PARIS: Il y avait eu ces drones dans le ciel, ce détenu "trop calme" qui commençait à "trop bien" connaître les lieux et un mauvais pressentiment. Alors le transfert de Rédoine Faïd avait été demandé en urgence. Trop tard.
Le courrier que lit jeudi la présidente de la cour d'assises de Paris, qui juge depuis la semaine dernière le récidiviste de la belle et ses complices présumés, date de début mai 2018, deux mois avant son évasion.
Rédoine Faïd "est trop calme, trop gentil, trop respectueux. Mais en parallèle il a déjà repéré les failles de la structure, et la connaît trop bien maintenant", écrit la direction de la prison de Réau à la direction de l'administration pénitentiaire.
"Nous savons que c'est juste une question de temps", est-il aussi noté dans ce courrier, qui demande d'"organiser un transfert sans délai" puis "des transferts réguliers" entre différents établissements.
La réponse arrive quelque semaines plus tard, propose un transfert en septembre.
"Sérieusement ? Ça ne me paraît pas raisonnable. J'insiste rarement sur un transfert", répond l'interlocuteur à Réau. Mais "nous prenons des risques graves et sérieux de troubles à l'ordre public et pour le personnel pénitentiaire".
La direction aura gain de cause, le transfert est avancé à début juillet.
"Malheureusement M. Faïd nous a quitté le 1er", témoigne en visioconférence l'ex-directrice adjointe de la prison de Réau.
Pour la cour, elle retrace la succession des micro-événements qui a mis les responsables de la prison "sur les dents".
Les vols répétés de drones "observateurs" au dessus de la prison en février. Cette cour d'honneur (où se posera l'hélicoptère) démunie de filins de sécurité. Les rendez-vous avec la direction que Rédoine Faïd ne réclame plus, lui qui, à l'isolement, ne ratait pas une occasion d'échanger. "Ça ne m'a pas rassurée", explique-t-elle.
La tête posée entre les mains dans le box, le braqueur sourit.
La responsable poursuit, cite des réflexions de Rédoine Faïd aux surveillants: "dans ce couloir il n'y a pas de vidéosurveillance", "cette porte, elle mène où ?"
"M. Faïd regardait tout, on le savait", résume-t-elle.
«Gros cadeau»
Au terme de leurs investigations, les enquêteurs sont persuadés que l'évasion a été organisée de manière "artisanale", en famille.
Cinq proches comparaissent au côté du braqueur multirécidiviste. Notamment ses frères Rachid, 65 ans, soupçonné d'être le chef du commando, et Brahim, 62 ans, qui était au parloir avec son frère quand il a été exfiltré. Retrouvé "recroquevillé" dans la cabine, il nie toute implication.
Début mai, rappelle la cour, Rédoine Faïd avait bénéficié d'une unité de vie familiale (UVF, sorte d'appartement au sein de la prison). Plutôt que sa compagne dont il venait de se séparer, il avait fait venir ses deux frères, Rachid et Brahim.
"Bah voilà", lâche la directrice adjointe. "Des contacts directs, et quarante-huit heures pour parfaire un plan peut-être préparé depuis des mois", imagine-t-elle, confirmant qu'il n'y a ni vidéosurveillance ni micro dans les UVF.
La cour s'étonne. Si la direction "s'alerte" de risques d'évasion, pourquoi maintenir des dispositions si "favorables" ?
"Il aurait fallu motiver en droit le refus", avance la témoin, et ça aurait révélé au braqueur les "craintes" de la direction.
L'avocat général l'interroge sur la "duplicité" de ce pseudo "détenu modèle".
La directrice adjointe n'est pas tout à fait d'accord. "C'est plus fort que lui", dit-elle, donnant pour exemple le "dernier mot" qu'a échangé Rédoine Faïd avec le détenu de la cellule d'à côté, par la fenêtre, la veille de l'évasion.
La présidente tique, ce témoignage n'est pas au dossier. Quel "dernier mot" ?
Rédoine Faïd lui dit: "je te dis +à plus tard+, car demain je suis libérable", avait raconté le détenu.
- "C'est pas possible, tu viens de te prendre vingt-cinq ans", lui rétorque son voisin de cellule.
- "Mais Mme (Nicole) Belloubet (ex-ministre de la Justice) m'a fait un gros cadeau en me mettant à Réau", avait poursuivi Rédoine Faïd. "Et demain je suis libérable..."