PARIS: De retour en France après quatre ans et demi passés en Iran, dont une grande partie en prison, la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkah, ex-"otage d'Etat", s'apprête vendredi à prononcer un discours. Puis elle décide subitement de le ranger et se met à chanter.
Sa voix, douce, ne tremble pas devant l'assistance médusée venue l'accueillir à Science Po, l'université parisienne où elle enseignait avant ses années de détention. Plusieurs centaines d'étudiants, professeurs et soutiens retiennent leur souffle, conscients de vivre un moment rare, magique.
A capella, Fariba Adelkhah revisite "Do panjereh" (deux fenêtres), un hit de la chanteuse Gougoush, la grande diva de la pop d'avant la Révolution islamique, qui fit son grand retour à la chanson en 2000 en Amérique du Nord, après 21 ans d'un silence imposé dans son pays.
Dans cette chanson, totalement improvisée, avoue-t-elle, il est question de "deux fenêtres encastrées dans un même mur, qui ne peuvent se tenir la main". Une histoire de vie emmurée dans une prison, élégante métaphore de sa situation personnelle passée.
Spécialiste du chiisme et de l'Iran post-révolutionnaire, Mme Adelkhah est arrêtée en 2019 puis condamnée l'année suivante à cinq ans de prison pour atteinte à la sécurité nationale, une accusation qu'elle rejette. Libérée en février, elle n'est pas autorisée à quitter l'Iran, jusqu'à mardi dernier, jour de son retour en France.
Paris a plusieurs fois utilisé le terme d'"otages d'Etat" pour désigner son cas et celui des autres Français détenus par Téhéran.
Vendredi, la sexagénaire doit donc pour la première fois s'exprimer publiquement, mais elle commence par la vocalise. Elle répond ensuite, très humblement, aux interrogations d'étudiants parfois éplorés. Sans jamais cesser de sourire.
"Ne faites pas de moi une révolutionnaire, une combattante. Je suis une chercheuse. (...) Ca faisait trente ans que je faisais ce métier quand je me suis faite arrêter", dit-elle, racontant les "nuits entières (passées) à écrire", pour "faire comprendre à mes interrogateurs que je ne suis pas ce que vous pensez, l'espionne".
Pas un mot sur le traitement qui lui a été réservé par le régime iranien en prison, un espace qu'il "ne faut pas trop embellir", selon elle.
«Immense joie»
"La taule, pour les gens qui y vivent, c’est une communauté. Une toute petite communauté. On était 40 et on est passé à 60. (...) L’espace est petit, donc très naturellement, on marche sur les plate-bandes des autres, on les gêne et cela crée des conflits."
Elle ajoute : "la vie en prison, c’est pas une vie très amicale".
Dans cette période sombre, une "immense joie" la saisit pourtant, raconte-t-elle. A partir de septembre 2022, le mouvement "Femme, vie, liberté" fait trembler le régime iranien.
Née de la mort de la jeune kurde iranienne Mahsa Amini après son arrestation par la police des moeurs pour non respect du strict code vestimentaire islamique, la contestation, dans laquelle les femmes sont en première ligne, s'exprime d'abord par des manifestations d'ampleur, violemment réprimées.
Moins visible aujourd'hui, elle a pénétré en profondeur la société, selon des experts. Scènes encore inimaginables il y a un an, des femmes apparaissent désormais dévoilées dans l'espace public, malgré les risques, le port du foulard étant un des piliers de la République islamique.
"On se faisait une joie énorme de ce qui se passait à l'extérieur", narre la chercheuse, pour qui la jeunesse iranienne, à la manoeuvre, "n'a rien à perdre" et s'avère "beaucoup plus courageuse" que la génération précédente, plus conservatrice.
La chercheuse ne dévoilera pas davantage ses sentiments, alors que quatre autres Français restent détenus en Iran.
Fariba Adelkhah incarne une "joie collective", affirme de son côté le directeur de Science po, Mathias Vicherat, qui salue sa "dimension solaire", son "humour", son "dynamisme".
"La liberté académique (...) doit devenir un vrai fondement de la démocratie", souligne-t-il à l'AFP.
Questionné sur ce tour de chant, le directeur confie sa "surprise" mais loue le "symbole".
Mme Adelkhah "chantait beaucoup pour ses codétenus. Elle était souvent convoquée pour des moments de deuil", au sein de la prison, raconte-t-il. Son chant vendredi était "sa manière d'exprimer son émotion, au-delà de phrases ou de concepts."