier Eribon (2009), autobiographie culturelle collective avec « Les Années » d'Annie Ernaux (2008), ou encore généalogique avec « Mes ancêtres les Gauloises » d'Elise Thiébaut (2019).
« Je me reconnais dans le travail de Didier Eribon », confie Ivan Jablonka.
L'exercice peut parfois paraître égotique, quand l'écrivain fait parler ses camarades d'enfance... de lui. « Je me souviens de ta satisfaction quand les profs de français rendaient les rédacs et que tu avais une bonne note », écrit l'un d'eux.
L'auteur revendique pourtant la méthode, celle d'une recherche de sources extérieures multiples: « C'était une manière de sortir de moi, d'accueillir tous les points de vue qui n'émanent pas de moi-même ». Et « les témoignages sur moi sont assez durs en fait. Sans complaisance ».