À en juger par la collaboration incroyablement insensible entre un photographe new-yorkais et l'armée israélienne, les sept derniers mois ont été une interminable série de plaisirs et de rires pour ces soldats qui ont semé la mort et la destruction à grande échelle dans la bande de Gaza.
Prises sur fond de carnage à Gaza, les images du « Projet des Soldats Souriants » doivent être vues pour être crues.
Jusqu'à présent, le photographe Menachem Geisinsky a capturé plus de 15 000 clichés montrant les jeunes hommes et femmes de l'armée israélienne souriant, riant, s'embrassant et s'amusant, « comme n'importe quel autre jeune de 20 ans ».
L'objectif, selon Geisinsky, « est de révéler au monde l'humanité de l'armée israélienne, sa vraie facette – la joie, les sourires, que les médias mondiaux s’efforcent de dissimuler. »
Cependant, l'effet produit donne l'impression d'une force de jeunes conscrits tellement détachés de la réalité de leurs exploits sanglants qu'ils semblent avoir abandonné toute prétention à être une armée disciplinée et professionnelle pour devenir simplement une foule prompte à dégainer.
Une analyse médico-légale réalisée la semaine dernière par la BBC sur le cas du tir sur un garçon de 8 ans non armé en Cisjordanie est l'une des preuves les plus éloquentes à ce jour que l'armée israélienne, dont la vague de violence à Gaza a désormais coûté la vie à un nombre choquant de 35 000 personnes, est une force moralement en faillite, agissant entièrement en dehors des normes acceptés de la guerre moderne. Ben Saul, le rapporteur spécial de l'ONU sur les droits de l'homme, a qualifié le tir sur l'enfant de crime de guerre manifeste.
Ils semblent avoir abandonné toute prétention à être une armée disciplinée et professionnelle pour devenir simplement une foule prompte à dégainer
Lundi, sept experts indépendants des droits de l'homme de l'ONU ont conjointement condamné « les violences continues et systématiques commises à l’encontre des Palestiniens à Gaza. » L'ironie du calendrier de cette déclaration, publiée le lendemain de la commémoration par les Juifs israéliens de la Journée de l'Holocauste, semble être largement passée inaperçue en Israël.
La cérémonie de clôture de la Journée de commémoration de l'Holocauste en Israël s'est déroulée dans un kibboutz du nord d'Israël appelé Lohamei Hageta'ot, « les combattants du ghetto. » Cette communauté a été fondée par des survivants du soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943, où une poignée de soldats allemands a perdu la vie contre environ 60 000 Juifs tués ou déportés vers des camps de la mort.
Quatre-vingt-un ans plus tard, une disproportion alarmante similaire se manifeste à Gaza.
L'armée israélienne affirme qu’au 6 mai, 266 soldats israéliens ont été tués depuis le début des opérations terrestres le 27 octobre. Ce chiffre contraste avec les 34 488 Gazaouis, dont 14 500 enfants et 9 500 femmes, qui avaient été tués à la fin d'avril.
Ces agissements ne correspondent pas à ceux d'une force militaire professionnelle et disciplinée. Il est inconcevable que l’élimination de vies innocentes à une telle échelle puisse être considérée comme autre chose qu'un crime de guerre.
L'Histoire, quant à elle, nous enseigne que de tels crimes, perpétrés avec la complicité volontaire ou involontaire d’une multitude d’acteurs – y compris, dans ce cas, des milliers de jeunes conscrits israéliens, dont beaucoup seront sans doute traumatisés par les atrocités dont ils ont été témoins ou auxquelles ils ont participé – finiront par être révélés au grand jour.
En fin de compte, les événements qui se déroulent encore à Gaza ne seront pas seulement ajoutés à la liste internationale de la honte qui comprend des massacres aussi tristement célèbres que Katyn, My Lai, Bloody Sunday, Srebrenica et Sinjar, mais ils la domineront également, en raison de l'ampleur même des massacres.
Il est inconcevable que l’élimination de vies innocentes à une telle échelle puisse être considérée comme autre chose qu'un crime de guerre
À Katyn en 1943, les troupes soviétiques ont exécuté 22 000 prisonniers polonais. À Srebrenica en 1995, plus de 8 000 musulmans ont été tués par des Serbes bosniaques. Entre 2014 et 2017, environ 5 000 Yézidis sont morts aux mains de Daësh. Tous ces massacres ont à juste titre suscité la condamnation de la communauté internationale.
Pourtant, le bilan des victimes à Gaza dépasse déjà le nombre de décès dans chacun de ces crimes odieux, et, avec le rejet par Netanyahu cette semaine d'un accord de cessez-le-feu et le déclenchement d'une offensive contre Rafah, ce bilan risque de s'alourdir bien plus encore.
Grâce à un ancien soldat pour qui le poids de la conscience était insupportable, des preuves accablantes ont émergé selon lesquelles les forces spéciales britanniques opérant en Afghanistan il y a plus d'une décennie assassinaient régulièrement des Afghans désarmés, y compris des enfants, en plaçant des armes sur leurs corps pour justifier leur mise à mort.
La justice sera rendue pour les soldats du Special Air Service impliqués, leurs commandants qui ont fermé les yeux et peut-être même pour les politiciens qui ont tenté de couvrir ces crimes.
Sur son site web, l'armée britannique se targue d'avoir « une excellente réputation dans le monde entier, basée sur la confiance ». Ses soldats doivent « respecter la loi, en tout temps, quel que soit le lieu où ils servent ... Ils doivent toujours garder leur sang-froid, quelle que soit leur colère ou la provocation qu’ils subissent, car aucun soldat n'est jamais au-dessus de la loi ».
À présent, les meurtres de dizaines de détenus désarmés en Afghanistan entre 2010 et 2013 par des membres de la force de combat d’élite britannique font l'objet d'une enquête menée par un juge indépendant, qui devrait très probablement déboucher sur des poursuites pénales.
L'armée israélienne dispose d'un site web similaire – illustré de plusieurs photographies du « Projet des Soldats Souriants » – consacré à la promotion de ses « valeurs fondamentales », parmi lesquelles figure l’engagement à « protéger la dignité humaine ».
Chaque soldat israélien est censé « reconnaître l'importance critique de la vie humaine et d’adopter en permanence un comportement prudent et mesuré ». Ils « s’engagent à ne pas utiliser leur arme ou leur autorité pour blesser des civils et des prisonniers non impliqués et à tout mettre en œuvre pour prévenir toute atteinte à leur vie, à leur intégrité physique, leur dignité et leurs biens ».
Sauf à Gaza, semble-t-il, où les jeunes soldats israéliens se retrouvent malheureusement et irrévocablement du mauvais côté de l'histoire.
Jonathan Gornall est un journaliste britannique, ancien collaborateur du Times, qui a vécu et travaillé au Moyen-Orient avant de s’installer au Royaume-Uni.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com