ANKARA: La Banque centrale de Turquie a augmenté son taux d'intérêt directeur de 7,5% jeudi. Cette hausse plus importante que prévu signale un retour à des politiques économiques plus traditionnelles sous la présidence de Recep Tayyip Erdogan.
La banque a porté son taux directeur à 25%, continuant à faire marche arrière par rapport à la politique de réduction des taux d'intérêt mise en place par Erdogan. On reproche à cette dernière d'avoir alimenté une crise du coût de la vie qui a eu pour conséquence que de nombreux ménages ont du mal à payer leur loyer et leurs produits de base, alors que l'inflation a augmenté de façon vertigineuse.
«Le resserrement monétaire sera renforcé autant que nécessaire, de manière opportune et graduelle, jusqu'à ce qu'une amélioration significative des perspectives d'inflation soit réalisée», a déclaré la Banque centrale de Turquie.
Selva Demiralp, professeur d'économie à l'université Koc d'Istanbul, a indiqué que, en temps normal, les augmentations de taux d'intérêt ralentissent l'économie et qu’ils peuvent même provoquer une récession.
«Pourtant, en Turquie, nous essayons de savoir si cette hausse des taux, plus importante que prévu, pourrait contrôler une récession», a-t-elle précisé à Arab News.
«Il s'agit d'une question pertinente. En effet, de faibles taux d'intérêt ont pratiquement gelé la croissance du crédit.»
La limite supérieure des prêts commerciaux a également été relevée de plus de 56%. Mme Demiralp a expliqué que, en permettant aux banques de fixer des taux de dépôt et de prêt plus compétitifs, le flux de crédit pourrait reprendre, mais à des taux d'intérêt plus élevés.
Un taux directeur de 25%
Cependant, comme d'autres experts, elle a averti que l'augmentation des taux d'intérêt ne suffirait probablement pas à elle seule à résoudre les problèmes. En effet, d'autres mesures seront nécessaires pour freiner la reprise de l'inflation et remédier aux difficultés économiques de longue date.
«Je considère qu'il s'agit d'un premier signal qui indique que les nouveaux membres du PPK [comité de politique monétaire] de la Banque centrale ont été en mesure d'adopter une position plus ferme et de convaincre le président que c'était préférable pour l'économie», a affirmé Mme Demiralp.
«Nos prévisions d'inflation pour la fin de l'année sont proches de 70%. Dans ce contexte, un taux directeur de 25% implique toujours un taux d'intérêt réel très négatif et ce ne sera pas suffisant. Ce qui est essentiel, c'est le maintien du ton ferme que nous avons entendu aujourd'hui.»
Nick Stadtmiller, chef de produit à la société de recherche Medley Advisors, à New York, reconnaît que l'augmentation des taux est un pas dans la bonne direction. Toutefois, il ne pense pas qu'elle sera suffisante pour réduire l'inflation.
«Je pense que les taux devraient augmenter d'au moins 40% pour avoir un impact important sur la croissance des prix», a-t-il signalé à Arab News. «Des taux suffisamment élevés pour réduire l'inflation ralentiront la croissance économique et réduiront la demande de crédit. Il est difficile de comprendre comment les décideurs politiques peuvent réduire l'inflation tout en stimulant la croissance de la demande des entreprises, ce qui est leur objectif déclaré», a-t-il ajouté.
«L'autre problème réside dans le fait que l'approche graduelle du resserrement de la politique signifie finalement qu'ils devront augmenter les taux plus tard et de manière encore plus importante afin de réduire l'inflation», a poursuivi M. Stadtmiller.
«De nombreux autres banquiers dans le monde ont déclaré ces dernières années qu'une augmentation rapide des taux leur permettrait de moins relever ceux qui concernent l'ensemble du cycle. L'inverse est également vrai: une augmentation lente des taux signifie qu'il faut atteindre un taux final plus élevé à la fin du cycle afin d’obtenir un impact similaire.»
Il ne serait pas surprenant que la Banque centrale fasse une pause et prenne quelques mois pour évaluer les effets de la hausse des taux avant de prendre d'autres mesures, a-t-il précisé.
«Avec une croissance des prêts aux entreprises proche de zéro, les décideurs politiques pourraient vouloir observer l'impact sur l'économie avant de resserrer davantage», a encore souligné M. Stadtmiller.
La lire turque, qui est en difficulté, a bondi jeudi en réaction à l'augmentation des taux d'intérêt. Elle a gagné jusqu'à 6% par rapport au dollar après qu’Erdogan a suivi l'annonce en exprimant sa confiance à son équipe financière.
«Nous prenons des mesures fermes pour résoudre les problèmes causés par l'inflation», a fait savoir le président lors d'une allocution télévisée nationale.
Dans un message publié sur les réseaux sociaux, le ministre des Finances, Mehmet Simsek, a écrit: «Nous sommes déterminés. La stabilité des prix est notre priorité absolue.»
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com