VIENNE: Bientôt le glas pour l'OSCE? Ce forum de dialogue entre Est et Ouest, dont les ministres se réunissent à partir de jeudi à Skopje, traverse la plus grave crise existentielle depuis sa création en 1975, paralysé par l'invasion russe de l'Ukraine.
Signe des tensions, Varsovie, Kiev et les pays baltes ont décidé de boycotter la conférence en raison de la présence du chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov.
D'un côté, des Occidentaux qui soupçonnent --avant même la guerre-- Moscou de vouloir tuer à petit feu en bloquant toutes les décisions de cet organisme promoteur de la démocratie.
De l'autre, une Russie qui accuse l'Otan de "s'accaparer" cet outil unique afin d'avancer ses pions.
Résultat: l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) basée à Vienne n'a ni secrétariat général, ni budget pour l'année prochaine.
«Mort lente»
Pour sauver les meubles, Malte a accepté lundi de remplacer au pied levé l'Estonie à la présidence tournante en 2024, Moscou ne voulant pas entendre parler d'un membre de l'Otan à ce poste stratégique.
La décision devrait être entérinée lors du 30e Conseil ministériel de l'organisation internationale qui se déroule jeudi et vendredi en Macédoine du Nord.
L'heure était grave, car sans présidence, 2024 aurait été l'année d'un "effondrement de l'OSCE", avait prévenu le ministre finnois des Affaires étrangères Pekka Haavisto, interrogé par la télévision de son pays.
Ce choix offre un sursis, mais il ne règle en rien les problèmes de fond.
Kiev réclame en vain l'exclusion de la Russie, comme cela a été fait au Conseil de l'Europe: sa présence menace l'OSCE de "mort lente", selon son chef de la diplomatie Dmytro Kouleba qui ne viendra donc pas à Skopje.
L'Autriche, pays hôte du siège de l'organisation, se montre très inquiète. "Maintenir" l'OSCE "d'une manière ou d'une autre" serait "la plus grande difficulté" du moment, selon le président Alexander Van der Bellen qui s'exprimait début novembre devant la presse étrangère à Vienne.
Les droits humains sont de moins en moins à l'agenda, la mission d'observation en Ukraine a plié bagages en catastrophe dans les jours qui ont suivi le début de l'offensive en 2022. Et la Turquie a remplacé l'organisation dans sa position de médiatrice.
Le groupe de Minsk placé sous l'égide de l'OSCE, qui avait contribué à la signature d'accords de paix dans l'Est de l'Ukraine en 2015, est désormais complètement absent.
«Succursale de l'Otan»
Pourtant, l'ambassadeur américain Michael Carpenter défend ce forum installé dans le palais impérial des Habsbourg, qui permet de confronter la Russie à son "isolement diplomatique complet". Pour lui, "c'est précisément la raison pour laquelle elle tente de miner son efficacité".
"Nous ne lui permettrons pas de le tuer", martèle-t-il devant les journalistes.
Washington met en avant les rapports de l'OSCE sur les crimes de guerre et contre l'humanité dont sont accusées les forces armées russes en Ukraine. Douze missions sont opérationnelles en Asie centrale, dans les Balkans et en Moldavie. Et ses observateurs se déploient toujours lors des élections.
En attendant, les Occidentaux contournent l'obstruction russe par des projets extra-budgétaires qu'ils financent seuls, ce que dénonce Moscou pour qui l'esprit de l'Organisation, basé sur le consensus entre 57 Etats membres placés sur un pied d'égalité, n'est plus respecté.
Créée pour améliorer le dialogue entre les Occidentaux et l'URSS, l'OSCE couvre tant bien que mal l'Europe, la Turquie, les anciennes républiques de l'espace soviétique, la Mongolie, les Etats-Unis et le Canada.
"On présente la Russie comme un fossoyeur", s'indigne son représentant Alexander Loukachevitch dans un discours publié sur internet, mais "l'OSCE ne peut pas être une succursale" pro-ukrainienne "de l'Otan et de l'UE".
Même si elle traverse "la menace existentielle la plus sérieuse depuis sa création", elle reste selon lui "l'un des éléments centraux de la prévention" d'une "escalade militaire à grande échelle en Europe".
Au sein de l'OSCE, on reste d'ordinaire discret pour ne pas être accusé de parti pris en ces temps difficiles. Mais un porte-parole tient à rappeler à l'AFP qu'au-delà des querelles diplomatiques, le "travail se poursuit" sur le terrain.
"Notre rôle reste inestimable" dans l'assistance des Etats membres, qu'il s'agisse par exemple "de la lutte contre la traite des êtres humains ou contre les dangers du changement climatique", dit-il.