L’une des omissions les plus flagrantes du débat politique et médiatique occidental sur la guerre israélienne contre Gaza est l’absence de tout commentaire, et encore moins de critiques, sur les déclarations effrayantes faites par le président, le Premier ministre, le ministre de la Défense et d’autres personnalités israéliennes. Celles-ci n’auraient jamais dû être ignorées.
Elles expriment l’intention officielle d’Israël de commettre délibérément des crimes de guerre. Nombre de ces déclarations résultent d’un désir de vengeance, mais certaines relèvent davantage d’ambitions ultranationalistes à long terme.
Ce qui suit n'est qu'un aperçu du maelström des discours quasi génocidaires émanant d’Israël. Il existe plusieurs tendances. La première est que les 2,3 millions de Palestiniens de Gaza sont tous coupables. Cette vision a des antécédents. En 2018, Avigdor Lieberman, alors ministre israélien de la Défense, déclare: «Il n’y a pas d’innocents dans la bande de Gaza.» Le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, a écrit ce mois-ci qu’«il s’agit d’une lutte entre les enfants de la lumière et les enfants des ténèbres».
Même le président israélien, Isaac Herzog – prétendument centriste – soutient: «C’est toute une nation qui est responsable. Cette rhétorique, selon laquelle les civils n’étaient pas au courant et ne sont pas impliqués, est absolument fausse. Ils auraient pu se soulever, ils auraient pu lutter contre ce régime maléfique.» L’idée selon laquelle les civils palestiniens de Gaza auraient pu évincer un groupe militant brutal comme le Hamas est risible. La conviction qu’aucun Palestinien à Gaza n’est innocent est un message dangereux à envoyer aux 300 000 réservistes israéliens appelés au combat.
«De nombreuses déclarations résultent d’un désir de vengeance, mais certaines relèvent davantage d’ambitions ultranationalistes à long terme.»
Chris Doyle
La deuxième tendance consiste à se vanter du caractère dévastateur des bombardements israéliens sur Gaza – une menace qui ne s'est que trop clairement concrétisée. «Nous allons tout anéantir, ils regretteront leurs actes», déclare le ministre de la Défense, Yoav Gallant, l’homme qui commande toutes les forces militaires responsables des bombardements. Les frappes aériennes ne seraient pas non plus précises ou ciblées, comme l’exige le droit international. Par ailleurs, un porte-parole de l’armée israélienne déclare que «notre objectif est de causer des dégâts et non d’être précis». Moshe Feiglin, ancien membre éminent du parti Likoud à la Knesset, ajoute: «Il n’existe qu’une seule solution, qui consiste à détruire complètement Gaza avant de l’envahir. Je veux dire une destruction comme celle qui s’est produite à Dresde et à Hiroshima, mais sans armes nucléaires.»
La troisième tendance consiste à dépeindre les Palestiniens comme des animaux, un processus brutal de déshumanisation qui est nécessaire si l’on veut s’impliquer dans le nettoyage ethnique et les crimes de guerre. Cela aussi a une longue Histoire en Israël. En 1983, le chef d’état-major des Forces de défense israéliennes, Rafael Eitan, comparait les Palestiniens à des «cafards drogués dans une bouteille». Désormais, M. Gallant décrit les Palestiniens comme des «animaux humains». Et Sara Netanyahou, la puissante épouse du Premier ministre, fulmine: «J’espère vraiment que notre vengeance, celle de l’État d’Israël contre l’ennemi cruel, sera à très grande échelle. Je ne les qualifie pas d’“animaux humains” parce que ce serait insultant pour les animaux.» Cela se reflète également dans le torrent de vidéos israéliennes se moquant des souffrances des Palestiniens.
La quatrième tendance consiste à priver collectivement les Palestiniens de nourriture, d’eau, de médicaments ou d’électricité. C’était la déclaration du siège total le 9 octobre. Le ministre de l’Énergie, Yisrael Katz, a déclaré qu’«aucun interrupteur électrique ne sera allumé, aucun robinet d’eau ne sera ouvert et aucun camion de carburant n’entrera jusqu’à ce que les Israéliens kidnappés retournent chez eux». Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, a déclaré que la seule chose qui devrait entrer à Gaza jusqu’à ce que les otages soient libérés, ce sont «des centaines de tonnes d’explosifs» provenant de l’armée de l’air israélienne.
Une partie de cette tendance consiste à nier catégoriquement l’existence d’une crise humanitaire à Gaza, en oubliant soigneusement que la bande de Gaza en souffre depuis au moins seize ans. L’ambassadrice d’Israël au Royaume-Uni, Tzipi Hotovely, déclare: «Il n’y a pas de crise humanitaire.» Chose incroyable, elle poursuit en disant que «la crise humanitaire est en Israël en ce moment».
«Lorsque les dirigeants israéliens font de tels commentaires, aucun haut dirigeant politique occidental ne dit mot.»
Chris Doyle
La cinquième tendance consiste à déclarer son intention de s’emparer des terres à Gaza. L’ancien ministre de la Justice, Gideon Saar, souligne que la bande de Gaza «doit être plus petite à la fin de la guerre… celui qui déclenche une guerre contre Israël doit perdre du territoire.» Ce sentiment a été repris par le ministre des Affaires étrangères, Eli Cohen. Dans le même temps, Ohad Tal, un député du sionisme religieux, a appelé au retour des colonies à Gaza: «Nous ne pouvons revenir à la même configuration… nous devons exiger un prix territorial du Hamas, notamment le retour des colonies juives au moins au nord de la bande de Gaza.» L’acquisition de territoires par la guerre est illégale conformément au droit international.
La sixième tendance consiste à appeler à une nouvelle Nakba, en expulsant les Palestiniens de leurs terres. Nissim Vaturi, vice-président de la Knesset, menace: «Nakba? Expulsez-les tous. Si les Égyptiens tiennent tant à eux, qu’ils les emballent dans de la cellophane, avec un ruban vert.» Ce n’est pas nouveau. Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, a l’habitude de faire des déclarations racistes alarmantes à l’égard des Palestiniens. En 2021, il déclare aux membres arabes de la Knesset: «Vous êtes ici par erreur, c’est une erreur que – le Premier ministre israélien – David Ben Gourion n’ait pas terminé le travail en vous expulsant en 1948.»
La septième tendance est ouvertement génocidaire, bien que certaines des tendances décrites précédemment le soient également. Le député du Likoud, Amit Halevi, déclare: «Il devrait y avoir deux objectifs pour cette victoire: premièrement, il n’y a plus de terre musulmane sur la terre d’Israël… après avoir fait de Gaza la terre d’Israël, Gaza devrait rester comme un monument, comme Sodome.»
La plupart de ces tendances sont reprises dans les médias israéliens. «Gaza devrait être rayée de la surface de la Terre», écrit le journaliste Shimon Riklin sur les réseaux sociaux. Il a également demandé: «Pourquoi avons-nous une bombe atomique exactement?» Yinan Magal, journaliste et homme politique, estime que «l’heure est à une deuxième Nakba».
Fondamentalement, un grand nombre d’Israéliens ordinaires ont fait preuve d’une humanité extraordinaire envers les Palestiniens, ce qui fait étrangement défaut chez les dirigeants occidentaux. Ce sont souvent les Israéliens qui ont perdu des êtres chers à cause des atrocités du Hamas qui ont fait les commentaires les plus percutants. Noi Katzman, dont le frère Chaim a été tué, soutient: «La chose la plus importante pour moi et aussi pour mon frère est que sa mort ne soit pas utilisée comme justificatif pour tuer des innocents.» Un homme, fils d’un Israélien porté disparu, déclare: «On ne peut pas guérir des bébés tués avec davantage de bébés morts.» Nous avons besoin de paix. Yaakov Argamani, dont la fille a été prise en otage, précise: «Nous sommes deux nations d’un même père… faisons la paix, la vraie paix.»
Bien sûr, le Hamas a une longue Histoire de propos sanguinaires et antisémites menaçant d’éliminer les juifs. La différence est qu’ils ont été dénoncés à juste titre, mais pas assez souvent. Les puissances occidentales ont sanctionné et proscrit le Hamas, tout en refusant de lui parler. Cependant, lorsque les dirigeants israéliens font ces commentaires – et ils le font depuis des décennies, mais encore plus ces dernières années – aucun haut dirigeant politique occidental ne dit mot. La réalité est que l’antisémitisme est condamné à juste titre, tandis que le racisme anti-arabe le plus extrême est ignoré, voire toléré. Il faut s’attaquer à ce problème pour qu’une paix véritable s’installe.
Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding basé à Londres. Il a travaillé auprès de ce conseil depuis 1993 après avoir obtenu un diplôme spécialisé en études arabes et islamiques avec distinction honorifique à l’Université d’Exeter. Il a accompagné et organisé les visites de nombreuses délégations parlementaires britanniques dans les pays arabes.
X: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com