MOSCOU: Un tribunal russe a ordonné lundi le placement en détention provisoire "jusqu'au 5 décembre" de la journaliste russo-américaine Alsu Kurmasheva, arrêtée la semaine dernière, devenant le second reporter américain détenu dans le pays.
La Russie mène une vaste campagne de répression à l'encontre des médias indépendants, ONG, avocats et opposants depuis le début de son assaut contre l'Ukraine en février 2022.
La journaliste a été arrêtée mercredi et est accusée de manquements liés à son inscription au registre des "agents de l'étranger" alors qu'elle était engagée dans "la collecte intentionnelle d'informations concernant des activités militaires" pouvant être dommageables pour "la sécurité de la Russie", a indiqué le tribunal la semaine dernière.
Mme Kurmasheva, qui travaille pour le média américain Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), risque jusqu'à cinq ans de prison. Son président par intérim, Jeffrey Gedmin, a appelé à la "libération immédiate" de sa journaliste.
A Washington, le porte-parole du département d'Etat Matthew Miller a fait part de la "profonde inquiétude" des Etats-Unis à son sujet.
"Nous avons demandé un accès consulaire. Jusqu'à présent, on ne nous l'a pas accordé. On va continuer à faire pression afin de l'obtenir", a-t-il dit lundi à la presse.
Le statut d'"agent de l'étranger", qui rappelle le qualificatif soviétique d'"ennemi du peuple", impose aux personnes ou entités visées des contraintes administratives et un contrôle financier très lourd.
Il oblige également à accompagner toute publication, y compris sur les réseaux sociaux, de ce label.
Certains des critiques les plus respectés du président russe Vladimir Poutine figurent parmi ces "agents de l'étranger", comme le prix Nobel de la Paix et rédacteur en chef du journal indépendant Novaïa Gazeta, Dmitri Mouratov.
Mme Kurmasheva, qui réside d'ordinaire à Prague avec son mari et ses deux filles adolescentes, s'était rendue en Russie pour une "urgence familiale" le 20 mai mais n'avait pas pu repartir car ses passeports américain et russe lui ont été confisqués.
Selon le site internet Tatar Inform, elle avait été condamnée à une amende le 11 octobre pour ne pas avoir déclaré sa citoyenneté américaine aux autorités russes.
D'après ce média, qui cite des sources policières anonymes, elle a notamment travaillé sur la mobilisation par l'armée d'enseignants.
Evan Gershkovich
Elle a aussi participé à la publication d'un livre l'an passé intitulé "Dire non à la guerre, 40 histoires de Russes opposés à l'invasion russe de l'Ukraine".
Alsu Kurmasheva, qui a rejoint RFE/RL en 1998, travaille pour son service en langues tatare et bachkire, couvrant ces minorités ethniques de Russie peuplant en particulier le Tatarstan et le Bachkortostan, des régions de la Volga et de l'Oural.
Ayant son siège à Prague, le média RFE/RL est financé par le Congrès américain et avait été fondé pendant la Guerre Froide pour contrer la propagande soviétique dans le bloc de l'Est. Il diffuse toujours des contenus en une multitude de langues, souvent sensibles dans des pays dirigés par des régimes autoritaires.
"Je suis venue travailler pour (RFE/RL) car ce média compte pour moi, sa mission d'apporter une information objective à mon peuple, le peuple qui parle ma langue, le tatar, en particulier", expliquait en 2014 Mme Kurmasheva.
Elle est le second journaliste américain à être arrêté en Russie en 2023, après Evan Gershkovich.
Ce reporter du Wall Street Journal, interpellé le 29 mars en plein reportage, est détenu à Moscou.
M. Gershkovich, qui a aussi travaillé pour l'AFP en Russie par le passé, est accusé d'espionnage, crime passible de 20 ans de prison. Une accusation que lui, Washington, son journal, ses proches et sa famille rejettent.
La Russie n'a jamais étayé ces accusations et l'ensemble de la procédure est classée secrète.
Ces dernières années, plusieurs citoyens américains arrêtés en Russie ont été libérés après des échanges de prisonniers avec Washington.
Le Kremlin a démenti, après l'arrestation de Mme Kurmasheva, toute "persécution" de journalistes américains.
Depuis le début de l'offensive russe contre l'Ukraine, nombre de militants et de reporters russes ont fui leur pays pour éviter la prison. D'autres - célèbres ou anonymes - ont été incarcérés.