PARIS : En prônant le «réarmement démographique» de la France, Emmanuel Macron a surpris. Veut-il flatter des valeurs réactionnaires ? Non, répondent des historiens rappelant que la natalité a toujours été éminemment politique en France et que le président se situe plutôt dans une tradition de centre-droit.
«Notre France sera plus forte par la relance de sa natalité», a déclaré Emmanuel Macron mardi, soucieux d'«améliorer les choses» par un nouveau congé de naissance, plus court et mieux rémunéré, et un «grand plan de lutte contre l'infertilité».
Évoquant une «stratégie» pour encourager les naissances, dont le nombre en 2023 est le plus bas depuis 1946, le chef de l'Etat a défendu un «réarmement démographique», suscitant une levée de bouclier des associations féministes et des écologistes comme Sandrine Rousseau pour qui «l'utérus des femmes n'est pas une affaire d'État».
«Ce vocabulaire un peu guerrier (du président, ndlr), cette idée que l'on ferait des enfants pour la Nation fait penser au discours nataliste de la fin du XIXe siècle quand il était question de dénatalité et qu'on avait peur que l'Allemagne ait plus d'habitants donc plus de soldats que la France», relève Sandra Brée, chercheuse au CNRS spécialiste de démographie historique.
- De Gaulle vs Giscard -
Mais l'encouragement à avoir des enfants serait-il la parade à un déclin du pays donc un apanage de la seule droite réactionnaire ?
«Si on ne fait rien pour la natalité, le déséquilibre démographique touche toutes les générations», rappelle Christophe Capuano, professeur d'histoire à l'université de Grenoble. Il cite l'équilibre du système des retraites autour duquel notre modèle social est structuré mais aussi la nécessité d'avoir des jeunes pour aider les plus âgés.
Il s'agit donc d'un enjeu collectif qui devrait a priori séduire la gauche. Mais cette dernière, observe-t-il, «ose peu aborder ces questions, peut-être par crainte d'être taxée d'avoir une vision sexiste de cette politique publique».
Les politiques de natalité défendues par la droite et l'extrême-droite «promeuvent des dispositifs conservateurs, centrés sur les mères de famille, voire des dispositifs les écartant du marché du travail».
En revanche, la proposition du président est «une version égalitaire femme/homme avec un même congé», explique-t-il, relevant que les politiques de natalité centrées sur les seules femmes, comme dans les pays du Sud de l'Europe, ont échoué.
Christophe Capuano note également l'absence de coercition ou de répression, comme dans l'entre-deux guerres, puis sous Vichy et même encore après la guerre lorsque la pilule et l'avortement étaient interdits.
Le ton du chef de l'Etat est très éloigné de celui du Général De Gaulle qui, en 1945, appelait les Françaises à faire «12 millions de beaux bébés».
Mais, «il n'est pas en rupture avec ce que pouvait dire Valéry Giscard d'Estaing dans les années 70», conclut l'historien, ou de ce que dit François Bayrou, soit un discours de «centre-droit».
L'ancien président avait fait voter de haute lutte, avec la gauche et contre la droite, la dépénalisation de l'avortement en 1974 mais avait aussi mis en place une prime de naissance en 1978-1979, lorsque la natalité a commencé à chuter.
- Immigration vs épanouissement personnel -
«Le discours nataliste est plus souvent mis en avant à droite mais (...) c'est une question qui traverse les clivages politiques», confirme Didier Breton, professeur de démographie à l'université de Strasbourg.
A droite, on avance plutôt un moyen de «ne pas faire appel à l'immigration». A gauche, la volonté de favoriser l'épanouissement par «la vie personnelle et familiale».
«Dans les deux cas, il y a l'idée que les politiques publiques doivent soutenir les gens qui veulent avoir des enfants», sauf, relève Didier Breton, «un courant égalitaire, féministe» qui s'insurge, estimant qu'elles «cantonnent les femmes à leur fonction reproductive».
Il s'étonne néanmoins que l'initiative du chef de l'État intervienne «paradoxalement à un moment où la situation sociale est le moins en faveur de la natalité avec la dégradation des services publics, la hausse du coût du mode de garde, du logement» et plus généralement l'absence de confiance dans l'avenir.