Pendant des années, j’ai demandé aux Israéliens avec lesquels je discutais s’ils pouvaient m’indiquer un moyen crédible et efficace pour que les Palestiniens puissent se libérer de l’occupation étrangère sous laquelle ils vivent. Personne n’a jamais été capable d’élaborer un processus ou une méthodologie susceptible de mener à bien, de manière crédible, les objectifs souhaités, tandis que de nombreuses idées inefficaces étaient régulièrement mentionnées lors du débat. Une question simple nous hante tous: quelqu’un peut-il proposer aux Palestiniens un moyen solide et crédible de mettre fin à soixante-quinze ans de crise des réfugiés, cinquante-six ans d’occupation de la Cisjordanie et seize ans de siège imposé à Gaza?
On a demandé aux Palestiniens de reconnaître Israël et les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l’ONU, affirmant que ce serait la voie vers la liberté. C’est exactement ce que les Palestiniens ont fait en 1993. Résultat: le nombre de colonies et de colons juifs illégaux a plus que triplé et la libération palestinienne semble encore plus improbable qu’avant.
Certains affirmaient que le chemin de la libération passait par la non-violence. Le militant palestinien non violent Moubarak Awad a prêché cette idée, ce qui lui a valu d’être expulsé par Israël. Les efforts visant à appliquer des boycotts non violents au sein du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions, inspiré du modèle sud-africain, ont été délégitimés et considérés comme antisémites. Des dizaines de lois ont été adoptées dans les États américains, tandis qu’une législation nationale est à l’étude au Royaume-Uni, punissant les citoyens qui soutiennent le boycott d’un pays – Israël – qui viole le droit international.
Les Israéliens ont déclaré que les Palestiniens devaient avoir une démocratie pour qu’Israël permette l’existence d’un pays indépendant voisin, bien que cela n’ait jamais été une condition ni pour l’Égypte ni pour la Jordanie. Des élections palestiniennes libres et équitables (supervisées par la fondation Carter et d’autres) ont eu lieu à plusieurs reprises jusqu’à ce que les partisans du Hamas l’emportent, puis les mêmes pays qui ont fait pression pour mettre en place des élections et la démocratie ont fini par déconseiller en privé au président, Mahmoud Abbas, de le faire, de crainte que les modérés perdent.
Sur le plan politique, on a expliqué aux Palestiniens que la Palestine serait libre s’ils renonçaient à la résistance armée et s’ils coopéraient en matière de sécurité avec Israël. Encore une fois, cela s’est produit pour la plus grande satisfaction des responsables de la sécurité israélienne, malgré l’opposition de l’opinion publique. Résultat: Mahmoud Abbas a été considéré comme faible et incapable de protéger son propre peuple de la violence des colons et même des pogroms. Et au lieu de s’engager politiquement avec Ramallah et les dirigeants sous le mandat de M. Abbas, Israël s’est attaché à apaiser le Hamas.
Des experts juridiques internationaux ont indiqué aux Palestiniens que la Cour pénale internationale (CPI) serait la meilleure voie. Et ils y ont eu recours. Les crimes de guerre, en particulier les colonies illégales en cours et le cas bien documenté du meurtre d’une journaliste américano-palestinienne, ont été présentés à la CPI. Mais en dépit de leur importance et d'une recherche ainsi que d'une documentation méticuleuses, ces accusations s’entassent à La Haye tandis que les allégations les plus récentes de crimes de guerre russes figurent en tête de liste.
«Les efforts visant à appliquer des boycotts non violents, inspirés du modèle sud-africain, ont été délégitimés et considérés comme antisémites.» - Daoud Kuttab
L’opération du Hamas contre Israël le 7 octobre a été menée sur la base du droit des peuples à résister, internationalement reconnu. Bien sûr, des atrocités ont été commises par le Hamas et d’autres, notamment par certains Palestiniens de Gaza qui sont enfermés comme des animaux depuis seize ans. Quand ils ont soudainement vu la clôture s’effondrer et les routes ouvertes, sans les soldats israéliens, certains se sont déchaînés, tuant et pillant. Au fil des années, Israël a poursuivi ce siège non autorisé de Gaza, que le patriarche latin de Jérusalem, le cardinal Pierbattista Pizzaballa, a qualifié de «prison ouverte».
Les membres du Hamas qui ont rompu le siège ont-ils commis des crimes de guerre? C’est probable. Leurs dirigeants les ont-ils publiquement tolérés? Non. Mais aujourd’hui, le gouvernement israélien – membre de l’ONU – non seulement commet des crimes de guerre, mais ses responsables déclarent également publiquement qu’ils privent de nourriture, d’eau et d’électricité 2,2 millions de civils palestiniens, dont la plupart ne sont pas membres du Hamas.
On a toujours expliqué aux Palestiniens que le rapport de forces n’est pas en leur faveur, que même leurs frères et sœurs arabes les abandonnent et qu’ils devraient donc accepter les moindres miettes que leur tendent Donald Trump ou Benjamin Netanyahou.
Au fil des ans, le seul compromis possible avec lequel Israéliens et Palestiniens semblaient pouvoir s’accommoder était la solution à deux États, souvent répétée. Bien que l’idée d’un État indépendant dans les frontières du 4 juin 1967 soit une solution possible, peu d’efforts politiques ont été déployés pour en faire une réalité. Le monde reconnaît une partie de la solution à deux États, soit Israël, depuis 1948, mais la plupart des pays occidentaux (à l’exception de la Suède) ont refusé de reconnaître l’État de Palestine, bien que cent trente-huit des cent quatre-vingt-treize États membres de l’ONU l’aient fait. Même l’offre des Palestiniens à l’ONU de reconnaître la Palestine comme un État sous occupation a été repoussée par la menace d’un veto américain au Conseil de sécurité.
L’attaque actuelle contre Gaza doit cesser immédiatement et les vies doivent être sauvées. Une fois le cessez-le-feu déclaré et appliqué, la question mentionnée précédemment reste valable et doit être posée aux Israéliens et à la communauté internationale, y compris au président américain, Joe Biden. S’il existe un consensus mondial sur la solution à deux États, il faudra désormais une feuille de route pour mettre fin à des décennies de carnage et permettre aux peuples de la région de vivre en paix.
Daoud Kuttab est un ancien professeur de l’université de Princeton et le fondateur et ancien directeur de l’Institut des médias modernes de l’université Al-Quds à Ramallah.
X: @daoudkuttab
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com