CAMP DE BALATA: Dans le camp de Balata, les murs des venelles grisâtres sont tatoués d'affiches à l'effigie de Hatem Abou Rizk, tombé dans le cadre des tensions grandissantes entre factions palestiniennes qui se préparent à un monde sans le président Mahmoud Abbas.
Le 31 octobre, un entrefilet s'invite dans les médias palestiniens: un mort et des blessés dans ce camp de réfugiés, où s'entassent 30.000 personnes sur moins d'un km2 à la sortie de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie occupée.
Cette fois-ci, les heurts n'opposent pas Palestiniens et forces israéliennes, mais des Palestiniens entre eux.
Hatem Abou Rizq, 35 ans, dont près d'une dizaine d'années passées dans les geôles israéliennes pour sa participation à la seconde Intifada (soulèvement de 2000-2005), a perdu la vie dans ces affrontements entre factions, qui se disputent le récit des faits de ce 31 octobre.
Selon les autorités locales, Hatem s'est tué en tentant d'actionner une bombe. «Mais, en vérité, il a été tué par des tirs de l'Autorité» palestinienne, accuse sa mère, Oum Hatem Abou Rizq, dans le microscopique appartement familial.
«Hatem cherchait à combattre la corruption au sein du pouvoir palestinien, c'est pour ça qu'ils ne l'aimaient pas», pleure-t-elle en embrassant une affiche géante à la gloire de son fils.
L'ombre de Dahlan?
Hatem oeuvrait-il pour Mohammed Dahlan, un influent responsable palestinien en exil? «Si Hatem était avec Dahlan, nous ne vivrions pas dans un tel appartement», lance Oum Hatem, dont les deux autres fils se cachent pour éviter selon elle d'être tués dans des combats fratricides.
Dans les Territoires palestiniens, le mot «Dahlan» revient en boucle depuis les accords de normalisation entre Israël et les Emirats arabes unis, signés en septembre à Washington.
Lié à un courant divergent du parti Fatah du président Mahmoud Abbas, Mohammed Dahlan est aujourd'hui conseiller de Mohammed ben Zayed, prince héritier d'Abou Dhabi et acteur clé de ces accords de normalisation, fustigés par l'Autorité palestinienne.
A leur annonce, ses détracteurs avaient piétiné des affiches du «traître" Dahlan. Par ses partisans, il est toutefois considéré comme un «successeur" possible au président Abbas, 85 ans et qui a promis des élections en 2021, les premières en près de 15 ans.
En l'état, la question de l'après-Abbas reste un tabou dans la classe politique. «Dans cette région, nous n'aimons pas parler de la vie après la mort», résumait récemment une figure influente du Fatah.
Mais pour le gouverneur de Naplouse Ibrahim Ramadan, un cacique du Fatah, aucun doute: «Hatem Abou Rizq était avec Dahlan».
«Depuis cet incident, 14 de mes soldats ont été blessés (à Balata). Ces gens ne comprennent que le langage de la force», dit-il.
Selon le général palestinien Waël Shitawi, «les gens de Dahlan donnent de l'argent aux jeunes sans travail pour lancer des pierres et des cocktails Molotov sur les forces palestiniennes». «Leur but est de créer des troubles et montrer que l'Autorité palestinienne ne contrôle pas les camps».
«Terreau fertile»
«Ils veulent fomenter une révolution à partir des camps, pour dire ensuite qu'il faut que Dahlan revienne pour résoudre le problème", poursuit-il, dans son appartement ceint de caméras de surveillance.
Mais des proches de Mohammed Dahlan nient toute responsabilité dans les affrontements à Balata. «L'Autorité palestinienne souffre de Dahlanphobie. C'est une pandémie pire que le Covid-19», accuse Dimitri Diliani, un cadre du Fatah qui soutient Dahlan.
«Ce soulèvement est une réaction de la population de certains camps qui a été discriminée par l'Autorité palestinienne (...) La population des camps est celle qui a payé le prix le plus élevé (lors des soulèvements palestiniens) mais celle qui a été le moins bien traitée», dit-il.
L'émissaire de l'ONU pour le Proche-Orient Nickolay Mladenov a déclaré à l'AFP être «profondément préoccupé par les tensions croissantes entre la population du camp et les forces palestiniennes», appelant à la «retenue».
Signe de ces vives tensions, des membres des forces spéciales palestiniennes sont déployés à l'entrée du camp de Balata, et des snipers embusqués sur les toits. Non loin, l'immeuble d'un homme jugé proche de Dahlan a récemment été incendié, comme d'ailleurs un QG local du Fatah.
«A Balata, ce n'est pas que les gens aiment Dahlan mais ils cherchent une alternative pour améliorer leur sort (...). c'est un terreau fertile», estime Emad Zaki, président du comité local des services aux résidents de Balata, qui déplore une course à l'armement.
D'après lui, «il y a plus d'armes aujourd'hui à Balata que pendant la seconde Intifada. Il y a des lance-roquettes, des kalachnikovs et des M16».
Oum Hatem, elle, ne décolère pas: «Une lutte se déroule aujourd'hui et nos fils servent de bois d'allumage».