BEYROUTH: Le 21 septembre 2020, le président libanais, Michel Aoun, met en garde les Libanais. «Le Liban se dirige vers l’enfer», avertit-il, suscitant l’ire de nombre de ses compatriotes qui laissent éclater, non sans humour, leur colère sur les réseaux sociaux. Pour beaucoup d’entre eux, l’enfer, ils y sont déjà. Et l’année 2020, de bout en bout, n’a été qu’une succession d’événements désastreux.
Double crise
En janvier 2020, la nouvelle année était loin de démarrer sur les chapeaux de roue. 2019 s’était achevée sur fond de contestations populaires inédites, lancées au mois d’octobre, et qui avaient abouti à la démission du cabinet de Saad Hariri et la désignation d’un nouveau Premier ministre déjà rejeté par la rue, le Dr. Hassan Diab, qui promet pourtant un gouvernement d’experts apolitiques. Les manifestations se poursuivent devant les banques, les bureaux de change et le Parlement. Si elles s’essoufflent quelque peu, elles se tiennent chaque samedi au centre-ville de Beyrouth. Le 18 janvier, des échauffourées avec les forces de l’ordre devant le Parlement font plus de 400 blessés. Le 11 février, malgré une ambiance des plus tendues dans la rue et des centaines de manifestants dispersés à coups de bombes lacrymogènes, le Parlement accorde sa confiance au cabinet de Hassan Diab.
Le premier défi majeur du nouveau gouvernement se pose quelques jours plus tard, avec l’approche de l’échéance d’une partie de la dette sous laquelle croule le pays du Cèdre, et qui s’élève à 1,2 milliard de dollars (1 dollar = 0,82 euro) d’eurobonds (obligation libellée en euro). Alors que le sujet divise les experts économiques et les politiques, le Premier ministre, Hassan Diab, annonce le samedi 7 mars le premier défaut de paiement de l’histoire du Liban. Alors que la livre libanaise, indexée sur le dollar au taux fixe de 1 507 livres pour 1 dollar depuis 1997, frôle les 2 700 livres sur le marché parallèle, la Banque centrale émet une circulaire qui plafonne le taux dans les bureaux de change à 2 000 livres pour 1 dollar, mais en vain.
Au mois de juin, la livre libanaise franchit la barre des 8 000 livres pour un dollar, qu’elle atteindra de nouveau au mois de décembre. Une circulaire de la Banque du Liban souscrit alors un taux de conversion à 3 850 livres pour un dollar dans les banques du pays, applicable pour les retraits en livres libanaises à partir de comptes en «dollars libanais», après une première circulaire publiée le 3 avril qui fixe les retraits à 3 000 livres pour un dollar. Les déposants libanais, en 2020, disent ainsi adieu au retrait de leurs billets verts et doivent se contenter de retraits en livres libanaises.
L’économie libanaise, fortement «dollarisée» et très dépendante des importations, se voit affaiblir par l’hyperinflation et connaît une flambée des prix sans précédent dans les supermarchés, malgré des subventions qui minent les réserves en devises de la Banque centrale. En septembre, le cabinet international Alvarez & Marsal est mandaté pour mener l’audit juricomptable de la Banque du Liban, mais décide de jeter l’éponge après avoir conclu qu’il ne parviendrait pas à obtenir les documents nécessaires réclamés à la Banque centrale. Le Parlement libanais approuve alors au mois de décembre une proposition de loi pour lever le secret bancaire sur les comptes de la Banque du Liban et ceux des institutions publiques, pour faciliter l’audit requis par le Fonds monétaire international (FMI).
La crise économique libanaise inédite est amplifiée par celle du coronavirus, qui met à son tour un terme au mouvement de contestation populaire. Le 21 février, le Liban enregistre son premier cas de contamination au coronavirus: une femme venue d’Iran. Avec une centaine de cas déclarés, le gouvernement annonce une mobilisation générale et décrète un état d’urgence médicale. Des mesures strictes de confinement sont adoptées avec la fermeture des frontières, de l’aéroport, des administrations publiques et des entreprises privées. Le confinement se prolonge jusqu’au mois de juin, mais l’été 2020 témoigne d’une flambée des cas. Un nouveau confinement de deux semaines au mois de novembre ne suffit pas pour freiner la propagation du virus. L’année 2020 s’achève sur un lourd bilan de 160 000 contaminations et de plus de 1 300 morts, avec la crainte d’une saturation des unités de soins intensifs dans les hôpitaux du pays.
Une capitale meurtrie
En août 2020, ce tableau déjà noir est assombri par un événement qui marquera sans doute l’histoire du Liban à jamais. Le mardi 4 août, une gigantesque double explosion au port de Beyrouth ravage et détruit la capitale. Elle fait plus de 200 morts, plus de 6 000 blessés et laisse près de 300 000 Beyrouthins sans abri. L’explosion, causée de l'aveu des autorités par le stockage de grandes quantités de nitrate d'ammonium, déclenche une vague de soutien international. Les aides affluent de toutes parts et le 6 août, le président français, Emmanuel Macron, se déplace à Beyrouth. Au quartier dévasté de Gemmayzé, il est accueilli chaleureusement par les habitants. Il y annonce la tenue d’une conférence de soutien pour le pays du Cèdre.
Le 10 août, Hassan Diab annonce la démission de son gouvernement, à la suite de celle de quatre de ses ministres. Au dernier jour du mois sanglant d’août, Moustapha Adib est désigné pour former un nouveau cabinet. De retour à Beyrouth le 1er septembre, le président Macron exhorte alors les leaders libanais à former un gouvernement de mission en deux semaines dans le cadre d’une initiative française. Mais moins d’un mois plus tard, Moustapha Adib, incapable de former un cabinet selon ses critères, jette l’éponge.
Le jeudi 22 octobre, alors que les Libanais célèbrent l’an 1 de leur révolution, Saad Hariri est de nouveau choisi pour former un nouveau cabinet, qui ne verra pas le jour en 2020. Dans l’enquête sur l’explosion du port, le procureur libanais inculpe alors le Premier ministre en exercice, Hassan Diab, une première, et trois anciens ministres, pour «négligence et manquement qui ont conduit à la mort de centaines de personnes». Si M. Diab refuse de comparaître devant le procureur, des recours déposés par deux des ministres conduisent à une suspension momentanée de l’enquête.
L’année 2020 est par ailleurs marquée par deux événements majeurs. Il s’agit d’abord de l’annonce du verdict du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri, en 2005. Le 18 août, Salim Ayache, 57 ans, est reconnu coupable. Il est condamné plus tard à la perpétuité. Selon le TSL, il n’y a cependant pas de preuves de la responsabilité directe des dirigeants syriens et du Hezbollah dans l’assassinat de Rafic Hariri, même si l’opposition libanaise estime que le jugement de La Haye n’acquitte pas le parti chiite. Le second événement est le lancement de négociations entre le Liban et Israël à propos de la délimitation de leurs frontières maritimes, sous l'égide de Washington. Des discussions cruciales pour le Liban, lancé dans la prospection d'hydrocarbures offshore. Le premier round, tenu le 14 octobre, est suivi par d’autres rencontres, sans toutefois aboutir à des décisions concrètes.
Aux niveaux politique, économique, sanitaire et diplomatique, l’année 2020 s’achève ainsi pour le Liban sur des questions laissées sans réponses et des dossiers en suspens. Le futur est incertain pour les Libanais qui peinent à voir la lumière au bout du tunnel, après une année charnière qui aurait dû être marquée par les célébrations du Centenaire de la proclamation du Grand Liban. «La Prospérité enfin», promettait le général Gouraud sur le perron de la Résidence des Pins, le 1er septembre 1920. Cent ans plus tard, la promesse est loin d’être tenue.