L’heure n’est plus à parler de déclin mais plutôt de déclassement, voire de disparition, de la France dans les grandes affaires du monde. L’attaque lancée par le mouvement terroriste Hamas à l’encontre d’Israël a illustré, une fois de plus, la relégation de la France au Proche-Orient. Notre pays ne joue aucun rôle tangible dans la sortie de crise car il ne s’investit plus, depuis plusieurs années, sur ce dossier. Jean-Paul Chagnollaud, écrivait récemment dans Le Monde que lorsqu’il avait évoqué, il y a peu, avec un « important diplomate » le conflit israélo-palestinien, celui-ci lui avait rétorqué ironiquement : « Vous vous intéressez encore à cette question ? » Lorsque l’on sait que ce haut diplomate est, en réalité, un membre de la cellule diplomatique de l’Élysée, on comprend mieux l’ampleur du problème.
Des communiqués compassionnels, une gestion professionnelle de nos compatriotes dans l’épreuve et la douleur par le Centre de crise et de soutien du MEAE, l’approbation donnée à de petites initiatives diplomatiques prises par d’autres : en somme, le rôle d’une puissance européenne moyenne qui n’a plus aucune prise sur les affaires du monde. Emmanuel Macron sera probablement contraint de se rendre dans la région, il le redoute lui-même et personne n’attend quoi que ce soit de ce déplacement déjà trop tardif. Jacques Chirac avait été, lui, le premier chef d’État à se rendre à New York, après le 11 septembre…
Après Chirac, le désert
Pour rappel, sous Jacques Chirac, le rôle de la France était incontournable dans le dénouement des crises au Proche-Orient : lors de l’opération « Raisins de la colère » menée par Israël au Liban (avril 1996), le président français avait décidé d’envoyer immédiatement son ministre des Affaires étrangères sur place avec pour mission « d’obtenir la cessation des combats et de chercher des arrangements qui garantissent la sécurité des populations de part et d’autre de la frontière libanaise ». Malgré l’obstruction américaine, la France participera grandement à la sortie de crise et sera associée à la surveillance du « cessez-le-feu.»
Durant le conflit israélo-libanais de l’été 2006, c’est encore avec le concours de la France que sera adoptée la Résolution 1701 du conseil de sécurité des Nations unies (11 août 2006) qui mettra un terme provisoire au conflit. En 2002-2003, l’action diplomatique de la France, soutenue par une grande majorité de la communauté internationale (et notamment l’Allemagne) parvenait à mettre hors-la-loi la guerre voulue par les États-Unis en Irak, et la vision prémonitoire de Jacques Chirac sur la déstabilisation globale de la région qui ne manquerait pas de s’ensuivre fut validée : puissance iranienne se déployant sans contrepoids, exacerbation des violences entre sunnites et chiites…
Comment en est-on arrivé aujourd’hui à ce désastre diplomatique particulièrement rapide, très marqué au Proche-Orient mais qui se manifeste partout ailleurs ? Nous pouvons identifier plusieurs causes. Un climat de défiance sans précédent au Maghreb. Que l’on se souvienne que Jacques Chirac était aimé et respecté dans chacun des trois pays. Maroc, Algérie, Tunisie (avec le premier, Nicolas Sarkozy a su maintenir un partenariat d’excellence) attendent impatiemment que la page Macron soit tournée.
Enfin, pour revenir au Proche-Orient, les gesticulations du président Macron après la dramatique explosion survenue au port de Beyrouth le 4 août 2020 n’auront eu aucun effet. Le président français, se voyant comme le grand libérateur qui allait être à l’initiative d’un nouveau pacte politique dans ce pays, n’aura, en réalité, abouti à aucun résultat tangible et étalé sa méconnaissance des us et coutumes de ce pays pourtant si proche de la France. Victime privilégiée du désordre sécuritaire qui l’entoure, le pays ne cesse de s’enfoncer dans la crise.
Hollande, Macron: même absence de combat
Depuis quelques années, la France assiste, impuissante, aux grands désordres du monde. Sa voix n’est plus entendue et, pire encore, attendue. François Hollande et Emmanuel Macron ont tué la politique étrangère (gaullienne) de la France, le constat est là.
Associer François Hollande et Emmanuel Macron peut paraître étrange tant les hommes sont différents. Néanmoins, dans ce domaine, Emmanuel Macron n’aura été qu’un continuateur dans l’échec cuisant de François Hollande. Quels facteurs propres aux deux hommes sont entrés en jeu ?
Citons, tout d’abord, l’inexpérience totale qui est la leur dans le domaine international lorsqu’ils arrivent au pouvoir. Or la politique étrangère ne s’invente pas. Il ne suffit pas d’avaler des notes, de publier des communiqués convenus et d’assister à des sommets internationaux protocolaires pour peser sur les affaires du monde. Elle nécessite un apprentissage long qui s’acquiert au fil des déplacements à l’étranger (François Hollande n’était, par exemple, jamais allé en Chine avant son arrivée au pouvoir) qui permet de développer des réseaux, de connaître intimement ses homologues, de s’imprégner d’une sensibilité, d’apprivoiser les cultures étrangères et ainsi d’être en mesure par une politique étrangère audacieuse, particulière, avant-gardiste, suscitant de la sympathie, de permettre à la France de résoudre la quadrature du cercle : comment un pays de taille moyenne dont la population est faible à l’échelle du globe peut-il peser sur les affaires du monde ? La réponse est : en adoptant une grande politique étrangère de grandeur. C’est la phrase célèbre du Général de Gaulle : « C’est parce que nous ne sommes plus une grande puissance qu’il nous faut une grande politique, parce que, si nous n’avons pas une grande politique, comme nous ne sommes plus une grande puissance, nous ne serons plus rien. »
D’autres facteurs ont joué également dans la continuité entre les deux hommes : ce sont les mêmes diplomates qui sont globalement à la manœuvre, marqués par leur attachement partisan au PS et, pour beaucoup, proches de Jean-Yves Le Drian qui aura été en réalité à la fois le ministre de la Défense et des Affaires étrangères sous le quinquennat Hollande et qui aura poursuivi son œuvre sous Emmanuel Macron. Quelques diplomates (sans grande expérience) noyautent les postes de commandement, et l’influence Le Drian perdure : Luis Vassy imposé à Catherine Colonna comme directeur de cabinet à un âge inhabituel et servant de tour de contrôle pour le compte de l’Élysée. Ou encore, le plus tristement marquant Franck Paris, patron de la « cellule Afrique » de l’Élysée pendant six ans et qui aura largement contribué à accélérer le rejet de la politique africaine de la France.
Que l’on songe aux va-t-en-guerre Hollande et Le Drian en Syrie en août 2013. Prêts à frapper car la fameuse « ligne rouge », l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien, avait été franchie. Avant que Barack Obama ne leur signifie que leur position avait peu d’importance. Le pire est que ces guerriers à distance n’ont pas été en mesure de donner à nos forces armées la capacité de mener à bien des missions par ailleurs mal définies et aux objectifs trop larges, le tout avec un matériel notoirement insuffisant... On croit rêver lorsque l’on entend Emmanuel Macron, le 24 septembre dernier, estimer nécessaire, grand seigneur, d’absoudre nos militaires pour Serval, Barkhane puis le piteux retrait du Niger. La seule responsabilité de cet échec est politique, un échec coconstruit par François Hollande et lui-même ! L’armée française, elle, a été à la hauteur.
Enfin, d’un point de vue institutionnel, François Hollande et Emmanuel Macron auront entériné une dérive débutée sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, un dysfonctionnement majeur dans la conduite de la politique étrangère : l’omnipotence de la cellule diplomatique de l’Élysée et l’inféodation voire la mise à l’écart de l’expertise du Quai d’Orsay. Nicolas Sarkozy prendra la précaution de s’entourer d’un conseiller diplomatique et d’un conseiller Afrique particulièrement chevronnés, tel ne sera plus le cas par la suite. Revenons au Proche-Orient qui monopolise l’attention fort logiquement.
Si loin du Proche-Orient
François Hollande y a tout bonnement enterré la politique arabe et mis fin à l’influence française traditionnellement forte dans cette région. Sa prise de position totalement déséquilibrée le 9 juillet 2014 dans le cadre du conflit israélo-palestinien aura marqué les esprits malgré les multiples rétropédalages qu’il tentera. En effet, lors de la riposte d’Israël jugée « disproportionnée » à des tirs de roquettes du Hamas, il n’aura pas un mot pour les très nombreuses victimes civiles palestiniennes (1 500) et se contentera d’afficher un soutien marqué à l’État hébreu. Là encore le tropisme pro-israélien hérité de l’alliance ancienne entre le PS et le parti travailliste a joué. Manifestement, François Hollande ne s’est pas rendu compte que le Parti travailliste avait disparu et que ce quitus était donné à un homme aussi peu recommandable que Benyamin Netanyahou.
Nicolas Sarkozy, lui, ne sera pas tombé dans le panneau. Considéré comme très pro-israélien au début de son mandat, il parviendra à une position plus médiane au fur et à mesure qu’il s’apercevait de la duplicité de Benyamin Netanyahou et de son absence totale de fiabilité. Le dossier israélo-palestinien demeurera une priorité sous le quinquennat Sarkozy. François Hollande et Emmanuel Macron, eux, l’enterreront bel et bien tout comme la politique arabe de la France initiée par le général de Gaulle et portée si haut par Jacques Chirac. Une nouvelle stratégie est adoptée par les deux derniers présidents : reconnaître Israël comme un « État Juif » ayant vocation à représenter les communautés juives de par le monde, y compris en France.
Le triste symbole de cette dérive se manifestera le 16 juillet 2017 lorsqu’Emmanuel Macron invitera Benyamin Netanyahou à commémorer la Rafle du Vel d’Hiv’ comme si la qualité de Juif devait l’emporter sur celle de Français pour les malheureuses victimes. Emmanuel Macron faisait alors d’Israël le représentant officiel de la communauté juive française, prenant le contre-pied de la politique de Jacques Chirac. Ce dernier aura agi comme personne lorsque la communauté juive française était menacée, il aura été le premier à reconnaître, dès le début de son septennat, la « responsabilité de l’État français » dans cet acte odieux et, plus globalement, la responsabilité de la France dans la déportation, l'extermination et l’anéantissement de près de 76 000 des Juifs qui vivaient dans notre pays. Mais en ne faisant aucune confusion avec l’État d’Israël invité à respecter le droit international comme tout autre État. Et le rappelant avec force lorsque cela s’avérait nécessaire.
La France est aujourd’hui un pays isolé sur la scène internationale qui ne parvient ni à entraîner ses partenaires européens dans son sillage, ni à faire adopter des résolutions par le Conseil de sécurité des Nations-Unies. Son poids au sein de l’Assemblée Générale de cette institution s’effondre fort logiquement puisque le soutien de nos alliés africains francophones et de plusieurs pays arabes nous fait désormais défaut. Pas la moindre relation privilégiée entre Emmanuel Macron et un chef d’Etat étranger, plus de couple franco-allemand : l’influence de la France sur la scène internationale est désormais ramenée à ce qu’elle représente à l’échelle du globe, pas grand-chose. C’est à la fois son influence politique et sa cote de sympathie qui reculent. Il sera nécessaire de s’employer à ressusciter la seconde avant d’espérer inverser la tendance pour la première.
Lire ici le texte original initialement publié sur Marianne