PARIS: Quatre ans après "Les Misérables", film choc multi-primé, le réalisateur Ladj Ly change de ton mais pas de décor: dans "Bâtiment 5", il évoque les difficultés de la rénovation urbaine et les méandres de la politique locale en banlieue.
D'apparence plus classique, moins porté par l'urgence que "Les Misérables", "Bâtiment 5", en salles mercredi, s'intéresse au fléau des copropriétés dégradées, ces logements des quartiers populaires dans lesquelles des familles modestes se sont retrouvées coincées, prises dans un cercle vicieux entre explosion des charges et dégradation du bâti.
Jusqu'à se voir proposer, des décennies après leur achat, une expropriation par l'Etat et un relogement en HLM.
"Une belle arnaque organisée" dénonce Ladj Ly, qui connaît la problématique pour avoir grandi à Clichy/Montfermeil (Seine-Saint-Denis) qui a compté parmi les plus grands de ces bidonvilles verticaux.
"Nos parents ont tous acheté, on était tous propriétaires ! On nous a dit: pour s'intégrer, il faut être propriétaire. Ils ont fini de payer leur crédit à 15% de taux d'intérêt, on leur a faire payer trois fois leur appartement qui était une arnaque finie; pour 20 ans après être exproprié et finir locataire", témoigne-t-il.
Le film joue de l'affrontement entre deux nouveaux venus dans la politique locale, un pédiatre qui accepte de devenir maire après le décès de l'édile en place et va sombrer dans l'autoritarisme, et une jeune femme, Haby (Anta Diaw), révoltée par l'injustice faite aux familles expropriées et qui va se lancer en campagne.
Après avoir collaboré au scénario de deux films de ses proches, ("Athena" de Romain Gavras pour Netflix et "Le jeune imam" de Kim Chapiron), Ladj Ly a retrouvé une bonne partie de son équipe des "Misérables" et des moyens bien plus importants, succès oblige.
"On a retrouvé une famille avec laquelle on a vécu nos meilleurs moments", témoigne l'acteur Alexis Manenti. "On arrive après Les Misérables, on sait qu'on est attendu".
Comme les "Misérables", qui avait séduit 2,1 millions de spectateurs et récolté 4 César dont celui du meilleur film, le film a une valeur quasi-documentaire, Ladj Ly connaissant ces lieux de Seine-Saint-Denis comme peu de cinéastes et continuant de travailler avec les gens du quartier où il a grandi.
Scène prémonitoire
"Dans le film, on parle une dizaine de langues, bambara, peul, soninké, syrien, anglais, français ! L'idée, c'est cette richesse. La France d'aujourd'hui c'est ça, un mélange de traditions, il faut rendre hommage à ces cultures" sans tomber dans les clichés, souligne le réalisateur de 45 ans, au centre du collectif Kourtrajmé, qui aide depuis des années à former des professionnels du cinéma en banlieue parisienne et dont sont proches Vincent Cassel ou Mathieu Kassovitz.
Après les émeutes qui ont secoué la France suite à la mort du jour Nahel, tué par un policier en juin, le film est très attendu. Il porte un message sur l'engagement en politique des jeunes des quartiers.
Et frappe par une scène qui semble prémonitoire, où la résidence bourgeoise du maire est prise d'assaut par un habitant désespéré.
"C'est la seule scène qui est fictionnée dans le film", et elle a été tournée avant l'attaque du domicile de Vincent Jeanbrun, le maire de L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), précise Ladj Ly.
"Les gens sont surpris, mais tu sens quand ça va dégénérer. Quand les choses s'aggravent, à un moment, la colère prend le dessus", constate-t-il.
L'élu LR avait vu son domicile attaqué à la voiture-bélier début juillet, au cœur des émeutes causées par la mort de Nahel.