Frankly Speaking: L’abandon par l’ONU de la cause palestinienne, «racine» de la crise au Proche-Orient

Munir Akram, représentant permanent du Pakistan auprès des Nations unies, lors de l'émission Frankly Speaking (Photo, AN).
Munir Akram, représentant permanent du Pakistan auprès des Nations unies, lors de l'émission Frankly Speaking (Photo, AN).
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Publié le Lundi 06 novembre 2023

Frankly Speaking: L’abandon par l’ONU de la cause palestinienne, «racine» de la crise au Proche-Orient

  • Le représentant du Pakistan auprès de l’ONU dénonce la politique de «deux poids, deux mesures» concernant la condamnation des pertes de vies civiles israéliennes et palestiniennes
  • Munir Akram qualifie le rejet par Israël des appels au cessez-le-feu de «violation du droit international de la manière la plus violente»

DUBAÏ: Le représentant permanent du Pakistan auprès des Nations unies a déclaré qu'Israël s'était enhardi du fait de l’indignation à géométrie variable de la communauté internationale, qu'il considère comme la «racine» de la crise qui se déroule au Moyen-Orient.

Réitérant son appel à un cessez-le-feu à Gaza, Munir Akram a exhorté la communauté internationale à rectifier le déséquilibre au sein des Nations unies et dans l'application du droit international.

«C'est la nature de l'ordre mondial dans lequel nous vivons», a-t-il déclaré lors de l'émission d'actualité d'Arab News Frankly Speaking, ajoutant: «Il y a un double et triple standard, il y a de la discrimination en faveur et contre certains. C'est la racine de nos problèmes dans ce monde, ces deux poids, deux mesures.»

M. Akram continue de croire au potentiel du système mondial de règles, notant que le problème n'est pas tant l'absence de principes ou de droit – à la fois le droit international et le droit international humanitaire, qui régissent les actes des belligérants – mais plutôt leur non-application «uniforme».

«Ces règles devraient être applicables uniformément et universellement à tous», a-t-il déclaré à Katie Jensen, présentatrice de l'émission Frankly Speaking. «Mais ce n'est pas le cas. Les Israéliens ont malheureusement ce sentiment d'impunité. Ils peuvent assassiner des gens et s'en tirer à bon compte, tout en prétendant que lorsque d'autres le font, lorsqu'ils font quelque chose comme ce qu'a fait le Hamas, ce sont des terroristes.»

«Ce double standard est à l'origine de la faiblesse de l'ordre international que nous connaissons aujourd'hui. Il faut y remédier. Les personnes ont besoin de justice. Elles doivent être traitées de la même manière, sur la base des mêmes lois et des mêmes principes que nous défendons tous.»

Munir Akram, représentant permanent du Pakistan auprès des Nations unies, interrogé par Katie Jensen, présentatrice de l'émission Frankly Speaking (Photo, AN).

Les commentaires de M. Akram sont intervenus alors que le bilan des bombardements israéliens sur Gaza s'est alourdi à plus de 8 500 morts, dont au moins 3 500 enfants. Selon certains responsables, un enfant est tué toutes les dix secondes.

Le diplomate pakistanais a appelé à plusieurs reprises à un cessez-le-feu, affirmant à Arab News et au Conseil de sécurité des Nations unies l’importance de non seulement cesser immédiatement les hostilités, mais aussi de mettre en place un couloir humanitaire et assurer l'accès à Gaza, et éviter le déplacement des Palestiniens, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du territoire assiégé.

«Il est évident que ce qui doit se produire, c'est un cessez-le-feu. Nous devons arrêter les hostilités, les bombardements aériens, l'invasion de Gaza, les tueries qui ont lieu», a-t-il déclaré.

«Nous l'avons vu avec l'attaque du camp de réfugiés de Jabaliya. Il s'agit d'un massacre inutile de civils, quels que soient les objectifs militaires poursuivis.»

Une photo prise le 2 novembre 2023 du côté israélien de la frontière avec la bande de Gaza, montre des volutes de fumée produites par des bombardements israéliens à Gaza (Photo, AFP).

Selon M. Akram, bien que le droit humanitaire international interdise de viser et de tuer des civils, «cela se produit aujourd'hui en toute impunité, et certaines puissances sont incapables de convenir d’un cessez-le-feu. C'est ahurissant. Il s'agit d'une violation du droit international de la manière la plus visible et la plus violente qui soit. Et je pense que la communauté internationale doit défendre les principes auxquels nous adhérons tous ici aux Nations unies.»

Il a également appuyé le point de vue de Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies pour la Palestine, qui, interrogée dans l'émission Frankly Speaking la semaine dernière, a déclaré que le droit de se défendre ne s'appliquait pas à un pays qui est en même temps une puissance occupante.

«Absolument. C'est exactement ce que nous avons dit au Conseil de sécurité. La première déclaration faite par le Pakistan à ce sujet, lorsque le conflit a éclaté, indiquait clairement qu'une puissance qui occupe un autre peuple ne peut pas revendiquer le droit à l'autodéfense contre ce peuple qu'elle occupe», a indiqué M. Akram.

«Je pense que le droit en la matière est absolument clair. La demande et l'affirmation d'Israël et de ses alliés selon lesquelles ils ont le droit de se défendre ne s'appliquent pas, ne sont pas juridiquement défendables dans cette situation.»

M. Akram n'a pas mâché ses mots lorsqu'il a affirmé que le «péché originel» dans le conflit de Gaza n'était pas les attaques du Hamas du 7 octobre, mais plutôt l'occupation israélienne permanente des terres palestiniennes, une position qu'il a défendue lors d'un discours à l'Assemblée générale des Nations unies et qui a depuis suscité des réactions négatives de la part des groupes pro-israéliens.

Des Palestiniens cherchent des survivants dans les décombres d'un bâtiment du camp de réfugiés de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, le 31 octobre 2023 (Photo, AFP).

Interrogé sur un éventuel maintien ou une rétractation de cette position, il s'est montré imperturbable : «Je ne retire rien à la vérité. Je pense qu'il est tout à fait évident, pour quiconque a le moindre sens de la justice, que le problème est né des cinquante années d'occupation de la Palestine par Israël, du meurtre et de l'assassinat de Palestiniens en toute impunité au cours de ces décennies et, en particulier ces dernières années, de la manière dont les Palestiniens ont été traités», a-t-il ajouté.

«En ce qui concerne l'occupation israélienne, je suis absolument convaincu que lorsque vous poussez un peuple dans ses retranchements, que vous le réprimez et que vous tuez ses enfants, il réagit. Et c'est ce qui s'est passé.»

Les craintes d'escalade continuent de planer sur le conflit, notamment en raison de l'influence de l'Iran par l'intermédiaire de ses armées mandataires, mais aussi du positionnement de plusieurs porte-avions américains dans la région.

«Nous sommes confrontés au danger d'une crise internationale. Outre les raisons humanitaires liées au meurtre d'enfants et de femmes palestiniens, il y a aussi une raison stratégique, et c'est le danger que ce conflit s'étende», a déclaré M. Akram.

«Cela pourrait avoir des implications dangereuses non seulement pour la région, mais aussi pour le monde entier car de grandes puissances sont impliquées dans un conflit. Et le danger est palpable.»

À cela s'ajoutent les efforts concurrents de la Chine, de la Russie et des États-Unis au sein du Conseil de sécurité des Nations unies pour proposer des résolutions alternatives. L'exemple le plus récent est le rejet par la Chine et la Russie d'un projet de résolution soutenu par les États-Unis et appelant à une pause dans les combats pour permettre l'accès humanitaire, la protection des civils et la prévention des flux d'armes vers le Hamas et d'autres groupes militants dans la bande de Gaza.

Il s'en est suivi un projet russe appelant à un «cessez-le-feu» humanitaire et au retrait de l'ordre donné par Israël aux Palestiniens de Gaza de se déplacer vers le sud du territoire en prévision d'une invasion terrestre.

Des véhicules militaires israéliens se déplacent près de la frontière israélienne avec la bande de Gaza, le 1er novembre 2023, dans le sud d'Israël (Photo, AFP).

Interrogé sur la volonté du Pakistan de s'impliquer militairement, par exemple en envoyant des troupes de maintien de la paix à Gaza, M. Akram – qui a entamé son deuxième mandat à la tête de la mission diplomatique pakistanaise auprès de l'ONU en 2019 – a indiqué espérer ne pas voir se produire une telle situation.

«Nous ne voudrions pas nous impliquer militairement dans ce conflit, et nous pensons que le fait même d'en parler est dangereux. Nous souhaitons une solution pacifique. C'est ce à quoi nous travaillons», a-t-il déclaré, précisant que sa réponse était «non».

M. Akram a évoqué la perspective d'un cessez-le-feu, qu'il juge essentiel, car sans lui, «le risque de voir le conflit s'étendre ne fait que s'aggraver». Il reste néanmoins optimiste quant à la possibilité de parvenir à une résolution pacifique avant que le conflit ne s'étende davantage.

Tout en reconnaissant que les efforts internationaux visant à mettre fin au conflit par des moyens pacifiques ont jusqu'à présent échoué, il estime que ces efforts ne devraient pas être interrompus, expliquant qu'en plus des mesures morales et juridiques qui pourraient être prises, il existe des leviers économiques et politiques potentiels qui pourraient être actionnés.

En défendant cette position, M. Akram a déclaré que c'est Israël et ses partisans qu'il faut «convaincre» d'arrêter la guerre, soulignant que «nous devons avant tout essayer de trouver des moyens pacifiques de mettre fin à ce conflit».

Katie Jensen, présentatrice de l'émission Frankly Speaking (Photo, AN).

«Je pense que l'énormité des crimes commis à Gaza devrait émouvoir la conscience internationale. Et j'espère que s'il y a une vague de soutien suffisante dans le monde entier, y compris dans le monde occidental où Israël est soutenu, si une conscience internationale est mobilisée, nous pourrions voir un changement dans les positions de ceux qui sont complices du refus d'arrêter cette guerre.»

En cas d'échec, M. Akram a affirmé sans détour que les pays arabes et les États membres de l'Organisation de la coopération islamique «devraient trouver des moyens de réagir si Israël ne met pas fin à la guerre».

Tout en reconnaissant qu'il existe plusieurs moyens «évidents» d'y parvenir, il a insisté sur le fait qu'ils «feraient tout ce qui est en leur pouvoir, en dehors d'un conflit, pour tenter de mettre un terme à cette situation, et d'y mettre un terme juste».

Interrogé sur la manière dont il envisageait la fin de la crise à Gaza, M. Akram estime que la guerre doit cesser. «Les deux parties doivent recommencer à parler de la création de deux États, car je pense qu'il y a un consensus général sur le fait que c'est la seule solution durable», a-t-il ajouté.

«Seuls les extrémistes qui dirigent Israël aujourd'hui le nient. Le monde entier pense qu'une solution à deux États est la voie à suivre, et nous devons nous y engager dès que possible.»

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Le Parlement libanais approuve un projet de loi sur le secret bancaire

Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri. (AFP)
Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri. (AFP)
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  • La communauté internationale exige depuis longtemps d'importantes réformes pour débloquer des milliards de dollars afin d'aider à la relance de l'économie libanaise, plongée depuis 2019 dans une profonde crise
  • Selon le groupe de défense des droits libanais Legal Agenda, les amendements autorisent "les organes de contrôle et de régulation bancaire (...) à demander l'accès à toutes les informations" sans fournir de raison particulière

BEYROUTH: Le Parlement libanais a approuvé jeudi un projet de loi sur la levée du secret bancaire, une réforme clé réclamée par le Fonds monétaire international (FMI), au moment où des responsables libanais rencontrent à Washington des représentants des institutions financières mondiales.

Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri.

La communauté internationale exige depuis longtemps d'importantes réformes pour débloquer des milliards de dollars afin d'aider à la relance de l'économie libanaise, plongée depuis 2019 dans une profonde crise imputée à la mauvaise gestion et à la corruption.

La récente guerre entre Israël et le Hezbollah a aggravé la situation et le pays, à court d'argent, a désormais besoin de fonds pour la reconstruction.

Selon le groupe de défense des droits libanais Legal Agenda, les amendements autorisent "les organes de contrôle et de régulation bancaire (...) à demander l'accès à toutes les informations" sans fournir de raison particulière.

Ces organismes pourront avoir accès à des informations telles que les noms des clients et les détails de leurs dépôts, et enquêter sur d'éventuelles activités suspectes, selon Legal Agenda.

Le Liban applique depuis longtemps des règles strictes en matière de confidentialité des comptes bancaires, ce qui, selon les critiques, rend le pays vulnérable au blanchiment d'argent.

En adoptant ce texte, le gouvernement avait précisé qu'il s'appliquerait de manière rétroactive pendant 10 ans. Il couvrira donc le début de la crise économique, lorsque les banquiers ont été accusés d'aider certaines personnalités à transférer d'importantes sommes à l'étranger.

Le feu vert du Parlement coïncide avec une visite à Washington des ministres des Finances, Yassine Jaber, et de l'Economie, Amer Bisat, ainsi que du nouveau gouverneur de la Banque centrale, Karim Souaid, pour des réunions avec la Banque mondiale et le FMI.

M. Jaber a estimé cette semaine que l'adoption des amendements donnerait un "coup de pouce" à la délégation libanaise.

En avril 2022, le Liban et le FMI ont conclu un accord sous conditions pour un programme de prêt sur 46 mois de trois milliards de dollars, mais les réformes alors exigées n'ont pour la plupart pas été entreprises.

En février, le FMI s'est dit ouvert à un nouvel accord avec Beyrouth après des discussions avec M. Jaber. Le nouveau gouvernement libanais s'est engagé à mettre en oeuvre d'autres réformes et a également approuvé le 12 avril un projet de loi pour restructurer le secteur bancaire.


Syrie: Londres lève ses sanctions contre les ministères de la Défense et de l'Intérieur

Abdallah Al Dardari, chef régional pour les Etats arabes au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), lors d'une interview avec l'AFP à Damas le 19 avril 2025. (AFP)
Abdallah Al Dardari, chef régional pour les Etats arabes au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), lors d'une interview avec l'AFP à Damas le 19 avril 2025. (AFP)
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  • "Les entités suivantes ont été retirées de la liste et ne sont plus soumises à un gel des avoirs: ministère de l'Intérieur, ministère de la Défense", indique notamment le communiqué du département du Trésor
  • Des agences de renseignement sont également retirées de la liste. La totalité d'entre elles ont été dissoutes par les nouvelles autorités en janvier

LONDRES: Le Royaume-Uni a annoncé jeudi avoir levé ses sanctions contre les ministères syriens de l'Intérieur et de la Défense ainsi que contre des agences de renseignement, qui avaient été imposées sous le régime de Bachar al-Assad.

"Les entités suivantes ont été retirées de la liste et ne sont plus soumises à un gel des avoirs: ministère de l'Intérieur, ministère de la Défense", indique notamment le communiqué du département du Trésor.

Des agences de renseignement sont également retirées de la liste. La totalité d'entre elles ont été dissoutes par les nouvelles autorités en janvier.

Ces autorités, issues de groupes rebelles islamistes, ont pris le pouvoir le 8 décembre.

Le Royaume-Uni avait début mars déjà levé des sanctions à l'égard de 24 entités syriennes ou liées à la Syrie, dont la Banque centrale.

Plus de trois cents individus restent toutefois soumis à des gels d'avoirs dans ce cadre, ainsi qu'une quarantaine d'entités, selon le communiqué du Trésor.

Les nouvelles autorités syriennes appellent depuis la chute d'Assad en décembre dernier à une levée totale des sanctions pour relancer l'économie et reconstruire le pays, ravagé après 14 années de guerre civile.


1983 – L'attaque contre les Marines américains à Beyrouth

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  • Les dégâts sont énormes au quartier général des Marines
  • Quatre couches de ciment s'étaient effondrées pour former des tas de décombres, des incendies brûlaient et l'on entendait beaucoup de cris au milieu du sang

BEYROUTH: Le 23 octobre 1983, aux alentours de 6h25, une violente déflagration secoue Beyrouth et sa banlieue, jusque dans les hauteurs montagneuses. Le souffle, sourd et diffus, fait d’abord penser à un tremblement de terre.

Mais sept minutes plus tard, une seconde explosion, bien plus puissante, déchire la ville et ses environs, dissipant toute confusion: Beyrouth venait de vivre l’un des attentats les plus meurtriers de son histoire.

Je travaillais alors pour le journal libanais As-Safir en tant que correspondant de guerre. Beyrouth était assiégée, dans sa banlieue sud, dans les montagnes et dans la région du Kharoub, par des affrontements entre le Parti socialiste progressiste et ses alliés d'une part, et les Forces libanaises d'autre part, dans ce que l'on appelait la «guerre des montagnes».

Le sud du pays a également été le théâtre de la résistance armée des combattants libanais contre l'occupation israélienne. Ces combattants étaient liés à des partis de gauche et, auparavant, à des factions palestiniennes.

Des forces multinationales, notamment américaines, françaises et italiennes, avaient été stationnées à Beyrouth après le retrait des dirigeants et des forces de l'Organisation de libération de la Palestine, à la suite de l'agression israélienne contre le Liban et de l'occupation de Beyrouth en 1982.

Quelques minutes après les explosions, la réalité s’impose avec brutalité: le quartier général des Marines américains, situé sur la route de l’aéroport de Beyrouth, ainsi que la base du contingent français dans le quartier de Jnah, ont été ciblés par deux attaques-suicides coordonnées.

Les assaillants, non identifiés, ont lancé des camions piégés – chargés de plusieurs tonnes d’explosifs – contre les deux sites pourtant fortement sécurisés, provoquant un carnage sans précédent.

Comment nous l'avons écrit

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Au lendemain des attentats, Arab News faisait état de 120 morts parmi les Marines et de 20 morts parmi les Français, un chiffre nettement inférieur au décompte final.

L'attaque de la base américaine a tué 241 militaires américains – 220 Marines, 18 marins et trois soldats – et en a blessé des dizaines. Le bombardement du site militaire français a tué 58 parachutistes français et plus de 25 Libanais.

Ces attentats étaient les deuxièmes du genre à Beyrouth; un kamikaze avait pris pour cible l'ambassade des États-Unis à Aïn el-Mreisseh six mois plus tôt, le 18 avril, tuant 63 personnes, dont 17 Américains et 35 Libanais.

Les dégâts sont énormes au quartier général des Marines. Quatre couches de ciment s'étaient effondrées pour former des tas de décombres, des incendies brûlaient et l'on entendait beaucoup de cris au milieu du sang, des morceaux de corps et de la confusion. Voici ce que nous, journalistes, avons pu voir au milieu du chaos qui régnait immédiatement après la catastrophe, et ce qui reste gravé dans ma mémoire plus de 40 ans plus tard.

La nuit précédente, un samedi, les Marines avaient fait la fête, divertis par un groupe de musique qui avait fait le voyage depuis les États-Unis pour se produire devant eux. La plupart dormaient encore lorsque la bombe a explosé.

Aucun groupe n'a revendiqué les attentats ce jour-là, mais quelques jours plus tard, As-Safir a publié une déclaration qu'il avait reçue et dans laquelle le «Mouvement de la révolution islamique» déclare en être responsable.

Environ 48 heures après l’attentat, les autorités américaines pointent du doigt le mouvement Amal, ainsi qu’une faction dissidente dirigée par Hussein al-Moussawi, connue sous le nom d’Amal islamique, comme étant à l’origine de l’attaque.

Selon la presse locale de l’époque, la planification de l’attentat aurait eu lieu à Baalbeck, dans la région de la Békaa, tandis que le camion utilisé aurait été aperçu garé devant l’un des bureaux du mouvement Amal.

Le vice-président américain, George H.W. Bush, s'est rendu au Liban le lendemain de l'attentat et a déclaré: «Nous ne permettrons pas au terrorisme de dicter ou de modifier notre politique étrangère.»

La Syrie, l'Iran et le mouvement Amal ont nié toute implication dans les deux attentats.

En riposte à l’attaque visant leurs soldats, les autorités françaises ont lancé une opération militaire d’envergure: huit avions de chasse ont bombardé la caserne Cheikh Abdallah à Baalbeck, que Paris considérait comme un bastion de présences iraniennes.

À l’époque, les autorités françaises ont affirmé que les frappes avaient fait environ 200 morts.

Un responsable de l'Amal islamique a nié que l'Iran disposait d'un complexe dans la région de Baalbeck. Toutefois, il a reconnu le lien idéologique fort unissant son groupe à Téhéran, déclarant: «L’association de notre mouvement avec la révolution islamique en Iran est celle d’un peuple avec son guide. Et nous nous défendons.»

Le 23 novembre, le cabinet libanais a décidé de rompre les relations avec l'Iran et la Libye. Le ministre libanais des Affaires étrangères, Elie Salem, a déclaré que la décision «a été prise après que l'Iran et la Libye ont admis qu'ils avaient des forces dans la Békaa».

Un rapport d'As-Safir cite une source diplomatique: «Les relations avec l'Iran se sont détériorées en raison des interventions, pratiques et activités illégales qu'il a menées sur la scène libanaise, malgré de nombreux avertissements.»

Les attentats du 23 octobre étaient jusqu'alors le signe le plus évident de l'évolution de l'équilibre des forces régionales et internationales au Liban et de l'émergence d'un rôle iranien de plus en plus important dans la guerre civile.

Le chercheur Walid Noueihed m'a expliqué qu'avant 1982, Beyrouth avait accueilli toutes les formes d'opposition, y compris l'élite éduquée, appelée «opposition de velours», et l'opposition armée, dont les membres étaient formés dans des camps ou des centres d'entraînement palestiniens dans la vallée de la Békaa et au Liban-Sud.

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Vue aérienne de l'ambassade américaine à Beyrouth après l'explosion qui a fait 63 morts, dont 46 Libanais et 17 Américains. (AFP)

Il a indiqué que l'opposition iranienne au chah était présente parmi ces groupes et a décrit Beyrouth comme une oasis pour les mouvements d'opposition jusqu'en 1982. Toutefois, cette dynamique a changé lorsqu'Israël a envahi le Liban et assiégé Beyrouth, ce qui a entraîné le départ de l'OLP en vertu d'un accord international qui exigeait en échange qu'Israël s'abstienne de pénétrer dans Beyrouth.

Si les factions palestiniennes ont quitté le Liban, ce n'est pas le cas des combattants libanais associés à l'OLP, pour la plupart des chiites qui constituaient la base des partis de gauche libanais.

Les attaques contre les bases militaires américaines et françaises ont entraîné le retrait des forces internationales du Liban, explique M. Noueihed, laissant une fois de plus Beyrouth sans protection. Les opérations de résistance se sont multipliées, influencées par des idéologies distinctes de celles de la gauche traditionnelle, des groupes comme l'Amal islamique affichant ouvertement des slogans prônant la confrontation avec Israël.

En 1985, le Hezbollah est officiellement créé en tant qu'«organisation djihadiste menant une révolution pour une république islamique». Il s'est attiré le soutien des partis de gauche libanais et palestiniens, en particulier après l'effondrement de l'Union soviétique.

Selon M. Noueihed, l'émergence du Hezbollah a coïncidé avec le déclin des symboles existants de la résistance nationale, ce qui semble indiquer une intention d'exclure toutes les autres forces du pays du mouvement de résistance, laissant le Hezbollah comme parti dominant.

L'influence iranienne au Liban est devenue évidente lors des violents affrontements entre le Hezbollah et Amal, qui ont fait des dizaines de victimes et se sont terminés par la consolidation du contrôle du Hezbollah au milieu de la présence des forces militaires syriennes.

Beyrouth se vide peu à peu de son élite intellectuelle, a souligné M. Noueihed. Des centaines d’écrivains, d’intellectuels, de chercheurs et de professionnels des médias ont fui vers l’Europe, redoutant pour leur sécurité, laissant derrière eux une ville désertée par ceux qui faisaient autrefois vibrer sa vie culturelle et académique.

Najia Houssari est rédactrice pour Arab News, basée à Beyrouth. Elle était correspondante de guerre pour le journal libanais As-Safir au moment du bombardement de la caserne des Marines américains.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com