GIBRALTAR: les habitants de Gibraltar confiaient leur soulagement vendredi, au lendemain de l'annonce d'un accord entre Madrid et Londres qui prévoit l'application des règles de Schengen dans le territoire britannique, gage d'une libre circulation avec l'Espagne en dépit du départ du Royaume-Uni de l'Union européenne.
Quelque 15 000 personnes, la plupart espagnoles, passent chaque jour la frontière pour se rendre à Gibraltar, une minuscule enclave britannique à l'extrême sud de la péninsule ibérique, pour venir y travailler.
A ces travailleurs, qui représentent la moitié des salariés de Gibraltar, s'ajoutent des milliers de touristes qui ne viennent pour la plupart que pour la journée, souvent pour profiter des magasins duty-free.
L'unique poste-frontière de l'endroit sur la seule route qui mène à Gibraltar voit également passer chaque année quelque 50 000 camions: la bande de terre d'à peine 6,8 km2 doit importer la totalité des biens alimentaires qu'elle consomme.
Sans accord, les contrôles renforcés et les passeports à tamponner auraient considérablement ralenti ces allées et venues, et donné lieu à une frontière «dure».
Ni travailleurs ni touristes ce vendredi: jour férié et restrictions sanitaires oblige, la frontière était presque déserte.
Cet accord, «c'est une bonne nouvelle, ça semble être la meilleure manière de maintenir l'ensemble en bon ordre», déclare Oliver Gomez, un financier de 34 ans qui promène son chien dans la marina de Gibraltar.
Conclu in extremis jeudi, cet accord prévoit l'application à Gibraltar des accords de Schengen, qui prévoient la libre circulation des personnes sans contrôle des passeports entre 26 Etats européens, parmi lesquels la Norvège, la Suisse ou le Lichtenstein.
Gibraltar n'étant pas un Etat souverain, il ne peut pas devenir membre de Schengen, c'est donc l'Espagne qui veillera à l'application de ces règles, le tout sous l'égide de Frontex, l'agence européenne chargée du contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne.
Frictions à la frontière
Certains habitants de Gibraltar se sont d'ailleurs inquiétés du rôle que jouera l'Espagne dans la gestion de ces règles de Schengen.
«Nous n'avons pas un très bon historique avec les Espagnols. On va voir comment ça se passe», explique Jeff Saez, employé de 43 ans dans un hôtel, croisé à vélo sur le port de plaisance.
L'Espagne a cédé Gibraltar à la couronne britannique en 1713 dans le cadre du traité d'Utrecht, mais elle n'a depuis cessé d'en revendiquer la souveraineté, donnant régulièrement lieu à des frictions à la frontière.
Les tensions ont été à leur comble en 1969, lorsque le régime du dictateur Francisco Franco avait fermé la frontière, qui n'avait rouvert totalement qu'en 1985.
En 2013, un litige concernant un récif artificiel avait provoqué des mois durant des embouteillages à la frontière en raison d'une intensification des contrôles côté espagnol.
Pour Mark Leavesley, un agent immobilier de 34 ans, le territoire se serait adapté, qu'un accord ait été trouvé ou non.
«Gibraltar a montré qu'elle était résiliente», assure-t-il.
«Economie agile»
Gibraltar a dû réinventer son économie lorsque, dans les années 1980, la Grande-Bretagne a réduit sa présence militaire sur le territoire, fermant ses chantiers navals, un des plus gros employeurs.
Là où les forces armées représentaient, à la fin des années 1970, 60% de la main de la main d'oeuvre de Gibraltar, elles pèsent aujourd'hui moins de 10%, selon John Fletcher, économiste à l'Université britannique de Bournemouth.
Le territoire disposait alors d'une politique fiscale avantageuse, ce qui lui a permis de bâtir son secteur banquier et financier, devenant l'une des régions les plus prospères d'Europe.
«C'est une économie vraiment très agile et très inventive, et elle peut l'être parce que Gibraltar est si petit qu'il peut changer très vite», poursuit auprès l'AFP John Fletcher, évoquant une «incroyable» transformation économique.
Le soulagement était aussi du côté de La Linea, la modeste ville espagnole située juste de l'autre côté de la frontière, dont les emplois et les affaires dépendent depuis longtemps de Gibraltar.
Environ 40% des clients de Nuria Hernanez, qui tient un magasin de logiciels à La Linea, viennent de Gibraltar.
«Sans eux, il n'y aurait rien ici», assure-t-elle.