ISTANBUL : La Turquie commémore jusqu'à mardi le séisme du 6 février 2023, la pire catastrophe de son histoire moderne qui a fait plus de 53.000 morts dans le sud-est du pays.
En soixante-cinq secondes, 53.537 vies (selon le dernier bilan des autorités publié vendredi) ont été englouties dans les ruines de leur quotidien, avalées par les amas de béton de leurs logements effondrés sur eux-mêmes et leurs habitants.
Ajoutés aux 6.000 décès enregistrés dans la Syrie voisine, le bilan du désastre s'élève à près de 60.000 morts, ce qui le classe parmi les 10 plus meurtriers des 100 dernières années - le président turc Recep Tayyip Erdogan avait parlé de «la catastrophe du siècle».
Onze provinces parmi les plus pauvres de Turquie ont été touchées, 14 millions de Turcs affectés, et nombre d'entre eux sont toujours sous le choc.
«Ca fait un an, mais ça ne nous quitte pas», confie Cagla Demirel, 31 ans, abritée dans l'une des villes-conteneurs installées à Antakya, l'ancienne Antioche détruite à 90%, dans la province d'Hatay frontalière de la Syrie.
«La vie a perdu tout intérêt», ajoute-t-elle. «Je n'ai plus de famille à visiter, plus de porte à laquelle frapper, plus d'endroit agréable où vivre. Plus rien.»
Au total, plus de 100.000 bâtiments sont tombés, 2,3 millions sont altérés et 700.000 personnes vivent dans des conteneurs.
- «Est-ce que quelqu'un nous entend?» -
«Quand j'entre dans ma maison, je tremble. On survit, mais on a du mal à tenir le coup», résume Kadir Yeniceli, un retraité de 70 ans à Kahramanmaras, à 50 km de l'épicentre.
Mais c'est surtout le sentiment d'avoir été abandonnés par l'Etat qui continue de hanter les proches des victimes qui ont dénoncé le retard des secours, arrivés jusqu'à trois jours plus tard sur les lieux avec des engins de levage.
Mardi matin pour le jour anniversaire, à 04H17, l'heure du séisme qui a cueilli les victimes en plein sommeil, les rescapés d'Hatay regroupés au sein d'une «Plateforme du 6 février» prévoient de se rassembler pour hurler ensemble, comme ils l'ont fait cette nuit-là: «Est-ce que quelqu'un nous entend?»
Rapidement, le président Erdogan, alors en campagne pour sa réélection, avait promis 650.000 nouveaux logements dans l'année.
Onze mois plus tard, selon le ministère de l'Environnement et de l'Urbanisation, la construction de la moitié d'entre eux a été lancée, dont 46.000 sont prêts à être livrés.
Samedi, le chef de l'Etat a remis à Hatay les clés des 7.000 premiers à des familles tirées au sort.
«L'objectif est de livrer 15.000 à 20.000 logements par mois» a-t-il promis. «Il nous est impossible de ramener les vies perdues mais nous pouvons compenser vos autres pertes», a-t-il lancé devant un parterre de notables et de rescapés.
Le chef de l'Etat, qui a aussi inauguré un hôpital de 200 lits à Iskenderum, sur la côte d'Hatay, a appelé ses concitoyens à «faire confiance à l'Etat et à (lui) faire confiance».
Dimanche il se rendra à Gaziantep et mardi à Kahranmanras, un fief de son parti AKP qui a massivement voté pour sa réélection en mai dernier.
Fatih n'est sans doute pas de ceux-là. Il préfère taire son identité: «Est ce qu'il y a eu le moindre progrès en un an? Non. Ils démolissent, récupèrent les métaux, se débarrassent des ruines n'importe où et disparaissent», accuse cet ouvrier du textile de 37 ans, qui a perdu son emploi.
- Au prix fort -
«Pourquoi la municipalité ne fait rien? Personne ne s'occupe de nous», accuse-t-il.
Malgré le risque sismique élevé, la Turquie a payé au prix fort la piètre qualité des constructions et la cupidité des promoteurs coupables d'avoir construit n'importe où, à moindre coût, des résidences qui se sont effondrées en quelques secondes, comme la cité Ebrar, à Kahramanmaras (1.400 morts), ou la luxueuse résidence Rönesans à Antakya, qui s'est couchée sur ses centaines d'habitants.
Or à ce jour, les rares poursuites engagées - une poignée de procès ouverts - épargnent les responsables et les politiques qui ont délivré des permis de construire à tout-va.
Pire, selon des experts interrogés par l'AFP, la Turquie n'est pas mieux préparée aujourd'hui à faire face à un nouveau séisme, malgré les risques élevés dans ce pays assis sur deux failles majeures.
«Il faudrait aller bien au-delà de quelques mesures pansements, entreprendre une refonte complète de la gestion des catastrophes», estime Mikdat Kadioglu, spécialiste de la gestion des risques au département d'ingénierie de l'Université technique d'Istanbul (ITU). «Même si les règles antisismiques étaient désormais respectées, sans étude des sols ou construits sur des terrains inappropriés, tels que le lit de rivières, les bâtiments continueront de s'effondrer».