COPENHAGUE: Condamné en 2018 à huit ans de prison pour avoir combattu au sein du groupe djihadiste Etat islamique (EI), Ahmed Samsam clame avoir été employé en Syrie comme indicateur des renseignements danois qu'il poursuit jeudi à Copenhague lors d'un procès inédit.
"Mon client, Ahmed Samsam, veut que le tribunal reconnaisse qu'il a travaillé comme agent pour les services de renseignement danois", explique à l'AFP son avocat, Erbil Kaya.
Lors de séjours en Syrie en 2013 et 2014, M. Samsam n'a jamais rejoint l'EI mais travaillait pour les services secrets (PET) puis le renseignement militaire (FE) danois, qu'il informait sur les combattants djihadistes étrangers, assure son avocat.
Des affirmations qu'il n'a pu prouver devant les tribunaux espagnols qui l'ont condamné il y a bientôt six ans.
"C'est le premier cas de ce genre au Danemark, (..) on ne sait pas ce qu'il faut produire pour prouver que vous êtes un agent", ajoute-t-il.
"Le procès est unique", confirme à l'AFP Lasse Lund Madsen, professeur de droit à l'Université d'Aarhus (ouest).
Plusieurs contre-enquêtes de médias danois, dont les journalistes vont être amenés à témoigner, corroborent les dires de ce Danois de 34 ans au casier judiciaire bien étoffé.
En 2012, le jeune homme d'origine syrienne part effectivement de son propre chef en Syrie, pour combattre le régime de Bachar al-Assad.
A son retour, la justice danoise s'intéresse à son séjour mais l'affaire est classée.
Il affirme avoir été ensuite envoyé à plusieurs reprises dans la zone de guerre avec de l'argent et de l'équipement fournis par PET puis FE, des informations relayées par les médias DR et Berlingske, qui s'appuient sur des témoignages anonymes et des preuves de virements bancaires.
Public captivé
Ahmed Samsam a réussi à captiver l'opinion publique.
La classe politique, embarrassée, évite le sujet mais une commission d'enquête préliminaire pour faire la lumière sur l'affaire a été lancée en février.
"Au Danemark, la plupart de ceux qui ont suivi l'affaire pensent désormais que Samsam a été envoyé en Syrie avec l'accord des services de renseignement", note M. Lund Madsen, qui suit attentivemment l'affaire.
"Personnellement, cela m'a été confirmé par des sources au sein des renseignements", dit-il.
Pour l'avocat de M. Samsam, ce feuilleton judiciaire qui dure depuis plus de sept ans est loin d'avoir livré toute sa vérité.
"Mon client a été limité dans ce qu'il a pu dire mais maintenant, devant la cour, il va pouvoir tout raconter", assure-t-il.
En 2017, menacé par des délinquants à Copenhague dans une affaire de règlements de comptes indépendante de ses voyages en Syrie, Samsam part se mettre au vert en Espagne.
Là, il est arrêté par la police espagnole qui s'étonne de trouver sur Facebook des photos de lui avec le drapeau de l'EI.
Ahmed Samsam est condamné à l'année suivante à huit ans d'emprisonnement pour appartenance à l'organisation Etat islamique. Ses appels aux autorités danoises, durant la procédure judiciaire espagnole, ont été ignorés.
Depuis 2020, il purge sa peine, réduite à six ans, au Danemark. Il doit être libéré d'ici "deux, trois mois" selon son avocat.
Pour les services de renseignement, "notre position, c'est qu'il n'y pas eu d'erreur judiciaire. Il a été condamné à juste titre", insiste leur avocat, Peter Biering.
"En Espagne, il a été condamné à huit ans d'emprisonnement par la Cour suprême, qui a explicitement déclaré que même s'il avait effectivement travaillé pour les services de renseignement danois en 2013 ou 14, elle disposait de suffisamment d'éléments, de suffisamment de preuves sans tenir compte de ce point, pour le condamner", développe-t-il.
Pour le défenseur de M. Samsam, la reconnaissance d'un rôle d'indicateur doit permettre d'ouvrir la révision du procès en Espagne.
Malgré l'engouement pour l'affaire, elle est loin d'être gagnée, estime le professeur de droit.
"Il n'est pas certain que Samsam obtienne gain de cause, car les services de renseignement ne sont pas tenus par la loi de confirmer les informations classifiées", souligne-t-il.