PARIS: Après deux relaxes, un troisième procès: la Cour de cassation a annulé mercredi la décision qui avait blanchi les héritiers de la famille de marchands d'art Wildenstein, ordonnant qu'ils soient rejugés pour une fraude fiscale présumée à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros.
En janvier 2017, les trois héritiers et leurs conseillers avaient bénéficié d'une spectaculaire relaxe générale, pour une fraude fiscale dépeinte par le parquet national financier (PNF) à l'audience comme « la plus longue et la plus sophistiquée » de l'histoire récente en France.
La cour d'appel avait confirmé cette décision le 29 juin 2018, relaxant le patriarche Guy Wildenstein, son neveu Alec Junior et son ex-belle-sœur Liouba Stoupakova, ainsi que deux avocats, un notaire et deux gestionnaires de fonds.
Cette décision avait sonné comme un nouveau revers pour le ministère public : le parquet général, qui avait pris de lourdes réquisitions - quatre ans de prison dont deux avec sursis et 250 millions d'euros d'amende contre Guy Wildenstein notamment - avait alors formé un pourvoi en cassation.
Mercredi, la plus haute juridiction de l'ordre judiciaire a tranché dans son sens en cassant l'arrêt de relaxe et en renvoyant l'affaire devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, pour un troisième procès.
Une décision dont l'avocat de Guy Wildenstein, Me Hervé Témime, a dit « prendre acte », assurant qu'elle permettrait d'obtenir une nouvelle relaxe, qui sera plaidée « avec la plus grande fermeté ».
Toiles, chevaux, ranch au Kenya
Dans ce dossier, il est reproché aux Wildenstein d'avoir caché, lors des décès en 2001 et 2008 du patriarche Daniel et de son fils aîné Alec, la majorité de leur colossale fortune, dont une petite partie a été révélée à l'occasion de violentes querelles familiales de succession.
Toiles de Fragonard et de Bonnard, chevaux de course, immobilier luxueux dont le ranch au Kenya où fut tourné le film « Out of Africa » : les biens ont majoritairement été enregistrés dans des « trusts », ces sociétés fiduciaires anglo-saxonnes logées aux Bahamas ou à Guernesey, accusées par le ministère public d'avoir servi de « vecteur » de la fraude.
En 2018, la cour d'appel avait constaté la prescription de l'action publique pour Guy Wildenstein, en prenant en compte la première déclaration de succession, datant de 2002, et non celle de 2008. A l'époque, la prescription pour le délit de fraude fiscale était de trois ans et les poursuites n'ont été engagées qu'en 2011.
Mercredi, la Cour de cassation a estimé que, sur ce point, la cour avait « méconnu les textes », jugeant au contraire que la prescription avait été « régulièrement interrompue ».
La haute juridiction a aussi contredit la cour d'appel sur un autre élément central : la loi encadrant pénalement les "trusts" en France, justement baptisée « loi Wildenstein », qui date du 29 juillet 2011.
La cour d'appel avait estimé qu'avant cette loi, il n'existait pas « d'obligation suffisamment claire et certaine portant obligation de déclarer les biens placés dans un trust », ce qui signifiait que le délit de fraude fiscale ne pouvait en l'espèce être constitué.
« En (se) prononçant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision », a estimé la Cour de cassation, qui a qualifié les éléments de motivation sur les « trusts » cités dans la décision d’« équivoques, voire contradictoires ».
Guy Wildenstein, un Franco-Américain aujourd'hui âgé de 75 ans, est le principal héritier de trois générations de marchands d'art. Depuis les Etats-Unis, il fut un soutien actif de la droite française, notamment de l'ex-président Nicolas Sarkozy.
Fin 2014, le fisc français avait adressé aux héritiers un redressement record de plus d'un demi-milliard d'euros : dans ce volet, une procédure parallèle au civil est toujours en cours.