KFAR KILA: Dans son petit restaurant de falafels du sud du Liban, Hussein Mourtada prépare des sandwichs pour les rares clients, alors qu'un drone de reconnaissance israélien survole son village frontalier quasiment désert.
"Nous travaillons sous les bombes. Il y a quelques jours, un obus est tombé à 200 mètres d'ici, et des éclats ont touché la devanture du restaurant et le mur", raconte l'homme âgé de 60 ans, à la barbe grise, en montrant les impacts des obus.
"Je me suis caché derrière le frigo dans le restaurant", ajoute-t-il, en faisant frire les boulettes à base de pois chiche dans l'huile bouillante.
Les bruits des bombardements sont clairement audibles dans son village de Kfar Kila, entouré d'oliviers. La plupart des rues sont désertes et des maisons ont été totalement détruites par les frappes israéliennes dans des quartiers faisant face à la Galilée toute proche.
Si une grande partie des habitants a fui, Hussein Mourtada est déterminé à garder son restaurant ouvert pour les rares voitures qui passent, dont les ambulances.
Dans son quartier, seule une épicerie reste également ouverte.
"Je sers à manger à tous ceux qui ont faim, même ceux qui n'ont pas les moyens de payer", affirme l'homme en coupant les tomates et les cornichons pour servir un client.
Depuis le début de la guerre entre Israël et le mouvement islamiste palestinien Hamas à Gaza le 7 octobre, le Hezbollah pro-iranien lance des attaques depuis le sud du Liban vers Israël pour soutenir son allié palestinien.
En réponse, l'armée israélienne mène quotidiennement des frappes sur les villages frontaliers.
Les violences, pour le moment limitées aux zones frontalières, ont fait plus de 140 morts au Liban, parmi lesquels une centaine de combattants du Hezbollah et au moins 19 civils incluant trois journalistes.
Au moins onze personnes ont été tuées côté israélien, dont sept militaires.
Elles ont en outre entraîné le déplacement forcé de plus de 72.000 personnes au Liban, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Dans un rapport publié mardi, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) a indiqué que le conflit avait entraîné "des pertes matérielles considérables" touchant notamment les habitations, les commerces, les infrastructures et les services dans les villages frontaliers.
"L'activité économique et les entreprises locales sont soit perturbées, soit ont dû fermer ou déménager", ajoute le rapport.
« Je ne bouge pas d'ici »
Les combattants du Hezbollah n'ont aucune présence visible dans les villages frontaliers.
Dans sa station-service à l'entrée du village de Taybé, Ali Mansour attend lui aussi les rares clients qui osent encore braver les bombardements quotidiens.
"Tant que les bombardements restent éloignés, on travaille pour gagner notre vie", affirme cet homme d'une cinquantaine d'années, fataliste, la tête recouverte d'une capuche noire.
Il montre la localité israélienne de Misgav Am qui fait face à son village, situé à près de deux kilomètres de la frontière et qui est constamment survolé par les drones de reconnaissance israéliens.
Le 11 décembre, le responsable local du village a été tué dans une frappe israélienne. Un obus a percuté l'homme âgé de 80 ans qui se trouvait sur son balcon.
Dans le village voisin de Adaïssé, le petit restaurant où travaillait Ahmad Tarrab, 23 ans, servait jusqu'à la semaine dernière des burgers.
"Depuis le début de la guerre, nous sommes restés ouverts. Mais l'autre jour, Hussein, l'un des employés, a ouvert le restaurant, puis nous avons entendu des bombardements", raconte le jeune homme à la barbe fournie.
"Un premier obus est tombé en face du restaurant et deux autres derrière. Hussein a été blessé à la jambe", ajoute-t-il en montrant le sol devant l'établissement jonché d'éclats d'obus et l'enseigne cassée.
Ahmad Tarrab a décidé par la suite de fuir son village, désormais quasi désert.
Abbas Ali Baalbaki, lui, est resté mais a dû fermer sa petite imprimerie. Sur la place principale de Adaïssé, face à la husseiniyé (lieu de culte chiite), il suit sur son téléphone les informations sur les villages touchés par les bombardements.
"Même si la guerre dure dix mois ou un an, je ne bouge pas d'ici", affirme-t-il, flegmatique, en tirant sur sa cigarette.