RIYAD: L’expansion du bloc des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) devrait créer un nouveau terrain de jeu économique mondial, ont laissé entendre des chefs d’entreprise lors de tables rondes organisées dans le cadre du forum Future Investment Initiative (FII) à Riyad.
Le groupe a annoncé en août qu’il prévoyait de doubler le nombre de ses membres l’année prochaine, ce qui ouvrirait la porte à l’Arabie saoudite, à l’Iran, à l’Éthiopie, à l’Égypte, à l’Argentine et aux Émirats arabes unis (EAU), et pourrait redéfinir le paysage économique et politique mondial.
Plusieurs tables rondes du FII ont été consacrées à la montée en puissance des Brics et à leur capacité à faire contrepoids à l’Occident.
«L’économie mondiale traverse une période de transition — nous nous trouvons à un tournant», a déclaré Eric Li, président et associé directeur de la société chinoise de capital-risque Chengwei Capital, lors d’une table ronde sur l’évolution des Brics.
«Les pays du Sud ont le potentiel (...) de progresser dans la chaîne de valeur et d’obtenir les secteurs à valeur élevée. Cela constitue une menace pour le centre d’où ils réalisent l’essentiel de leurs bénéfices — il s’agit simplement d’une concurrence économique pure», a ajouté M. Li.
Le Sud est un terme utilisé pour désigner les économies émergentes ou les pays sous-développées, tandis que le Nord représente les démocraties avancées.
Selon le Fonds monétaire international (FMI), le produit intérieur brut du bloc s’élevait à 26 000 milliards de dollars (1 dollar = 0,94 euro) en 2022.
Le terme Bric, sans l’Afrique du Sud, a été créé par Jim O’Neill, économiste chez Goldman Sachs, en 2001. Il pensait que d’ici à 2050, les quatre économies Bric domineraient l’économie mondiale. L’Afrique du Sud a été ajoutée à la liste en 2010.
Selon André Esteves, président de BTG Pactual, le plus grand gestionnaire d’actifs d’Argentine, le bloc des Brics peut être une source de stabilisation à long terme.
«Si vous observez la manière dont les dirigeants chinois font progresser la technologie, l’étonnante révolution numérique en Inde ou en Arabie saoudite, le leadership en matière de transition énergétique ou le Brésil qui, l’année dernière, a construit un réseau de fibre optique à haut débit, ainsi que le niveau de révolution technologique agricole que nous avons atteint, les Brics sont à la tête de nombreux sous-segments de la révolution technologique, ce qui est tout à fait sain pour le monde», a expliqué M. Esteves.
Selon Anish Shah, président-directeur général (PDG) du groupe indien Mahindra, les gens considèrent souvent que la réussite est liée à l’influence de l’économie sur la politique et non l’inverse.
«Il est très important que nous examinions réellement ce que nous devons faire pour faire face aux défis du monde. Il est très facile de tomber dans le jeu des accusations et dans un agenda politique», a-t-il ajouté.
L’économie peut l’emporter sur la politique, a-t-il souligné.
«Nous l’avons constaté au cours de cet âge d’or du développement», a-t-il poursuivi. «Nous interagissons beaucoup avec les différents gouvernements du monde, et je dirais qu’à travers nos interactions avec les pays développés, nous remarquons qu’ils recherchent eux aussi la stabilité dans le monde», a indiqué M. Shah.
Des pays tels que la Chine et la Corée du Sud progressent rapidement dans le paysage économique mondial, parallèlement aux économies florissantes des régions de l’Asie de l’Est et du Sud-Est, démontrant ainsi que le continent dans son ensemble constitue de plus en plus un point d’ancrage pour l’économie mondiale.
La Banque asiatique de développement estime que l’Asie et le Pacifique connaîtront une croissance de 4,8% en 2023 et 2024.
L’Asie représente 60% de la population mondiale, a précisé Christine Tsai, partenaire fondatrice et PDG du fonds de capital-risque d’aide au démarrage 500 Global, qu’elle a cofondé en 2010.
Il existe un potentiel énorme dans ce que Mme Tsai appelle les «économies montantes», c’est-à-dire les marchés qui connaissent la croissance la plus rapide après les États-Unis et la Chine.
«Lorsque l’on pense à la population qui sera en ligne d’ici à la fin de 2023, on prévoit qu’elle sera d’environ 5 milliards, ce qui signifie que près de 3 milliards ne sont pas encore en ligne», a-t-elle souligné, expliquant que son entreprise a récemment publié une étude portant sur une vision macroéconomique mondiale de l’activité importante des entreprises, afin d’identifier 30 marchés qu’elle a qualifiés d’«économies émergentes».
«Il y a des milliers de milliards de dollars qui pourraient être générés par ces “économies émergentes”, et environ 11 de ces 30 marchés se trouvent en Asie», a-t-elle expliqué.
«Il s’agit d’une vision macroéconomique des raisons pour lesquelles il convient de s’intéresser à ce marché», a ajouté Mme Tsai.
La montée en puissance des Brics et des pays du Sud face à la domination des institutions occidentales a été une question cruciale abordée au cours des deux tables rondes.
Les chefs d’entreprise de ces pays ont affirmé que les pays du Sud se sont souvent sentis exclus au cours des dernières décennies autour des grandes questions économiques et politiques. Pourtant, des progrès récents semblent changer le paysage vers une plus grande égalité des chances.
De nombreux chefs d’entreprise estiment que le paysage économique mondial est en train de changer avec l’essor rapide des économies des Brics et des pays du Sud.
«Nous sommes habitués à un monde dominé par le dollar américain, mais il y a une toute nouvelle évolution numérique qui se produit, à savoir l’émergence des monnaies numériques des banques centrales. Il s’agit d’un exemple de moyen alternatif de commerce interentreprises, qui se situe en dehors de l’économie dépendante du dollar américain», a noté Magda Wierzycka, cofondatrice et PDG de Sygnia Ltd, une société de services financiers sud-africaine.
Par exemple, le 10 octobre, PetroChina International a effectué une transaction historique en achetant 1 million de barils de pétrole brut en utilisant le yuan numérique ou les monnaies numériques de banque centrale (MNBC).
Cette transaction fait suite à la décision du gouvernement d’utiliser les MNBC dans le commerce international, soulignant ainsi le rôle croissant du yuan numérique dans le commerce transfrontalier.
Évoquant la transaction en MNBC, Mme Wierzycka a affirmé qu’il n’y a absolument aucune raison pour qu’avec une volonté politique suffisante et la coopération des banques centrales, on ne puisse pas développer un mécanisme commercial alternatif au dollar américain en tant que monnaie mondiale.
Ce dont nous avons besoin, c’est d’un monde multipolaire et multiéconomique, estime Lubna Olayan, présidente du comité exécutif d’Olayan Financing Co., un monde où les économies du Nord et du Sud travaillent et survivent ensemble.
«En tant qu’hommes et femmes d’affaires, nous devons continuellement essayer de naviguer dans le paysage des affaires et éviter la politique. C’est ce que nous devons faire si nous voulons opérer dans toutes les parties du monde», a observé Mme Olayan, ajoutant: «Mais pouvons-nous ignorer la politique? Non. Nous devons naviguer à travers elle et y être sensibles, mais malheureusement, nous ne pouvons pas l’ignorer.»
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com