TUNIS: Cheikh Saleh Abdallah Kamel et l’État tunisien ont-ils inventé ce qu’on appelle aujourd’hui le «partenariat public privé» (PPP), c’est-à-dire une association dans le domaine des affaires entre un organisme public, voire un État, et une entreprise ou groupe privé? En 1983, quand l’homme d’affaires saoudien, fondateur de Dallah Albaraka Group, décide de créer la Société de promotion du lac de Tunis (SPLT), ce concept n’existe pas encore. Les deux parties ont donc fait, en quelque sorte, comme Monsieur Jourdain avec la prose, du PPP sans le savoir.
Lorsqu’on a évoqué pour la première fois de PPP en Grande-Bretagne, en 1992, la SPLT – dont un groupe d’investisseurs saoudiens menés par le groupe Dallah Albaraka détient 50% du capital de 13 millions d’euros – était active depuis près de dix ans.
Visite touristique
Selon l’un de ses plus anciens collaborateurs, l’histoire de cheikh Saleh Kamel avec la Tunisie a commencé au début des années 1980 par une visite touristique au cours de laquelle il a fait la connaissance d’un compatriote originaire – comme lui – de La Mecque et qui habitait dans le pays: le poète et écrivain Tahar Zamakhchari.
C’est ainsi qu’il a connu celui qui était alors gouverneur de Bizerte (à 70 km au nord de Tunis), Tahar ben Rejeb. Ce dernier lui a soumis un projet qui n’a jamais vu le jour, malgré un investissement de 3 millions de dollars (1 dollar = 0,92 euro) dans une étude de faisabilité, et il l’a introduit auprès du Premier ministre tunisien de l’époque, Mohamed Mzali, qui l’a présenté au président Habib Bourguiba.
Cheikh Salah Kamel est fasciné par le premier président de la Tunisie, en devient l’ami et ne rate jamais la célébration de son anniversaire, le 3 août.
Le premier projet soumis à l’homme d’affaires saoudien n’est pas celui du Lac Nord de Tunis, mais celui de la foire de Tunis, que les responsables tunisiens voulaient développer en la déplaçant de la capitale, où elle se trouvait, vers le site de l’actuelle Cité de la culture, sur l’avenue Mohammed-V.
La société a été rebaptisée «Albuhaira Invest» le 25 juin 2020. Ses actionnaires avaient décidé au départ qu’elle ne distribuerait pas de dividendes avant vingt-trois ans, mais elle le fait tous les ans depuis 2006.
Moncef Mahroug
En visitant le nouveau site proposé, dans la proche banlieue de Tunis, cheikh Salah Kamel est choqué par l’odeur qui se dégage du lac. Ainsi naît l’idée de l’assainissement et, dans la foulée, celle d’aménager les terres des alentours et de les commercialiser via la SPLT, dont l’assemblée constitutive se tient le 31 décembre 1983.
Quarante ans après, ce projet est une véritable success-story. La société a été rebaptisée «Albuhaira Invest» le 25 juin 2020. Ses actionnaires avaient décidé au départ qu’elle ne distribuerait pas de dividendes avant vingt-trois ans, mais elle le fait tous les ans depuis 2006, et ils s’élèvent aujourd’hui à près de 25 millions d’euros par an. Toutefois, l’histoire de la SPLT n’a pas été un long fleuve tranquille.
Pressions
Avant 2011, la société se trouve confrontée aux pressions exercées par des membres des familles de l’ancien président Ben Ali et de son épouse, Leïla, à qui elle est obligée de vendre des dizaines d’hectares de terrains à des prix inférieurs à ceux qu’elle pratique normalement. Mécontents, les actionnaires saoudiens décident de geler l’activité de la SPLT. Cette dernière redémarre en 2017 après le règlement des litiges devant les tribunaux.
Rassurés, les actionnaires voient aujourd’hui plus grand. En 2019, ils chargent PricewaterhouseCoopers, l’un des Big Four de l’audit et du conseil, de l’élaboration d’une stratégie de développement sur dix ans. En plus de diversifier l’activité de la société, l’objectif est de lui ouvrir de nouveaux horizons en valorisant le savoir-faire accumulé en quarante ans dans les domaines de l’assainissement, de l’aménagement et de la commercialisation de terrains dans d’autres régions du pays ainsi qu’en Afrique subsaharienne.