LIMASSOL: "S'ils vous voient, vous qui êtes étranger, ils vous frapperont": une vague d'hostilité antimigrants déferle sur l'île méditerranéenne de Chypre où des groupes d'extrême droite sont pointés du doigt.
Début septembre, des rumeurs d'une manifestation contre les immigrés circulaient à Limassol, dans le sud de l'île. Des propriétaires de restaurants égyptiens se sont empressés de rentrer leurs chichas et des vendeurs vietnamiens de débarrasser leurs étalages de légumes.
Plusieurs centaines de personnes masquées, armées de cocktails Molotov, ont ciblé des magasins et des restaurants appartenant à des étrangers dans cette ville côtière, créant un climat de peur.
Certains observateurs ont soupçonné que, sous les cagoules noires, se cachaient des membres du parti d'extrême droite Elam, un groupe initialement formé à partir de Aube dorée, une formation néonazie grecque aujourd'hui interdite.
Leur position résolument anti-immigration leur a attiré le soutien de nombreux supporters, et leur chef, Christos Christou, est arrivé en quatrième position lors de l'élection présidentielle de février, avec 6% des voix.
Elam a cependant nié toute implication dans ces violences.
Mohammed el-Basaraty, un restaurateur égyptien de 38 ans, s'est caché à l'arrière de son établissement peu avant que les manifestants ne débarquent à Limassol.
"J'étais avec une voisine et elle m'a dit de partir: +S'ils vous voient, vous qui êtes étranger, ils vous frapperont+", confie-t-il à l'AFP, évoquant le "bruit du verre qui se brise" et "l'odeur de la fumée" lorsqu'ils s'en sont pris à son restaurant.
«Dehors, dehors»
Chypre, membre de l'Union européenne (UE), est divisée depuis 1974, lorsque les forces turques ont occupé la partie nord de l'île en réponse à une tentative de coup d'Etat de nationalistes chypriotes-grecs qui souhaitaient rattacher le pays à la Grèce.
La République de Chypre, qui n'exerce son autorité que sur la partie sud, affirme être "en première ligne" sur la route des migrants en Méditerranée au sein de l'UE.
L'attaque contre les migrants à Limassol s'inscrit dans un contexte de montée de la violence à l'encontre des immigrés sur la petite île, qui affirme que les demandeurs d'asile représentent plus de 5% des 915 000 habitants de la partie sud.
Quelques jours avant le saccage, la police chypriote avait arrêté 21 personnes après des affrontements entre Chypriotes et migrants près de la station balnéaire de Paphos (sud), où les autorités avaient commencé à expulser des Syriens d'un complexe d'appartements qu'ils squattaient.
Dans des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, des hommes munis de pieds de biche criaient "dehors, dehors" dans les rues.
«Pogroms»
A Limassol, les étrangers estiment ne pas avoir été assez protégés. "Ils étaient plus de 600. Combien de personnes la police a-t-elle arrêtées? Seulement 13?", a fustigé Adel Hassan, 76 ans, un Egyptien.
Le chef des forces de l'ordre, Stelios Papatheodorou, a reconnu devant le Parlement que la réaction avait été "lente".
Giorgos Charalambous, professeur spécialisé dans la politique et la mobilisation des partis européens, estime que les violences pourraient également être attribuées à des groupes d'extrême droite plus petits à Chypre.
Selon lui, les "discours de haine" se sont normalisés dans l'ensemble du spectre politique, créant une atmosphère propice aux attaques qu'il qualifie de "pogroms".
La violence "n'a jamais connu une telle escalade", note Corina Drousitiou, coordinatrice au Conseil chypriote pour les réfugiés. Elle, attribue la montée du sentiment antimigrants aux mesures inadéquates prises par les autorités, qui ont multiplié les efforts pour envoyer les migrants en situation irrégulière vers d'autres pays.
"Le langage utilisé dans les déclarations officielles (...) était manifestement xénophobe", a-t-elle estimé.
"En aucun cas la partie officielle n'a exprimé de rhétorique raciste", a défendu Elena Fysentzou, porte-parole du ministère de l'Intérieur, accusant "des comptes anonymes" qui sèment la discorde sur les réseaux sociaux.
«Vie meilleure»
"Il n'y a plus le sentiment de sécurité que nous avions auparavant", a dit à l'AFP Sayed Samir, un Egyptien propriétaire de Mr Habibi, l'un des restaurants attaqués à Limassol.
Il a fallu à Chu Thi Dao, une Vietnamienne de 35 ans, des années de dur labeur pour ouvrir sa supérette sur le front de mer.
Après les violences, une vidéo la montrant en train de pleurer dans son magasin saccagé est devenue virale.
Comme elle, la majorité des commerces attaqués appartiennent à des personnes qui ont fui la guerre ou des conditions économiques difficiles pour s'installer à Chypre il y a plusieurs années.
"Elle voulait une vie meilleure pour nous", a déclaré à l'AFP sa fille Flora, âgée de 17 ans. "Je veux rester ici et vivre avec ma mère et ma famille", sanglote l'adolescente, envahie par un sentiment de désillusion.