PARIS: Une bombe aérosol géante affublée d'ailes d'ange trône au cœur du Petit Palais, à Paris, où une soixantaine d'artistes urbains internationaux ont investi l'espace avec environ 200 œuvres au milieu d'icônes des collections permanentes comme Delacroix.
C'est une première pour ce haut lieu des expositions d'art dans la capitale française. Jusqu'au 15 septembre, Shepard Fairey alias Obey (Etats-Unis), Invader (France), D*FACE (Royaume-Uni), Seth (France), Cleon Peterson (Etats-Unis), Hush (Royaume-Uni), Swoon (Etats-Unis, l'une des rares femmes), Vhils (Portugal), Inti (Chili), Add Fuel (Portugal) ou Conor Harrington (Irlande) offrent au public un étonnant voyage où leurs œuvres, majoritairement des toiles, dialoguent avec celles du XIXe siècle.
Un des meilleurs exemples est un tableau du Tunisien DaBro intitulé "Châtelet-les-Halles". Il représente une scène nocturne de rue, avec un danseur hip-hop qui se fond avec les scènes de genre du XIXe siècle qui l'entourent.
Idem pour la "Tour de Babel" de Seth, un empilement de livres anciens rejoignant un ciel multicolore, à l'orée d'une enfilade de salles aux boiseries précieuses.
L'un des espaces les plus spectaculaires, dans cette exposition intitulée "We are Here" (nous sommes là), est "la salle Concorde". Sont exposées, du sol au plafond, des dizaines de tableaux de street art représentant des figures humaines contemporaines ou leurs caricatures.
"Un hommage à l'ancien Salon des refusés de 1863 qui a accueilli les artistes de l'avant-garde exclus des cercles académiques", explique à l'AFP Mehdi Ben Cheikh, commissaire de l'exposition avec Annick Lemoine, directrice du Petit Palais.
Inclusion
"On l'a fait! Chacun a choisi son endroit et a pu voir ses œuvres mises en valeur et reconnues par l'institution", se félicite ce galeriste spécialisé depuis 20 ans dans le street art.
"C'est incroyable, je réalise un rêve, c'est un moment historique", commente, enthousiaste, D*FACE, quadra londonien. Lui a installé ses "ailes" d'ange (ou de casque de Gaulois), sa marque de fabrique, partout sur les statues dans l'une des coursives du Petit Palais. Sa bombe aérosol géante semble surgir du sol en mosaïque.
"Ces ailes connectent les gens avec mes œuvres dans la rue, chacun peut les interpréter à sa façon", dit-il.
Deux jours après les élections européennes et la poussée de l'extrême droite qui a provoqué un séisme en France, il dit espérer que l'exposition contribuera "à unir les gens plutôt qu'à les séparer, car l'art a la particularité d'être vraiment global, il ne s'occupe pas des divisions mais de l'inclusion", selon lui.
République
Dans une salle aux murs rouges dédiée à la République, les artistes revisitent les codes de la Nation aux côtés d'Eugène Delacroix.
Le Franco-Tunisien El Seed expose une calligraphie des paroles de "La Marseillaise" en bleu-blanc-rouge.
Juste derrière, figure la Marianne à la larme de sang de Shepard Fairey, intitulée "Liberté, Égalité, Fraternité" et réalisée "en réponse aux attentats terroristes de 2015 à Paris". C'est aussi lui qui avait créé l'affiche "Hope" de la campagne de Barack Obama en 2008.
"Avec la montée des nationalismes dans de nombreux pays, tout ce qui peut rappeler aux gens qu'on est tous sur la même planète, c'est bien. Ce que j'adore avec l'art urbain c'est que ça unit les gens partout, loin d'une pensée individualiste, protectionniste, égoïste, et ce moment est très important en ce sens", dit-il.
"Ça permet de rapprocher deux mondes qu'on pensait diamétralement opposés", acquiesce El Seed.
"Je me suis aperçu que les artistes jouaient un énorme rôle dans la réconciliation des Français avec les codes, c'est-à-dire que les Anglais et les Américains sont très fiers de leur drapeau, et nous, dès qu'on mettait le bleu-blanc-rouge, on était presque affilié au RN (ex-FN). Shepard a pris la chose au vol et il a fait la Marianne", souligne Mehdi Ben Cheikh.