PARIS: L'exposition Les Corps oubliés, en octobre 2023 à l’Ayn Gallery à Paris, a mis en lumière le travail de l'artiste Amina Zoubir qui se penche sur la représentation et l'appropriation des corps féminin et masculin à travers des photographies influencées par la période coloniale. Diplômée en théorie de l’art contemporain de l’université Paris-8 et en design graphique de l’École supérieure des beaux-arts d’Alger, Amina Zoubir vit entre les capitales française et algérienne.
«La complexité de l'identité corporelle individuelle et la question de “comment construisons-nous notre humanité?” sont les vecteurs qui relient mes recherches et mon travail d'artiste», révèle-t-elle à Arab News en français.
Les photographies de cette exposition sont issues d’archives et de documents collectés pendant les recherches de l’artiste au Museum am Rothenbaum (Markk) de Hambourg, en Allemagne ainsi qu’au Musée ethnographique de Stockholm, en Suède. «La collection du Markk contient un grand nombre de ces photographies, ce qui constitue également un défi pour le musée», explique-t-elle.
«Le musée les stocke et les conserve en tant qu'objets et témoignages historiques», indique Jana Caroline Reimer, conservatrice du département d’Afrique du Nord, d'Asie occidentale et centrale et d'Égypte ancienne au Markk. Cependant, cette dernière mentionne que «leur origine coïncide avec une époque de structures de pouvoir et de déséquilibres coloniaux scientifiquement dominés par l'Europe qui sont directement visibles dans les représentations photographiques des personnes ainsi que dans les images qu'elles créent».
«La complexité de l'identité corporelle individuelle et la question de “comment construisons-nous notre humanité?” sont les vecteurs qui relient mes recherches et mon travail d'artiste», révèle Amina Zoubir à Arab News en français.
Un travail artistique de déconstruction
Pour Mme Reimer, «la force du travail d'Amina Zoubir réside précisément dans le fait que, par une déconstruction et un recentrage délibéré de ces portraits difficiles et des images qu'ils véhiculent, les personnes représentées sont placées au niveau des yeux en tant que sujets, en rupture avec leur contexte historique d'origine». La conservatrice précise que les créations de l’artiste «sont ainsi rendues et maintenues visibles d'une nouvelle manière». Elle ajoute: «La reproduction en série, sous forme de collage, met en évidence le nombre extrêmement élevé de femmes touchées par cette appropriation coloniale de leur corps.»
«Ce qui distingue le travail de l'artiste Amina Zoubir, c'est sa capacité à déconstruire délibérément ces portraits difficiles ainsi que les images et l'imaginaire qu'ils véhiculent. Les personnes représentées sont ainsi élevées au même niveau que les sujets, brisant leur contexte historique d'origine pour les rendre visibles d'une nouvelle manière», précise quant à elle Yasmine Azzi-Kohlhepp, fondatrice et directrice d’Ayn Gallery, à Arab News en français. Elle souligne que «la confrontation avec ses sculptures en cire incarne les luttes humaines, notamment celles de notre époque».
Des œuvres pour interroger l’ordre établi
«Ces œuvres interrogent l’ordre établi et mettent en lumière les enjeux sociaux mondiaux», confie Yasmine Azzi-Kohlhepp, qui rappelle que «la juxtaposition des collages sériels et les sculptures créent une conversation visuelle saisissante», ajoutant: «Les collages réinterprètent l’histoire de femmes et d’hommes des anciennes colonies, tandis que les sculptures en cire donnent une dimension physique et tangible aux luttes pour l’humanité et la dignité.» Elle conclut sur ces mots: «Ces œuvres offrent une nouvelle perspective sur la résilience et la force face à l'oppression, unissant ainsi ces deux expressions artistiques dans une exploration profonde de l'identité et de la mémoire.»