Ces dernières semaines, de nouveaux mouvements de protestation ont éclaté dans divers secteurs de la société syrienne. S'il veut s'attaquer aux crises sous-jacentes du pays, le gouvernement syrien doit mettre en œuvre une stratégie globale et diversifiée qui s'appuie sur trois piliers essentiels: le développement à long terme, un plan économique efficace et une solution politique concrète au conflit.
L'un des aspects les plus intrigants des dernières manifestations est qu'elles ont commencé à Soueïda, qui est sous le contrôle des forces gouvernementales. C'est le cœur de la minorité druze du pays, qui a tenté d'éviter d'être entraînée dans la guerre civile.
Les manifestations se sont étendues à l'ensemble du pays, notamment au nord (Alep et Idlib), au sud (Soueïda et Deraa, berceau du soulèvement de 2011 qui a déclenché la guerre), aux bastions du gouvernement le long de la côte méditerranéenne, à la capitale Damas, au nord-est (Deir Ezzor, Hassakeh et Raqqa) et au nord-ouest.
Le principal problème qui alimente la frustration de la population à l'égard du gouvernement et qui a conduit aux manifestations est l'état de l'économie du pays, en particulier la façon dont elle affecte le niveau de vie. Des slogans critiquant le gouvernement et réclamant une amélioration des conditions de vie ont été scandés.
La situation économique est désastreuse depuis le début de la guerre civile, mais les derniers développements révèlent que les choses ont encore empiré. Sur le plan financier, la vie est tout simplement devenue insupportable pour les gens ordinaires en Syrie, dont l'écrasante majorité lutte aujourd'hui pour assurer le pain quotidien et un abri à leur famille.
D'un point de vue financier, la vie est tout simplement devenue insupportable pour les gens ordinaires en Syrie.
Majid Rafizadeh
Le gouvernement a réduit les subventions aux carburants et augmenté les prix des produits de première nécessité comme le pain. Le chômage et l'inflation atteignent ou frôlent des niveaux record et le coût de la vie continue de grimper en flèche.
Jafar, employé d'une épicerie, déclare: «Mon salaire a augmenté de 20%, mais il ne suit pas la hausse des prix des denrées alimentaires et des carburants. Je gagne 300 000 livres (18,44 euros) par mois après l'augmentation. Cela ne me suffit pas pour manger, sans parler des autres dépenses. Une personne seule a besoin d'au moins 1 million de livres pour se nourrir.»
«Les gens ne peuvent pas continuer à vivre comme ça. Le gouvernement n'a fait qu'augmenter les prix et réduire les subventions. Durant de nombreuses années, nous avons toléré la pénurie d'électricité et les coupures d'eau, mais nous ne pouvons plus supporter cette situation.»
«De nombreuses personnes ont fui le pays et de nombreuses familles ont été séparées de leurs proches en raison de la situation économique.»
Jafar vit dans la maison de son père avec ses enfants et sa femme. Les personnes qui doivent payer un loyer se trouvent dans une situation encore plus délicate.
Le gouvernement a récemment doublé le montant des pensions lorsqu'il a réduit les subventions aux carburants, mais le problème est que la monnaie syrienne, appelée «livre» ou «lire», a perdu de sa valeur si rapidement ces derniers temps que l'augmentation a été insignifiante.
La monnaie s'échangeait à près de 47 livres pour 1 dollar (1 dollar = 0,92 euro) avant le début de la guerre civile en 2011. Au début de cette année, le taux était de 7 000 livres pour 1 dollar, et il a récemment atteint un niveau historiquement bas de quelque 15 000 livres pour 1 dollar, ce qui signifie que cette monnaie a perdu plus de 85% de sa valeur en moins d'un an.
La Syrie connaît une hyperinflation, avec un taux d'inflation près de quarante fois supérieur à la moyenne des États arabes du Golfe voisins.
Majid Rafizadeh
L'inflation, qui n'a jamais été aussi élevée dans le pays, est un autre problème majeur. Le taux d'inflation moyen entre 1957 et 2020 était de près de 11%. L'année dernière, il a atteint 139%, soit un taux supérieur à celui d'autres pays en difficulté tels que la République démocratique du Congo, l'Angola et la Libye. Seuls le Venezuela, le Soudan et le Liban ont des taux d'inflation plus élevés, selon le World Population Review.
La Syrie connaît une hyperinflation, avec un taux d'inflation près de quarante fois supérieur à la moyenne des États arabes du Golfe voisins. Le Koweït, le Bahreïn, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU), le Qatar et Oman figurent parmi les pays où les taux d'inflation sont les plus bas au monde. Un taux sain et normal est de l'ordre de 2 à 3% par an.
Comme nous l'avons indiqué au début, pour faire face à la crise, le gouvernement syrien doit mettre en œuvre une stratégie globale reposant sur trois piliers principaux. Le premier est une solution politique à la guerre dans le pays. Tant que le conflit, l'instabilité et l'insécurité persisteront dans certaines régions, la situation ne fera qu'empirer.
Le gouvernement syrien doit également s'attaquer de manière adéquate à la mauvaise gestion économique du pays, à ses propres politiques fiscales et monétaires inefficaces, à l'absence d'un marché privé solide, à la corruption et à l'économie principalement contrôlée par l'État, ce qui a entraîné des disparités socio-économiques et plongé un plus grand nombre de personnes dans la pauvreté.
Il est important que le gouvernement se concentre sur la reconstruction des infrastructures, ce qui pourrait jouer un rôle essentiel dans la création d'emplois et l'amélioration de l'économie. Cet objectif pourrait être atteint plus aisément si Damas était en mesure d'attirer les investissements d'autres pays. Le gouvernement doit donc mettre en œuvre des changements structurels majeurs et se réintégrer dans le système financier mondial, afin de sortir le pays de son isolement.
Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard. Twitter: @Dr_Rafizadeh
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com