BERLIN : Berlin a inauguré mercredi son nouveau château impérial abritant un vaste musée ethnologique, après des années de controverses sur cette reconstruction du palais des rois de Prusse, aujourd'hui encore au cœur d'une polémique sur le colonialisme.
Avec ses imposantes façades surmontées d'une coupole baroque, le complexe trône au cœur de la capitale allemande, sur la célèbre île aux Musées.
Le château n'a pas eu droit à sa grande cérémonie d'inauguration: l'Allemagne est retournée dans un confinement partiel pour combattre la deuxième vague de la pandémie.
Le musée du château, le Forum Humboldt, a vocation de devenir «un modèle et une référence» dans la réflexion sur le colonialisme, a promis la secrétaire d'Etat à la Culture Monika Grütters lors d'une conférence de presse devant l'édifice.
Pour le maire de la ville Michael Müller, il sera un lieu «de réflexion sur notre histoire et notre rôle dans le monde».
La pertinence d'installer en ce lieu le musée contenant près de 20.000 pièces originaires d'Afrique, d'Asie ou d'Océanie, issues en grande partie des anciennes colonies allemandes, a dès le début fait polémique.
L'édifice fut en effet jusqu'à la chute de l'Empire allemand, à la fin de la Première Guerre mondiale, la résidence principale des Hohenzollern, princes et empereurs colonisateurs.
Controverses
Lancés en 2013, les travaux ont coûté 677 millions d'euros, soit près de 100 millions de plus que prévu à l'origine.
Le château a épousé tous les soubresauts de l'histoire berlinoise, très marquée par la Seconde guerre mondiale et la division entre l'Allemagne de l'Est et de l'Ouest.
Partiellement détruit par les bombardements alliés, ses vestiges furent rasés, après la défaite du IIIe Reich, par le pouvoir de la RDA communiste (1949-1990).
A sa place fut érigé le «Palais de la République», imposant bloc aux vitres fumées orange qui abritait le Parlement du régime et un centre culturel et de loisirs.
L'actuel «clone» du château historique, conçu par l'architecte italien Franco Stella, est doté aux trois quarts des mêmes façades baroques que l'original, dont les éléments les plus anciens dataient du XVe siècle, mais dont les parties principales avaient été érigées au tout début du XVIIIe siècle.
Derrière les façades refaites s'étendent quelque 40.000 m² d'un bâtiment moderne, également dédié à l'organisation de conférences.
La reconstitution du château a fait l'objet d'une vive controverse dans les années 2000, car elle a entraîné la destruction du Palais de la République, cher à de nombreux Allemands de l'Est pour lesquels il symbolisait une part de leur histoire et de leur identité.
Bronzes du Bénin
A une semaine de l'inauguration, l'ambassadeur du Nigeria en Allemagne, Yusuf Tuggar, a jeté un pavé dans la mare en réclamant de nouveau le retour dans son pays de «Bronzes du Bénin», dont environ 180 doivent être exposés au musée quand le déménagement de toutes les œuvres sera achevé, à la fin de l'an prochain.
Ces plaques, avec leurs bustes et sculptures en laiton fabriquées entre le XVIe et le XVIIIe siècle, décoraient le palais royal du Royaume du Bénin, dans ce qui est aujourd'hui le Nigeria. Elles avaient été réparties dans plusieurs musées européens après le pillage du pays par les Britanniques à la fin du XIXe siècle.
Le diplomate affirme avoir adressé «une lettre formelle» au nom de son pays à la chancelière allemande Angela Merkel et à Monika Grütters.
La fondation du patrimoine culturel prussien, qui gère les musées publics berlinois, assure de son côté «ne pas avoir pas reçu de demande officielle de restitution», mais être en contact «depuis longtemps» avec les autorités nigérianes pour trouver des solutions afin de montrer les œuvres dans leur pays d'origine.
En Europe, la plupart des anciennes puissances coloniales ont lancé ces dernières années des réflexions sur la réappropriation de leur patrimoine par les anciens pays colonisés, surtout africains.
L'Allemagne a ainsi mis en place en mars 2019 un projet visant à «identifier les œuvres issues du contexte colonial dont l'appropriation a eu lieu de façon contraire à la loi ou éthiquement injustifiable», souligne-t-on au ministère des Affaires étrangères, une démarche devant ouvrir la voie à leur restitution.