PARIS: Saint-Brevin, L'Haÿ-les-Roses, Saint-Denis, Montjoi... En 2023, les élus locaux ont une nouvelle fois constitué des cibles, un phénomène en hausse qui témoigne selon les Maires de France d'une violence désinhibée au coeur de la société.
Entre Noël et le Jour de l'an, c'est un maire du Jura qui a été visé par une dizaine de tags sur les murs de sa petite commune. Quelques jours plus tôt, celui du Péage-de-Roussillon (Isère) a été violemment agressé, en famille, par des "nationalistes" alors qu'il arborait sa cocarde d'élu tricolore.
De nombreux faits similaires ont marqué 2023, avec en points d'orgue l'incendie criminel en mars au domicile du maire de Saint-Brevin (Loire-Atlantique), Yannick Morez, et l'attaque à la voiture-bélier visant celui de l'édile de L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), lors des émeutes début juillet.
Selon le ministère de l'Intérieur, les faits de violences envers les élus ont augmenté de 32% en 2022 (2.265 plaintes et signalements) et 2023 devrait battre des records avec une hausse de 15%.
Mais au-delà des agressions "spectaculaires", qui restent rares, il y a avant tout celles du "quotidien", explique à l'AFP David Lisnard, président de l'Association des maires de France (AMF) et maire LR de Cannes. "Par exemple, lorsqu'on dit à quelqu'un de ramasser ses déchets par terre, de ne pas se garer sur un passage piéton ou faire des rodéos urbains...".
«Consommateurs capricieux»
D'après une enquête du Cevipof en novembre, à laquelle 8.000 maires ont participé, 69% déclarent avoir déjà été victimes d'incivilités (+16 points par rapport à 2020), 39% d'injures et d'insultes (+10), et 27% d'attaques sur les réseaux sociaux (+7).
Au regard de ces violences croissantes, qui dessinent une "remise en cause profonde du rapport à l'autorité", David Lisnard dénonce l'"individualisme" d'une société où se "délite le sentiment d'appartenance à la Nation".
"Certains habitants ne se comportent plus comme des citoyens mais comme des consommateurs capricieux de l'espace public", aux attentes pas toujours à la hauteur des marges d'action des élus, constate-t-il.
"Cela s'inscrit dans un phénomène plus profond, celui d'une montée générale de la violence en France", déplore M. Lisnard.
Pour Martial Foucault, politologue et directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), une explication est à chercher dans la nature même de l'espace politique français, extrêmement "polarisé" et traversé de débats électriques susceptibles de "désinhiber l'acte de violence".
Les élus sont désormais plus accessibles et identifiables, remarque-t-il, car davantage présents sur le terrain depuis la crise des "gilets jaunes", mais aussi sur les réseaux sociaux où ils peuvent être "vulnérables".
Ainsi au printemps, le maire de Montjoi (Tarn-et-Garonne) a été placé sous protection policière, menacé de mort après avoir été la cible d'une vidéo d'un Youtubeur d'extrême-droite.
Accompagnement psychologique
Il y a certes une libération de la parole, mais les chiffres officiels demeurent "en dessous de la réalité", souligne Martial Foucault. Certains élus craignent encore des représailles, d'autres sont découragés par les délais de procédure.
"Même si, depuis les émeutes, le garde des Sceaux a demandé d'instruire en accéléré les cas de violences envers les élus, beaucoup sont aujourd'hui encore en attente d'une réponse du procureur après un dépôt de plainte", regrette-t-il.
Pour mieux les protéger, le gouvernement a lancé en mai un "pack sécurité", avec un nouveau réseau de référents dédiés dans les gendarmeries. En juillet, il lançait aussi un plan de cinq millions d'euros, comprenant entre autres une protection fonctionnelle automatique et un accompagnement psychologique des élus.
La loi de programmation de la justice adoptée par le Parlement en octobre prévoit elle un alignement des peines sur celles encourues pour violences contre des agents en uniforme.
"On ne veut pas de sanctions théoriques", prévient David Lisnard. "Seule l'effectivité des poursuites pourra avoir un effet structurant de prévention."
Selon le Cevipof, les démissions de maires ont augmenté de 30% depuis 2020, principalement en raison de la réalité complexe et chronophage de leur mission, associée à une trop forte exigence des citoyens.
Martial Foucault ne voit cependant pas venir de crise des vocations avant les élections municipales de 2026.