SANAA: Dans les rues de Sanaa, au milieu des bâtiments criblés d'obus, des cafés gourmets nés des restrictions du conflit, fleurissent à travers la capitale yéménite meurtrie par plus de huit ans de guerre.
Le pays, ravagé par une guerre entre le gouvernement et les rebelles houthis, soutenus par l'Iran, entretient une relation particulière avec le café.
La légende raconte que les mystiques soufis de la côte ouest du Yémen ont été les premiers à moudre des grains de café au XVe siècle.
Pourtant, les entrepreneurs yéménites avaient jusqu'à présent misé sur l'exportation de leur produit phare vers les riches marchés étrangers.
Avec le blocage des ports et autres restrictions liées à la guerre, des commerçants se sont repliés sur le marché local, ouvrant des cafés sur un air de Paris ou de Brooklyn, dans la capitale yéménite meurtrie par le conflit.
"Les gens ont commencé à considérer que le café yéménite coûtait cher et ont perdu tout intérêt" à l'importer, déclare Rashed Ahmed Chagea de Durar Coffee, en référence au coup dur qu'a connu le marché des exportations lorsque les combats ont éclaté en 2015.
Dans son café clinquant neuf situé dans le centre de Sanaa, les clients peuvent confortablement déguster ces grains du terroir, au milieu d'un décor alliant modernité et art yéménite.
"On a dû réfléchir à une autre façon de soutenir nos agriculteurs", dit M. Chagea.
"Tout le monde disait qu'il était impossible de travailler au Yémen, que les gens n'avaient pas de pouvoir d'achat... Mais on a insisté", ajoute-t-il.
«Une boisson magique»
Dans le quartier aisé de Hadda, Hussein Ahmed a fait un pari similaire en 2018, ouvrant son café, Mocha Hunters, dans une rue jonchée de villas cossues.
C'était l'aboutissement d'un long voyage personnel, débutant lorsqu'il a ouvert avec son ex-femme japonaise, un café à Tokyo il y a plus de dix ans.
M. Ahmed s'est ensuite tourné vers l'exportation, mais les obstacles liés au conflit l'ont poussé à se lancer dans son pays d'origine.
Les clients du café pouvaient être comptés sur les doigts d'une main à son lancement, avance-t-il.
A présent, le patio est rempli. La plupart des après-midis, Yéménites comme étrangers venant savourer le qishr, une boisson traditionnelle à base de cosses de café ou une infusion froide pour un prix ne dépassant pas les 2 dollars.
"C'est comme une vague", s'enthousiasme M. Ahmed, jugeant l'engouement naturel pour un pays qui a transformé "des grains en une boisson magique".
Les boissons qu'il propose sont bien loin du café commercial, souvent mélangé à du lait et du sucre, que de nombreux Yéménites ont l'habitude de consommer, déclare M. Ahmed.
"Ce mouvement réintroduit ce qui est de bon goût", juge-t-il avec assurance.
"On dit aux clients : 'Vos goûts ou préférences n'ont pas d'importance pour nous. Nous buvons ce que nous pensons être bon'.", affirme-t-il.
Emotions
Durar et Mocha Hunters dépendent fortement de leurs exportations, rendues possibles par l'annonce d'une trêve en avril 2022.
Les ventes à l'étranger ont été stimulées davantage par la diaspora yéménite nostalgique du pays en guerre, déclare M. Ahmed.
"Je pense que nos ressortissants vivant à l'étranger, à cause de la dureté de l'exil, deviennent plus émotifs (...) et achètent des produits locaux", dit-il.
"C'est une tendance mondiale, le café gourmet, mais au Yémen, c'est plus émotionnel", lâche-t-il.
Les entrepreneurs sont optimistes quant à la consommation locale, surtout si un cessez-le-feu durable devait s'installer, avec un impact positif sur l'économie.
"Cet endroit va devenir à l'avenir le plus grand centre de café du Moyen-Orient", prédit Ghaleb Yahya Alharazi, directeur de Haraz, un café qui a ouvert l'an dernier, pouvant accueillir jusqu'à 1.000 personnes.
"Nous avons un objectif, revenir à la gloire, la culture et l'authenticité du café yéménite", s’enthousiasme-t-il.