Nouvelle politique américaine au Moyen-Orient: Iran, normalisation et perspectives

Tout au long de son mandat, Trump, avec l’aide de Kushner a placé le Moyen-Orient comme priorité sur son agenda diplomatique. Après avoir satisfait Israël avec son projet dénommé «deal du siècle» il pressait le pas pour engranger un succès diplomatique juste à la veille de la présidentielle (Photo, AFP).
Tout au long de son mandat, Trump, avec l’aide de Kushner a placé le Moyen-Orient comme priorité sur son agenda diplomatique. Après avoir satisfait Israël avec son projet dénommé «deal du siècle» il pressait le pas pour engranger un succès diplomatique juste à la veille de la présidentielle (Photo, AFP).
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Publié le Jeudi 31 décembre 2020

Nouvelle politique américaine au Moyen-Orient: Iran, normalisation et perspectives

  • Sous Donald Trump, le dossier iranien fut l’un des axes forts de la politique extérieure américaine
  • Même si, en matière de politique étrangère et de sécurité nationale, l’équipe constituée par Joe Biden est dans la continuité de celle de Barack Obama, il est normal qu’elle prenne en compte les nouveaux faits

PARIS: La victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle américaine entraînera sans doute des ajustements à la politique étrangère de Washington, mais non une rupture en profondeur. Globalement, il n'y aura pas de différence fondamentale entre «l'Amérique d'abord», le slogan de Trump, et «l'Amérique, la puissance exceptionnelle et indispensable» des démocrates. Cela s’applique au Moyen-Orient et aux deux conflits qui le tiraillent depuis longtemps: le conflit israélo-arabe, l’un des conflits régionaux les plus anciens; et la crise provoquée par l’expansionnisme iranien dont le dossier nucléaire ne représente qu’une des facettes.

Sous Donald Trump, le dossier iranien fut l’un des axes forts de la politique extérieure américaine. Cette politique s’est traduite par le retrait unilatéral, en mai 2018, de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPOA) signé le 14 juillet 2015 par les cinq membres permanents de l’Organisation des Nations unies, l’Allemagne, l’Union européenne et l’Iran. Elle s’est également exprimée dans une stratégie maximale de pressions qui ont pris la forme de sanctions et d’opérations de pointe menées directement par Washington dont l’élimination du général Qassem Soleimani, ou, indirectement, le récent attentat qui a coûté la vie à Mohsen Fakhrizadeh, le père des deux programmes nucléaire et balistique.

L’action de Trump a bien affaibli l’Iran, mais la République islamique, qui s’appuie sur un soutien et des facilités de la part de la Russie et de la Chine ainsi que sur une compréhension politique de la troïka européenne (Allemagne, Grande-Bretagne et France), a refusé de céder à l’administration Trump en pariant comme les Européens sur l'arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche.

Même si, en matière de politique étrangère et de sécurité nationale, l’équipe constituée par Joe Biden est dans la continuité de celle de Barack Obama, il est normal qu’elle prenne en compte les nouveaux faits. En effet, l’Iran et le monde ont changé entre 2008, 2015 et 2020, et les données et les circonstances se sont modifiées au point que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) n’a pas hésité à avertir l’administration qui va s’installer le 20 janvier prochain, de faire attention aux développements de facto créés par l’Iran dans son programme nucléaire.

Tout cela va compliquer la tâche de l’équipe Biden pour effectuer un retour en bonne et due forme à l’accord de 2015. Plusieurs obstacles se dressent devant elle:

-       La revendication iranienne de l’abrogation de toutes les sanctions imposées par Trump, sachant que cette démarche nécessite un long processus institutionnel à Washington;

-       La durée de l’accord qui expire en 2025;

-       Le refus iranien de tout dialogue ou accord concernant le programme de missiles balistiques, sachant que l'assassinat de Mohsen Fakhrizadeh, a mis en évidence l'existence d'un «programme nucléaire militaire parallèle qui a été tenu secret même aux yeux des responsables officiels du gouvernement du pays».

Selon une source européenne en charge du suivi des activités iraniennes, un certain nombre d'indications permettent de penser que l'Iran cherche, depuis le milieu des années 1990, à établir un programme parallèle qui ne vise pas nécessairement à fabriquer en secret une bombe nucléaire, mais plutôt à assurer l'atteinte du «seuil nucléaire» (selon l'exemple japonais). Ce seuil indique la maîtrise du cycle du combustible nucléaire nécessaire pour composer une bombe nucléaire sans la fabriquer. De surcroît, la menace augmente si l’effort secret iranien se concentre sur le développement d’un missile balistique capable de porter une ogive nucléaire.

Selon des sources concordantes : «Les explosions et les incendies mystérieux» qui se sont produits l'été dernier ont bien visé l’installation de missiles de Parchin et le complexe de Natanz, où un groupe de centrifugeuses avancées a été détruit. Après l'assassinat de Mohsen Fakhrizadeh, un nouveau bâtiment près de Natanz a été découvert, et, bien sûr, il est souterrain. Tout cela signifie que les frappes depuis 2010 ont retardé et épuisé le programme nucléaire, mais ne l'ont pas remis en cause, d'autant que l'échéance de l'accord de 2015 expire en 2025 et rend la situation ouverte à toutes les possibilités.

Il est remarquable que les pays européens qui ont signé l'accord aient adopté une position ferme, selon le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas (dont le pays occupe la présidence tournante de l'Union européenne jusqu'à la fin de cette année). Il faut aboutir à un nouvel accord nucléaire qui assure le contrôle des deux programmes nucléaire et balistique, et qui prévoit un rôle régional iranien positif et non agressif.

Sans aucun doute, cette position constituera une base de travail pour se coordonner avec l’administration démocratique américaine élue et faire des pays européens des partenaires à part entière dans les négociations. Cette position met également la pression sur l'Iran et représente un succès moral pour l'administration du président américain Donald Trump, qui a tracé une ligne que l'administration Biden ou tout autre négociateur ne peut franchir.

D'après tous ces faits, la reprise des négociations entre Washington et Téhéran sur le dossier nucléaire iranien sera plus difficile et pourrait attendre l’élection présidentielle iranienne en juin prochain.

Toutefois, l'harmonie européenne avec l'administration Biden représentera une pression supplémentaire sur Téhéran et aura donc un impact sur les positions russe et chinoise, qui ne donnent pas nécessairement leur accord à toute tentative iranienne de franchir les lignes rouges dans les programmes nucléaire et balistique. Et, étant donné l'annonce de Washington d'impliquer l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis dans toutes les négociations futures et l'influence israélienne dans ce dossier, Téhéran sera dans une position de négociation plus embarrassante qu'elle ne l'était avec l'administration Obama.

Sans aucun doute, la tourmente interne en Iran – la bataille pour l’élection présidentielle et le dossier de la succession du guide – jettera une ombre sur le cercle décisionnel à Téhéran pour soit aller vers une aventure imprévisible soit arrondir les angles pour assurer la survie du régime.

La normalisation arabo-israélienne de Trump à Biden

Tout au long de son mandat, Donald Trump, avec l’aide de Jared Kushner, son dévoué gendre et conseiller, a placé le Moyen-Orient comme priorité sur son agenda diplomatique. Après avoir satisfait Israël avec son ambitieux projet dénommé «deal du siècle» (à travers la reconnaissance de Jérusalem comme capitale unifiée et unique de l’État hébreu et la validation de l’annexion du Golan et d’autres territoires de la Cisjordanie), il pressait le pas ces derniers mois pour engranger un succès diplomatique juste à la veille de la présidentielle. Mais la poursuite de l’effort jusqu’au bout du mandat, comme l’indique le dernier accord Maroc-Israël, prouve que Trump insiste pour redessiner le paysage géopolitique au Moyen-Orient avant son départ.

En août dernier, il se présentait comme artisan de la paix et déclarait: «Même les plus grands guerriers finissent par être fatigués de se battre, et ils sont fatigués.» Il marquait à sa manière la signature de l’accord entre les Émirats arabes unis, Bahreïn et Israël. Ce qui est encore plus significatif, c’est le degré d’implication américaine dans les accords avec le Soudan et le Maroc où les contreparties sont offertes par Washington et non par Netanyahou (la désinscription du Soudan de la liste des pays soutenant le terrorisme et la reconnaissance de la marocanité du Sahara).

Trump a permis à son ami Netanyahou de remporter une victoire idéologique incontestable. Cet opposant historique aux accords d’Oslo a sans cesse plaidé pour un rapprochement direct avec le monde arabe sans régler la question domestique palestinienne.

Au cours des dernières années, l’expansionnisme iranien a été perçu par beaucoup de pays arabes comme une menace existentielle de premier plan, ce qui change la perception par rapport à la primauté de la menace israélienne. Compte tenu de ce développement, la face cachée de la normalisation fut l’établissement d’une coordination entre certains pays arabes et Israël contre l’Iran.

Dans le sillage de ces succès diplomatiques de fin de mandat, l’équipe Trump table sur de prochains accords avec le sultanat d’Oman, voire avec l’Indonésie lointaine, première puissance musulmane sur le plan démographique. Quant à l’Arabie saoudite qui n’a pas entravé les démarches de ces deux alliés – les Émirats arabes unis et Bahreïn –, ainsi que ses amis marocains et soudanais, il ne semble pas qu’elle se joigne à la normalisation, sans un accord plus large qui garantisse des droits légitimes pour les Palestiniens et proches des termes de «l’initiative arabe de paix» commencée par Riyad depuis 2002.

Tout laisse croire, que la politique de Biden par rapport à Israël et au conflit régional, ne va pas différer significativement de celle de Trump. Elle va marquer une continuité avec certains ajustements, notamment en ce qui concerne la Jordanie et la reprise des négociations avec l’Autorité palestinienne. De plus, les opportunités économiques et les ouvertures touristiques issues de ces accords pourraient être la clé pour une normalisation qui touche les peuples, loin d’une «paix froide» entre dirigeants. Il est intéressant de noter que les pays arabes concernés par la normalisation ne sont pas tangents avec Israël, et cela prouve que l’ambiance politique a changé en faveur d’une priorité donnée aux intérêts nationaux directs (cas soudanais et marocain) avant la considération d’une solidarité panarabe qui s’avère plutôt utopique.

L’administration Biden aura la tâche difficile de traiter avec trois axes dans un Moyen-Orient redessiné: l’axe proaméricain formé de facto entre certains pays arabes et Israël contre la menace iranienne à la faveur de la normalisation; l’axe Turquie-Qatar-Frères musulmans; et l’axe dirigé par l’Iran qui s’étend vers l’Irak, la Syrie et le Liban. La gestion de crise et la non-poursuite du retrait américain entamé à l’ère d’Obama pourraient-elles être les traits d’une nouvelle politique américaine au Moyen-Orient?


1977 : Quand Sadate s'est rendu en Israël

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  • Premier dirigeant arabe à se rendre dans le pays, le président égyptien a fait une tentative de paix qui a indigné la région
  • Les choses se sont ensuite accélérées. Onze jours plus tard, le 19 novembre, Sadate arrive à Jérusalem pour une visite de trois jours. Le 20 novembre, il s'adresse à la Knesset, le parlement israélien

LE CAIRE: Le 8 novembre 1977, le président égyptien Anouar el-Sadate a annoncé devant le parlement égyptien - en présence de Yasser Arafat, chef de l'Organisation de libération de la Palestine - qu'il était prêt à se rendre à Jérusalem pour entamer des négociations en vue d'un processus de paix avec Israël.

Cette annonce a choqué toutes les personnes présentes et, au fur et à mesure que la nouvelle se répandait, elle a surpris le monde entier, y compris Israël même : si l'Égypte reconnaissait diplomatiquement Israël, elle serait le premier État arabe à le faire.

Les choses se sont ensuite accélérées. Onze jours plus tard, le 19 novembre, Sadate arrive à Jérusalem pour une visite de trois jours. Le 20 novembre, il s'adresse à la Knesset, le parlement israélien.

"Aujourd'hui, je suis venu à vous avec des mesures fermes, pour construire une nouvelle vie et établir la paix", a-t-il déclaré aux membres de l'assemblée.

"Nous tous sur cette terre, musulmans, chrétiens et juifs, adorons Dieu et personne d'autre que Lui. Les enseignements et les commandements de Dieu sont l'amour, la sincérité, la pureté et la paix".

Arab News a publié en première page la visite d'Anouar el-Sadate en Israël, relatant les événements qui ont conduit à l'accord de paix historique.

Il a déclaré qu'il n'avait consulté personne avant de prendre sa décision, ni ses collègues, ni les autres chefs d'État arabes.

Il parle des familles des "victimes de la guerre d'octobre 1973 ... toujours en proie au veuvage et au deuil de leurs fils et à la mort de leurs pères et de leurs frères".

Il a également affirmé qu'il était de son devoir "de ne rien négliger pour épargner à mon peuple arabe égyptien les horreurs déchirantes d'une autre guerre destructrice, dont seul Dieu peut connaître l'ampleur".

Sadate a ajouté que les autorités israéliennes devaient faire face à certains faits "avec courage et clairvoyance". Elles doivent se retirer des territoires arabes qu'elles occupent depuis 1967, y compris Jérusalem. En outre, tout accord de paix doit garantir "les droits fondamentaux du peuple palestinien et son droit à l'autodétermination, y compris le droit de créer son propre État".
Sadate a été le premier dirigeant arabe à se rendre en Israël et s'adresse au Parlement israélien le lendemain. "Devant nous aujourd'hui se trouve la chance de la paix... une chance qui, si elle est perdue ou gâchée, entraînera la malédiction de l'humanité et la malédiction de l'histoire pour celui qui aura comploté contre elle", a-t-il indiqué. 

Le pari audacieux de Sadate a suscité la colère dans le pays et à l'étranger. Ismail Fahmy, ministre égyptien des Affaires étrangères, a démissionné de son poste deux jours avant la visite. Dans ses mémoires, il décrit l'initiative de Sadate comme "un geste irrationnel dans un jeu de paix long et compliqué". Ensuite, Sadate nomme Mahmoud Riad comme nouveau ministre des Affaires étrangères, qui a également démissionné.

En effet, les critiques ne manquaient pas en Égypte, notamment celles de l'éminent homme politique Fouad Serageddin et de l'écrivain Youssef Idris, qui qualifiaient le geste de Sadate de "soumission et d'humiliation de la volonté victorieuse de l'Égypte face à un ennemi vaincu", en référence à la victoire d'octobre 1973 des forces égyptiennes et syriennes sur Israël dans le Sinaï et sur les hauteurs du Golan.

De nombreux pays arabes de la région ont suspendu leurs relations avec l'Égypte et gelé les projets communs et les investissements dans le pays, qui a également été exclu de la Ligue arabe.

Cette colère s'est reflétée dans les rues de la région, avec des manifestations dans plusieurs villes arabes, dont Beyrouth, Damas, Bagdad, Aden, Tripoli et Alger.

La visite de Sadate à Jérusalem était la première étape d'un processus de négociations de deux ans entre l'Égypte et Israël, sous l'égide des États-Unis, qui s'est achevé par la signature d'un traité de paix entre Sadate et le premier ministre israélien Menachem Begin à Washington le 26 mars 1979, en présence du président Jimmy Carter, à la suite des accords de Camp David de septembre 1978.

Sadate avait alors signé son propre arrêt de mort. Parmi les personnes et les organisations qui ont appelé à sa mort figurent Omar Abdel Rahman, chef d'un groupe islamiste extrémiste actif en Égypte à l'époque, les Frères musulmans et l'ayatollah Khomeini, chef de la révolution iranienne.

Le 6 octobre 1981, alors qu'il assiste à la parade militaire annuelle au Caire pour célébrer la victoire égyptienne de 1973 dans le Sinaï, Sadate et dix autres personnes sont abattus par des membres du Tanzim Al-Jihad, un groupe islamiste égyptien.

Hani Nasira est un universitaire et expert politique égyptien, ainsi que le directeur de l'Institut arabe d'études. Il est l'auteur de plus de 23 ouvrages.
 


1976, les origines de la Journée de la Terre

Un policier palestinien place un drapeau national devant des soldats israéliens lors d'affrontements sur des terres confisquées par l'armée israélienne pour ouvrir une route aux colons juifs. (AFP)
Un policier palestinien place un drapeau national devant des soldats israéliens lors d'affrontements sur des terres confisquées par l'armée israélienne pour ouvrir une route aux colons juifs. (AFP)
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  • La Journée de la terre reflète une injustice historique non résolue
  •  Pendant la Nakba, en 1948, deux villages palestiniens du nord d'Israël, Iqrit et Biram, majoritairement chrétiens, ont été dépeuplés par les forces israéliennes

AMMAN: La Journée de la terre, célébrée chaque année le 30 mars, commémore un moment crucial de l'histoire palestinienne: en 1976, six citoyens palestiniens d'Israël non armés ont été tués par les forces israéliennes lors de manifestations contre l'expropriation par le gouvernement de terres appartenant à des Arabes en Galilée.

Cet événement n'a pas seulement marqué la première mobilisation de masse des Palestiniens en Israël depuis 1948, il a également mis en évidence leur lutte permanente pour les droits fonciers et l'identité.

Les premières manifestations de la Journée de la terre, le 30 mars 1976, ont été déclenchées par le projet du gouvernement israélien de confisquer environ 20 000 dunams (2 000 hectares) de terres dans la région de Galilée, au nord d'Israël. Les terres visées par l'expropriation, dans des villages tels que Sakhnin, Arraba et Deir Hanna, appartenaient principalement à des citoyens palestiniens d'Israël.

Cette confiscation de terres à grande échelle s'inscrivait dans le cadre d'une politique israélienne plus large, la «judaïsation de la Galilée», qui visait à accroître la population juive dans la région et à réduire la proportion de terres appartenant à des Arabes.

La Journée de la terre reflète également une injustice historique non résolue. Pendant la Nakba, en 1948, deux villages palestiniens du nord d'Israël, Iqrit et Biram, majoritairement chrétiens, ont été dépeuplés par la force. L'armée israélienne a promis aux habitants, qui sont devenus citoyens israéliens et ont continué à vivre en Israël, qu'ils pourraient retourner chez eux après une brève évacuation jugée nécessaire pour des raisons de sécurité. Cependant, ils n'ont jamais été autorisés à rentrer chez eux; au contraire, les villages ont été détruits et les terres expropriées par l'État israélien.

Les villageois d'Iqrit et de Biram, ainsi que leurs descendants, continuent de faire campagne pour leur droit au retour, et les deux villages perdus restent des symboles durables de la lutte palestinienne plus large pour le droit à la terre.

Arab News a commémoré le 75e anniversaire de la Nakba en titrant en première page «La lutte continue».

L'importance de la Journée de la terre va au-delà des événements de 1976. La commémoration annuelle permet de rappeler le lien profondément ancré entre le peuple palestinien et ses terres ancestrales, un lien qui a été continuellement menacé par les politiques israéliennes conçues pour modifier les paysages historiques, démographiques et géographiques de la Palestine.

Au cours des années qui ont suivi cette première Journée de la terre, le gouvernement israélien a continué à mettre en œuvre des politiques qui aboutissent à l'appropriation de terres palestiniennes. Ces actions comprennent l'expansion des colonies en Cisjordanie, la construction de la barrière de séparation et la désignation de terres domaniales dans des zones traditionnellement utilisées par les communautés palestiniennes.  

La réponse à ces politiques a été multiforme, englobant des défis juridiques, un activisme de base et un plaidoyer international.

Les citoyens palestiniens d'Israël, ainsi que ceux des territoires occupés et de la diaspora, ont utilisé la Journée de la terre comme plate-forme pour mettre en lumière les problèmes de dépossession des terres et appeler à la justice et à l'égalité. Cette journée est devenue un événement fédérateur, favorisant la solidarité entre Palestiniens au-delà des clivages géographiques et politiques.

Cependant, les défis à relever restent considérables. Le système juridique et politique israélien favorise souvent les intérêts de l'État et des colons, ce qui rend difficile pour les Palestiniens de récupérer les terres confisquées ou d'empêcher de nouvelles expropriations.

Les lois israéliennes ont facilité l'expansion des colonies, fourni des protections juridiques aux colons et permis l'appropriation de terres, souvent au détriment des droits des Palestiniens. La loi de 1970 sur les questions juridiques et administratives, par exemple, promulguée après l'annexion de Jérusalem-Est en 1967, permet aux juifs de récupérer les propriétés qui leur appartenaient dans cette zone avant 1948, même si des Palestiniens y ont vécu pendant des décennies depuis lors. Toutefois, les Palestiniens n'ont pas le même droit de réclamer les propriétés qu'ils possédaient à Jérusalem-Ouest, ou ailleurs en Israël, avant la guerre de 1948.

Les expulsions de Sheikh Jarrah en 2021, qui ont été à l'origine de la guerre de 11 jours entre Palestiniens et Israéliens cette année-là, ont montré que les communautés palestiniennes sont toujours menacées d'expulsion à Jérusalem-Est en vertu des lois israéliennes. La Cour suprême israélienne a tranché en faveur des colons en décidant que les familles palestiniennes de Sheikh Jarrah ne pouvaient rester sur place que si elles payaient un loyer aux colons, reconnaissant de fait les revendications de ces derniers en matière de propriété de biens immobiliers antérieurs à 1948.

En outre, les réactions internationales à ces développements se sont souvent limitées à des déclarations d'inquiétude, avec peu d'actions tangibles pour tenter de rendre les autorités israéliennes responsables de leurs politiques, y compris celles liées aux questions d'expropriation de terres, de colonies illégales et de déplacements de population.

Ces dernières années, la Journée de la terre a pris une signification supplémentaire, notamment dans le contexte des manifestations de la Grande Marche du retour qui ont débuté en 2018 dans la bande de Gaza. Ces manifestations, qui réclamaient le droit au retour des réfugiés palestiniens et la fin du blocus de Gaza, se sont heurtées à une violence importante de la part des forces israéliennes, faisant de nombreuses victimes.

En outre, les actions des citoyens palestiniens d'Israël en Galilée n'ont pas permis à la société israélienne de prendre véritablement conscience des injustices historiques et actuelles perpétrées à l'encontre de ces Palestiniens. Il s'agit notamment de l'incapacité à reconnaître la discrimination systémique et la dépossession qui ont caractérisé les politiques de l'État, ou à œuvrer en faveur d'une égalité et d'une réconciliation véritables.

Les événements de 1976, qui ont marqué la première mobilisation palestinienne de masse depuis 1948, ont mis en évidence le pouvoir de la solidarité au-delà des clivages politiques, religieux et idéologiques. Cette unité est restée la pierre angulaire de la lutte, renforçant l'idée que ce n'est que par des efforts collectifs que les politiques discriminatoires peuvent être efficacement contestées et les droits affirmés.

Les enseignements de la Journée de la terre soulignent également l'importance d'une résistance stratégique et persistante, tant au niveau local qu'international. L'attention mondiale suscitée par les manifestations de 1976 a montré l'importance d'un activisme pacifique et organisé pour amplifier la cause palestinienne. Elles ont également mis en évidence la nécessité d'une mobilisation politique pour lutter contre la discrimination systémique et garantir l'égalité des droits.

Pour les Palestiniens d'Israël et d'ailleurs, la Journée de la terre est une occasion qui résume à la fois la douleur de la perte et l'espoir d'un avenir où règnent la paix et la justice.

Daoud Kuttab est chroniqueur pour Arab News, spécialisé dans les affaires du Moyen-Orient, et plus particulièrement dans les affaires palestiniennes.

Il est l'auteur du livre «State of Palestine NOW: Practical and logical arguments for the best way to bring peace to the Middle East».


1979 : La révolution iranienne, le siège de La Mecque et l'invasion soviétique de l'Afghanistan

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  • Les événements sismiques de 1979 ont remodelé le Moyen-Orient, alimentant l'extrémisme, les hostilités régionales et les conflits mondiaux qui continuent de se répercuter aujourd'hui

RIYAD – Dans une région où les bouleversements géopolitiques sont presque monnaie courante, la triple onde de choc de 1979 a fait de cette année un tournant exceptionnel, hors du commun.

La révolution iranienne, le siège de La Mecque et l'invasion soviétique de l'Afghanistan ont été reliés par un seul et même fil conducteur : La naissance d'une forme d'extrémisme islamique qui allait avoir des conséquences catastrophiques pour des millions de personnes, et dont les répercussions se font encore sentir aujourd'hui dans le monde entier.

Les premiers grondements ont commencé l'année précédente, dans un contexte d'inquiétude généralisée en Iran face au régime de plus en plus oppressif du shah Mohammed Reza Pahlavi, dont les réformes de la "révolution blanche" étaient perçues par beaucoup comme poussant l'occidentalisation du pays trop loin et trop vite.

En janvier 1978, une manifestation religieuse dans la ville de Qom, centre d'études chiites situé à 130 kilomètres au sud-ouest de la capitale, Téhéran, a été violemment réprimée par les forces de sécurité qui ont ouvert le feu, tuant jusqu'à 300 manifestants, principalement des étudiants du séminaire.

Les manifestations se sont étendues aux villes du pays et ont culminé à la fin de l'année par des grèves et des protestations généralisées pour exiger le départ du shah et le retour du grand ayatollah Khomeini de son exil en France.

Comment nous l'avons écrit

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Le journal a couvert la "première crise majeure" du gouvernement iranien lorsque les troupes pro-Chah ont affronté les manifestants à Ahwaz, ravivant les tensions dans le contexte d'un tremblement de terre simultané.

Le 16 janvier 1979, le chah et sa famille quittent l'Iran pour ne plus jamais y revenir. Le 1er février, Khomeini est arrivé à l'aéroport de Mehrabad à Téhéran, débarquant d'un vol Air France en provenance de Paris après 15 ans d'exil, accueilli dans le tumulte par des millions d'Iraniens.

En l'espace de dix jours, les derniers vestiges de l'ancien régime se sont effondrés et Shapour Bakhtiar, le premier ministre nommé par le chah à peine un mois plus tôt, a pris le chemin de l'exil.

Le 1er avril 1979, les résultats d'un référendum national sont révélés et, avec le soutien de plus de 98 % des électeurs, Khomeini déclare la création de la République islamique d'Iran, dont il sera le chef suprême.

La révolution iranienne a été fondée sur une base constitutionnelle sectaire qui mettait l'accent sur l'exportation de son idéologie révolutionnaire, ce qui a alimenté les tensions sectaires dans toute la région.

La révolution a introduit la théorie de la tutelle du juriste (Wilayat Al-Faqih), un principe sectaire qui place le juriste islamique, ou expert en droit islamique, au-dessus de l'État et de son peuple, lui accordant l'autorité ultime en matière de relations étrangères et de sécurité nationale.

Le juriste gardien se perçoit comme le chef de tous les musulmans du monde, son autorité ne se limitant pas aux Iraniens ni même aux chiites. C'est cette prétention au leadership universel qui a le plus alarmé les autres pays de la région, car cette théorie fait fi de la souveraineté des États, favorise les groupes sectaires et accorde au régime révolutionnaire le "droit" d'intervenir dans les affaires des autres nations.

L'attachement de la nouvelle République islamique au principe de l'exportation de sa révolution a encore exacerbé les hostilités régionales, la guerre Iran-Irak qui a éclaté en 1980 en étant le point de départ.

Le programme révolutionnaire de l'Iran avait cherché à affaiblir l'Irak, un pays arabe essentiel, en incitant et en soutenant les groupes et les milices chiites par l'entraînement, l'aide financière et les armes. En fin de compte, ce sont ces groupes qui ont formé la base des milices que l'Iran a largement exploitées après l'invasion américaine de l'Irak en 2003, lorsque le régime Baas de Saddam Hussein a chuté.

Il n'a pas fallu longtemps pour que les craintes des voisins de l'Iran de voir la révolution se propager dans toute la région se concrétisent.

Le 20 novembre 1979, après la prière de l'aube dans la Grande Mosquée de La Mecque, plus de 200 hommes armés, dirigés par Juhayman al-Otaibi, un extrémiste religieux, se sont emparés du site sacré et ont annoncé que le Mahdi tant attendu, l'annonciateur du jour du jugement, prophétisé pour apporter la justice après une période d'oppression, était apparu. Ce prétendu Mahdi était le beau-frère d'Al-Otaibi, Mohammed Al-Qahtani.

Al-Otaibi demande à ses partisans de fermer les portes de la mosquée et de placer des tireurs d'élite au sommet de ses minarets, qui dominent La Mecque. Pendant ce temps, l'homme identifié comme le Mahdi, qui se croyait sous protection divine, a été rapidement abattu par les forces spéciales saoudiennes lorsqu'il est apparu lors des affrontements sans protection.

Le siège de La Mecque s'est poursuivi pendant 14 jours et s'est achevé par la capture et l'exécution d'Al-Otaibi et de dizaines de ses compagnons d'insurrection survivants.

Bien qu'il n'y ait aucune preuve de l'implication directe de l'Iran dans la prise de la Grande Mosquée, le climat révolutionnaire en Iran a été une source d'inspiration idéologique pour de nombreux mouvements extrémistes et organisations armées au cours de cette période.

La réponse énergique du gouvernement saoudien au siège a envoyé un message clair et sans équivoque aux factions extrémistes : la rébellion et les idéologies violentes ne seraient pas tolérées. Cette stratégie de dissuasion s'est avérée déterminante pour préserver le royaume de nouvelles violences et de nouvelles effusions de sang.

Comment nous l'avons écrit

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Arab News a rapporté la fin du siège, citant 75 "renégats" tués, 135 capturés et 60 soldats saoudiens morts "au service de Dieu".

Mais l'année 1979 cachait un autre choc. Le 25 décembre, un peu plus d'un mois après la fin du siège de La Mecque, les troupes soviétiques envahissent l'Afghanistan.

L'invasion a eu lieu au cours d'une période d'intense instabilité politique dans le pays. En 1978, le président Mohammed Daoud Khan et sa famille ont été renversés et tués par Nur Mohammed Taraki, un communiste.

Le règne de Taraki a été de courte durée : son ancien camarade de parti, Hafizullah Amin, s'est emparé du pouvoir et l'a tué. Les tentatives d'Amin d'aligner l'Afghanistan plus étroitement sur les États-Unis ont incité les Soviétiques à orchestrer son assassinat et à le remplacer par Babrak Karmal, un communiste plus fiable, s'assurant ainsi une direction plus docile.

L'intervention soviétique a été motivée par plusieurs raisons. Sur le plan économique, la richesse en ressources naturelles de l'Afghanistan en faisait une cible de choix. Sur le plan politique, l'invasion visait à soutenir le régime communiste chancelant et à s'assurer qu'aucun gouvernement hostile n'émerge en Afghanistan, un voisin clé dans la sphère géopolitique immédiate de l'Union soviétique.

Cet objectif était particulièrement important dans le contexte plus large de la guerre froide, où les États-Unis s'efforçaient activement de contrer l'influence soviétique en encerclant l'Union soviétique et en freinant ses ambitions expansionnistes.

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Arab News rapporte que le ministre afghan Muhammad Abdo Yamani a exhorté l'Autriche à exiger le départ des forces soviétiques d'Afghanistan et a suggéré un embargo pour faire pression sur leur retrait.

En Afghanistan, l'armée soviétique s'est heurtée à une forte résistance de la part des moudjahidines islamistes, qui bénéficiaient d'un soutien important de la part des puissances internationales, en particulier des États-Unis et de leurs alliés régionaux, et l'intervention s'est finalement avérée vaine.

Pendant dix ans, l'Union soviétique a subi d'importantes pertes humaines et matérielles en Afghanistan, mais n'a pas réussi à reprendre le contrôle et la stabilité politique du pays grâce au système politique qu'elle avait adopté. Ce système manquait de légitimité populaire et ne contrôlait qu'un territoire limité, le reste du pays restant sous le contrôle des forces d'opposition.

Tous ces facteurs ont finalement contraint l'armée soviétique à se retirer d'Afghanistan après près d'une décennie. La guerre civile qui s'ensuivit aboutit à l'arrivée au pouvoir des Talibans en 1996.

L'invasion soviétique de l'Afghanistan a eu des conséquences considérables. Sur le plan géopolitique, elle a révélé les limites de l'armée soviétique, et l'échec en Afghanistan a coïncidé avec le déclin politique et économique interne de l'Union soviétique, son incapacité à rivaliser avec les États-Unis dans la course aux armements et l'éclatement de soulèvements populaires dans les pays qui avaient adopté le modèle socialiste.

En tant que telle, l'invasion est largement considérée comme un facteur majeur ayant contribué à l'effondrement final de l'Union soviétique.

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Les résistants afghans ont repoussé l'invasion soviétique au prix d'un immense sacrifice humain et d'une aide importante de l'Occident, en particulier des États-Unis. On estime à 1,5 million le nombre d'Afghans qui ont trouvé la mort dans ce conflit. (AFP)

La guerre est également devenue un terreau fertile pour les mouvements extrémistes djihadistes. Les Arabes et les musulmans qui ont rejoint la résistance afghane ont trouvé dans le conflit une plateforme unificatrice, attirant des dirigeants et des combattants de plusieurs pays du monde islamique.

À leur retour dans leur pays, ces individus ont apporté avec eux une expertise militaire et des idéologies radicales. Cet environnement a facilité la création d'organisations terroristes, ces vétérans cherchant à reproduire la lutte armée pour renverser les régimes dans leur propre pays.

Le produit le plus marquant de ce phénomène est Oussama ben Laden, né en Arabie saoudite, qui a combattu aux côtés des moudjahidines contre les Soviétiques en Afghanistan. Il a fondé le groupe terroriste Al-Qaida, qui s'est imposé comme une force de premier plan parmi les organisations religieuses extrémistes.

Ben Laden et Al-Qaida ont joué un rôle crucial dans la vague mondiale de terrorisme qui a culminé avec les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis et toutes les répercussions qui en ont découlé. L'invasion de l'Afghanistan par une coalition dirigée par les États-Unis en 2001 et la montée en puissance de groupes terroristes soutenus par l'Iran en Irak après le renversement de Saddam Hussein en 2003, qui ont finalement conduit à la montée en puissance de Daesh, en sont des exemples.

Mohammed Al-Sulami dirige l'Institut international d'études iraniennes (Rasanah).

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com